Depuis quelque chose comme treize ans et des poussières, je raconte ma vie à des inconnu•e•s sur le Grand internet mondial.
J'ai parlé de tout. De colères futiles en coups de cœur éphémères, de militantisme acharné en rapport aux autres défaillant, d'idées suicidaires en grands projets euphoriques, de sexe consommé en amour consumé. D'histoires destructrices en romances à l'eau de rose. Ces blogs successifs m'ont servi de sac de frappe. D'annexe de ma mémoire. De collection d'émotions. D'ami•e imaginaire.

Il y a cependant une chose dont je n'ai jamais parlé. En tout cas ouvertement. A peine entre les lignes. Mes délires mystiques. Il n'y a que l'astrologie que je t'ai fait bouffer à toutes les sauces. C'est seulement la partie émergée de l'iceberg.
Pourquoi j'ai gardé ça pour moi ? Sur ce blog et dans le reste de ma vie. Parce que c'était mon dernier rempart contre le monde. Une toute petite flamme allumée au fond de moi, même quand j'étais dans le noir le plus complet. Tantôt lueur, tantôt feu de joie. Parce que je n'avais pas envie qu'on souffle dessus. Parce que je savais que le risque était grand. Parce que j'avais peur d'être moi-même. Parce que je pensais que les autres n'aimeraient pas ce que j'étais.
Pourquoi j'ai décidé de sortir du placard (aux balais) ? Parce que j'ai appris à protéger ma flamme du vent. Parce que je sais désormais ce qui la tient allumée. Et parce que. Surtout parce que. Si je crois toujours fermement que personne d'assez dingue ne pourrait s'intéresser à moi si je ne portais plus de masque. J'ai décidé de le faire tomber. Je n'ai plus envie de jouer un rôle. Le costume que je porte depuis ma naissance est devenu trop lourd. Il me brûle la peau. Alors, je me fous de ce que les autres pensent. S'il y a bien quelque chose que j'ai appris, c'est que mon bonheur, je ne me le dois qu'à moi-même. A mon imaginaire. Cette précieuse échappatoire. Parce que c'est ce que je suis, et si ça plaît pas, c'est pareil. Je n'ai pas envie d'en faire étalage, je n'ai plus envie de le cacher.

Et puisque je l'ai déjà fait avec le reste du monde, il est temps d'en laisser trace ici. Un tatouage sur mon corps numérique.
Finalement, comme je me fiche bien qu'il y ait deux ou vingt mille personnes qui me lisent. C'est surtout à moi que j'écris. A mon moi du présent, à celui du futur. Parfois, à celui du passé.
C'est pas grave que tu ne me comprennes pas. C'est pas grave que tu te foutes de ma gueule. T'façon, c'est pas comme si tu allais spécialement te connecter à ta boîte mail, t'armer de ton clavier et me le dire. C'est pas non plus comme si tu en avais le droit, je ne t'ai pas demandé ton avis. Et. Ça ne nuit à personne. C'est fou, celleux qui confondent liberté d'expression et besoin de donner son avis sur tout et sur tout le monde alors qu'on ne leur a rien demandé.

Depuis environ un an, j'ai réappris à tenir compte de cette petite flamme. Si elle a toujours été là, je l'ai maltraitée des années durant. Quand la spontanéité et l'intuition de l'enfance ont fini par me quitter. Je te parle d'une spiritualité innée. Qui vient du fond de tes entrailles. Une perception naturelle de l'invisible. C'est là que tu te dis : « elle a complètement pété les plombs, la meuf ». Tu n'es pas au bout de tes peines.

J'ai commencé à pratiquer la magie (je crie ton nom) toute petite. Naturellement. Sans me poser de question. Surtout par l'intention et la visualisation. J'crois que tou•te•s les gosses font ça. Je ne me souviens pas du moment où j'ai commencé, parce que je l'ai toujours fait. Je n'ai jamais pensé qu'il s'agissait d'un don, seulement d'une capacité que tu apprends à développer, ou plus exactement d'une capacité que tu finis par brider. J'voyais pas ça comme quelque chose de paranormal, c'était ma normalité, ça n'avait rien de bizarre. Je percevais régulièrement des clins d’œil de l'avenir. Pas des trucs complètement fous. Des petites choses que tu appellerais, toi, coïncidences. Que j'appelle, moi, synchronicités. Il m'arrivait souvent d'anticiper certains événements ou certaines rencontres. On pourrait appeler ça des prémonitions. Une sorte d'instinct hypersensible. Qui te permet de percevoir des énergies que notre culture a oublié d'entretenir. Quelque chose d'animal. Que tu perds en grandissant. En étant conditionné par la société moderne.
J'allais dire que c'est pas grave. Mais je ne sais pas si c'est pas grave. Est-ce que c'est grave de perdre l'un de ses sens ? Si je perdais l'ouïe, je trouverais ça grave, alors je vais dire que c'est grave.

A l'adolescence, j'ai commencé à conscientiser le mécanisme. A l'intellectualiser. Là encore, je ne sais pas si c'est une bonne chose. Parce que j'ai perdu au passage beaucoup de mon intuition. Mais c'est comme ça, tu grandis, tu apprends à réfléchir, à rationaliser. Tu apprends à devenir scolaire. J'ai cherché des modèles. Je ne les ai pas trouvés. La littérature à laquelle j'avais accès, à l'époque, c'était beaucoup de marketing. Des trucs publiés spécialement pour ados. Ça ne me convenait pas. J'trouvais que ça n'avais pas de sens. Ma vérité, je la trouvais dans les romans et dans les mythologies. Qui parlaient d'invisible. Des divinités olympiennes. Des oracles. Des légendes celtes. Du druidisme. J'ai tambouillé des trucs toute seule. Improvisé des charmes. Parfois, ça marchait, parfois non. J'ai tanné la despote pour qu'elle m'apprenne à tirer les cartes. Elle m'a offert mon premier pendule. Je l'ai détesté. J'ai avancé à tâtons. La plupart de mes tambouilles avaient pour but de soigner. Guérir. Apaiser. J'aimais l'idée de soulager les maux. Les peines et les douleurs. Le corps et l'âme. Sociologiquement, ça s'explique : je suis assignée fille, et, comme ma mère avant moi, on m'a attribué ce rôle bien avant ma naissance. Celui-là, je n'ai jamais souhaité m'en défaire. Apprendre à me protéger, peut-être, mais m'en défaire, jamais. J'aime toujours autant l'idée de rendre un peu plus légère la vie des autres, à mon échelle. Les maladies et surtout la souffrance émotionnelle. Ma parole avait de la valeur, dans ces moments là, j'étais écoutée, entendue. J'écoutais aussi, beaucoup. J'étais surtout celle qui faisait cesser les pleurs. J'apaisais.

Et puis, il y a eu le moment où j'ai tout confondu. Tout amalgamé. J'ai pris mon anticléricalisme pour de l'athéisme. Mon athéisme pour une identité. En vrai, c'est juste que j'croyais pas en leur Dieu unique. Tout puissant. Auquel tu te soumets sans broncher. Moi j'croyais à tout un tas de trucs. La fée des dents et l'oh bon dieu des gueules de bois. Si t'as la référence, je t'aime. En vrai, pour moi, la spiritualité, c'est un gros mot que je comprends pas toujours. Alors que la fée des dents, ça, ça me parle. J'croyais aux entités que je créais autant qu'à celles que je percevais. Ouais, parce que la meuf, elle te crée un nouveau panthéon dans sa tête. L'humilité, c'est pas quand il y a des infiltrations ? Cette référence-là est bien plus facile à trouver, mais je t'aime quand même.

J'ai perdu tout ça en chemin. C'est pas grave, j'ai appris d'autres trucs. Mon parcours spirimachintruc n'a pas été linéaire ou évident. En même temps, lequel de mes parcours a été linéaire ? Ahem. Je vais te passer toutes les années où je n'ai cru en rien. De temps en temps, ça remontait à la surface, d'une manière ou d'une autre. Je me suis plongée dans l'astrologie. Par jeu. Ce que je croyais. C'est devenu une grille de perception qui a pris de plus en plus de place dans ma vie. C'est devenu mon principal outil de compréhension de moi-même et des autres. Ça n'a jamais pris de décision à ma place. Ça me faisait juste l'effet Florence Foresti qui ouvre un gros livre de psychologie : « Aaah, c'est pour çaaa ! » J't'avais déjà parlé de mon rapport à l'astrologie, nan ? Ah si, .
Je continuais à célébrer quelques fêtes, ne serait-ce que par la pensée. Une toute petite roue de l'année qui s'était résumée aux solstices et aux équinoxes. Et quand je n'y faisais plus attention, les phases de la lune s'imposaient d'elles-même dans mon quotidien. J'en tenais encore compte dans les petites tâches insignifiantes. En parallèle, je restais en quête de cette chose qui me manquait. Sans réussir à l'identifier. J'ai parlé bouddhisme avec la mère d'un pote. J'ai essayé d'y adhérer. Ça ne me convenait pas. C'était pas ce que je cherchais. Ni la manière dont je voyais les choses. C'était pas de cette spiritualité-là dont j'avais besoin.

Cette quête inconsciente s'est terminée il y a un peu plus d'un an. Dans une salle de cinéma. Devant El Abrazo de la Serpiente. Je ne remercierai jamais assez mon amie pour m'y avoir traînée. Si tu ne l'as pas vu, je ne le recommande très très chaudement. Va donc chercher de la yakruna dans la forêt amazonienne pour apprendre à rêver. Je me souviens, je suis sortie de la salle, je lui ai dit : « C'est décidé, je vais être sorcière. » Elle m'a répondu qu'elle serait honorée de compter une sorcière parmi ses ami•e•s. L'histoire ne te parle pas du tout de sorcière, mais de chaman. J'ai jamais voulu être chaman. Ce n'est pas ma culture, celle de ma famille ou celle de la terre qui m'a vue naître. Même si, parfois, je détourne certaines de leurs pratiques. Je ne me permettai jamais de m'autoproclamer chaman, faut pas déconner. Je serais dans l'appropriation culturelle, en plus. Je ne suis qu'une toute petite sorcière, qui pratique la basse magie. Si le terme est utilisé péjorativement par celleux qui se réclament de la haute magie, moi j'aime tambouiller. Avec mes plantes et mes cailloux, mes encens, mes huiles et mes bougies. Le seul truc qui me dérange, c'est que ça prend une place folle. Alors que j'essayais autant que possible de me défaire du matériel. Entre les livres et les multiples bocaux, la chambre dans laquelle je vis s'est transformée un joyeux bazar. Celui-là ne m'encombre pas tellement.

Je suis sorcière, parce que ça me rend actrice de ma vie. Contrairement à d'autres religions que je ne citerai pas parce que le but n'est pas de blesser qui que ce soit. Chacun•e est libre de croire en ce qu'iel veut. Pour t'expliquer pourquoi j'oppose ma spiritualité à celles qui sont majoritaires autour de moi, j'ai la sensation que les croyant•e•s que je côtoie subissent leur foi et leur vie. Qu'iels suivent des dogmes. Ce n'est peut-être pas le cas de tout le monde, mais c'est comme ça que mon entourage me présente sa religion. Je ne veux pas de dogmes, ça ne me correspond pas. Si ça correspond à d'autres, tant mieux, tant qu'iels foutent la paix aux autres. Le terrorisme religieux est partout. Quand tu parles de poutre et de paille, Manif pour tous et anti-vie. Ouais hein, quand tu prônes la vie, tu ne fais pas en sorte que des femmes claquent d'avortements clandestins. Mais j'glisse ça alors que ça n'a rien à voir avec la choucroute. Le terrorisme n'a rien à voir avec la foi, il est politique, c'est une question de pouvoirs. En plus, je te parle de religion alors que la sorcellerie n'en est pas une. La sorcellerie est une. Des. Pratiques. De croyances aussi. Qui peuvent être multiples et diverses. La sorcellerie des campagnes a longtemps été pratiquée par des adeptes des religions monothéïstes. En fait, si je ne me reconnais pas du tout dans les religions monothéïstes, c'est avant tout parce que j'exècre la vision manichéenne. Pour moi, tout est "bien" et "mal" à la fois. Les divinités ont leurs aspects sombres, toutes. Iels ont des défauts et des qualités, des côtés sympas et d'autres franchement dégueulasses. Comme tout. Avec le ciel bleu de l'été viennent les incendies de forêt.
Mais puisqu'il n'y a pas de magie sans morts. Pas de magie sans entités, divines ou non. Pas de magie sans invisible. Je suis païenne. Parce que ça redonne du sens à mon existence. Parce qu'aussi petit détail dans ce grand tout qui m'échappe, j'ai mon utilité. J'fais partie de l'écosystème. Peu importe si j'y prends trop de place. Je fais partie de l'univers. Ça donne le vertige et force l'humilité. Mais, surtout, ça me laisse croire que je sers à quelque chose. Et que mes actions sont une toute petite pièce de ce grand puzzle. Ça me redonne une responsabilité. Je sais que je peux changer le cours de mon destin. Ne serait-ce qu'un tout petit peu. Manipuler les énergies n'est qu'une manière d'agir parmi d'autres. Et puisque je le peux, je dois le faire. C'est une responsabilité.
Et parce que j'trouve ça vachement classe de boire le thé en papotant de tout et de rien avec une déesse. Dans mon monde, les déités ne sont pas inaccessibles. Iels sont des partenaires de travail. Me filent un coup de main si iels le veulent bien, m'envoient bouler si je les fais chier. Tu ne les sonnes pas quand t'as besoin, tu crées un lien. Comme cette asso avec laquelle tu bosses. C'est plus simple de lui demander de faire passer ton dossier en haut de la pile ou d'intégrer l'un de tes suivis en urgence dans sa structure si tu connais bien la personne que t'as au téléphone. Si ça fait des années que tu bosses avec. Bah là, c'est pareil, sauf que c'est intangible. Et que ça n'a pas les mêmes codes. Quoique, j'suis sûre que ta collègue t'aiderait plus vite si tu lui faisais des crêpes.

Je ne te dis pas que je le suis devenue. Parce que je l'ai toujours été. Parce que ça fait partie de moi. J'ai juste l'impression de me retrouver. Ça me fait beaucoup de bien. C'est un repère. Un repaire. Une aube dans l'obscurité.
Et si tu ne t'es pas enfui•e en hurlant, rassure-toi, je ne te bassinerai pas avec mes délires mystiques. Parfois, ça viendra naturellement. Comme j'ai distillé de l'astrologie un peu partout sur mon blog. Ça ne deviendra jamais le sujet principal. Ni même l'un des. Pour ça, il y a d'autres lieux, d'autres endroits. Moins numériques, ceux-là. Rassure-toi, on parlera toujours de ma pomme, de mes petites déceptions, de mes grands chagrins, de mes jolies réussites, de mes coups de gueule militants, de mon cœur d'artichaut de groupie érotomane à moitié nécrophile. Rassure-toi, ce sera toujours aussi peu intéressant, aussi vide, aussi autocentré.

Jusqu'à ce que je me fasse épingler pour exercice illégal de la médecine, tout ira bien pour moi.