Je crois que je n'ai jamais passé d'aussi bonnes vacances que celles-ci.
Qui ne sont, à proprement parler, pas des vacances. Six jours de stage de chant. Intensif. A bosser du matin au soir. A travailler sur soi. A s'accrocher. A lutter contre ses propres blocages psychologiques. Dans un coin paumé en pleine campagne sarthoise. Tensions et courbatures. Une heure de chant équivaudrait à quatre heures de maçonnerie. Je ne l'invente pas.

Des co-stagiaires tous extraodinaires. Bienveillants, drôles, vifs, subtils. Des voix sublimes et toutes très intéressantes et différentes. Une osmose aussi parfaite qu'inattendue.
Un cadre exceptionnel. Une ancienne ferme retapée. De l'espace, une acoustique excellente. Un grand terrain. Du beau temps. Un ciel splendide. Surtout la nuit. Aucune pollution lumineuse.
J'étais sur un nuage.

Prendre le temps de se faire plaisir. Prendre le temps de s'écouter. Soi. D'écouter un opéra en entier. Ce que je n'avais pas fait depuis une éternité. L'opéra, je l'entendais seulement. Faisant des milliards de choses à côté.
Prendre le temps de s'écouter. Les uns les autres. En travaillant des duos, des trios. Apprendre à se fier à l'harmonie de l'ensemble, et non au seul son qu'on produit. Se cramponner au piano. Meilleur ennemi. Cet animal qui cavale sous votre voix et vous fait perdre tous vos repères. Rythmiques surtout. Bah oui, je vois bien que c'est une blanche pointée. Mais mon souffle n'arrive pas à compter jusqu'à trois. Quand je répétais sans accompagnement, ça fonctionnait très bien. Pourtant.

Et puis, découvrir de nouvelles facettes de cette prof qui me fait progresser depuis six ans. Et de six mois en six jours. Et réciproquement. Fous rires dès le premier soir. A gorge déployée. Je me suis faite piéger.
Elle ne m'avait jamais entendue rire comme ça. Elle me soupçonne de n'être qu'à la moitié de la puissance de ma voix. Déjà suffisamment puissante pour moi. Sensation de ne pas être à la hauteur. De ne pas avoir le caractère pour. Elle met sa main à couper qu'une soprano dramatique se cache derrière la soprano lyrique. Si c'est du charabia pour vous, je décode : c'est plus que mon caractère ne sait assumer. Ben non, ma voix, ce n'est pas la Zizanie de tous les jours.

Diagnostic. Une voix très large. Très longue aussi. Des suraigus à finir en asile psychiatrique. Que je m'efforce d'arrondir. Parce que je ne sais plus où j'habite, autrement. Tant je suis sonnée. Qui lui confirment que je ne suis pas mezzo. Même si elle me change de pupitre, parfois. Parce que j'ai des graves surprenants pour une soprane. Et ça m'amuse beaucoup. Surtout que j'ai remarqué un aspect social étonnant (quoique pas tant que ça). Chez les soprani, c'est chacun pour sa gueule. Elles sont sur le devant de la scène, elles aiment la lumière. Les mezzi, elles, se serrent les coudes. Pour tenir bon. Parce que c'est une place très difficile. On est la garniture du sandwich. On doit résister aux autres voix, par lesquelles on est facilement happées. Et en même temps, on bénéficie réellement de l'harmonie des voix. Visuellement, ça donne une réelle bulle dans laquelle tout le pupitre est compacté.

Bref. Je fais quoi de tout ça ? Z'imaginez pas à quel point ça me fiche la trouille d'entendre ma voix qui sort. Qui me secoue de l'intérieur. Qui me force à briser ma carapace. Autrement, ça bloque. Je me sens toute nue. Moins, à mesure que j'acquière de la technique. Mais j'ai l'impression de ne plus pouvoir contrôler ce qui sort de moi. Et pas seulement ma voix. Il faut lâcher prise pour avancer.
Et le comble, c'est que je me rends bien compte que tout ça est bénéfique.
C'est le début de la fin.