Passer la soirée à écouter Didon et Enée. Purcell. Se décomposer. Quand.
Dido's lament. Par la voix de ma vie.
Elle attaque consciencieusement chaque millimètre carré de ma peau, puis de ma chair, de mes entrailles.

J'ai peur. De ne pas pouvoir retenir très longtemps mes démons. Je suis constamment sous pression. Angoisse, angoisse, angoisse. Je dramatise tout. Du stage au prochain cours d'anglais. De mon compte bancaire aux partiels. Des vacances au diplôme. Du dimanche au vendredi.
Je me sens constamment au bord des larmes. Sentiment d'impuissance.
J'ai peur de craquer. Parce que si je craque, s'ils entraperçoivent autre chose que la Zizanie en béton armé, froide, qui ne prend jamais rien au sérieux. La Zizanie ravagée, qui se fout de ce que les autres pensent d'elle. S'ils entraperçoivent mes failles, alors je prendrai la fuite.
Voilà pourquoi je tremble chaque week-end. L'angoisse du mardi. L'angoisse de ce cours où je n'ai pu garder le contrôle. Où j'ai du masquer mes reniflements, mes yeux embués, prêts à se déverser à la moindre remarque. J'ai peur de mes réactions.

Je n'ai pas envie de tout foutre en l'air. Il y a tellement de gens qui aimerait avoir ma place. Cette formation, c'est exactement ce dont j'ai besoin. Fond et forme. J'apprécie la liberté de ton, d'expression. Les formateurs. Ce sont d'anciens éducs, pas des profs. Et ça fait toute la différence. J'ai vraiment le sentiment de m'auto-former. Pour le moment. Jusqu'aux examens.
Et puis, j'ai eu la chance de tomber sur une coloc' comme Bambi. J'ai un peu moins l'impression d'être seule et livrée à moi-même. Pourtant, si j'ai quitté le despotique domicile à quinze ans, je n'ai jamais été vraiment seule. Autonome, peut-être. Et encore. Ces deux dernières années seulement. Le confort, est-ce le prix de la liberté ?

Plus personne ne me tient la main. Je dois avancer seule, avec mes angoisses sur le dos.

Je suis bien, dans le Grand Nord Hostile. Ma Natale Capitale ne me manque pas. Les gens pas tant que ça. Rien d'insupportable. Je sais qu'ici ou là-bas, je dois grandir. Et prendre des responsabilités. Moi l'instable, l'inconsciente, la gamine de dix-sept ans. Celle qui s'amuse à actionner tous les minuteurs du rayon cuisine du supermarché et qui se marre en sautillant partout, fière de sa connerie. Celle qui fait des courses de caddie. Celle qui engage une bataille de farine avec sa coloc' à onze heures du soir, pendant que les scones dor(m)ent dans le four. Parce que c'était trop tentant, toute cette farine sur le plan de travail. Et ce joli haut trop noir. Celle qui se met à hurler en se bouchant les oreilles pour ne pas entendre ce qu'on a à lui dire.

Ben j'peux vous dire que je le ressens le décalage. Et je parle pas du décalage évident que je ressens parfois par rapport à ceux qui sortent du bac. Non, celui que je ressens par rapport à tous ceux de mon âge qui sont déjà dans la vie active. Qui ont des projets. Qui se marient (!), qui attendent un gosse (!!). J'ai déjà pas envie de me prendre en charge. Pas envie d'avoir un vrai travail avec des contraintes.
Quand j'ai dit à ma tutrice que je ne voyais pas mon expérience en tant qu'animatrice prévention comme une expérience professionnelle parce que j'y prenais du plaisir, elle m'a répondu qu'évidemment, on pouvait prendre du plaisir dans son boulot, et heureusement, surtout en tant qu'éduc'. Et c'est bien là le problème. J'ai tellement peur de grandir que j'imagine que de l'autre côté, c'est l'enfer. Et puis parce que je sais que j'ai toujours eu un problème avec le cadre, l'autorité, les contraintes.
En fait, je ne vois pas pourquoi je ferais des choses que je n'ai pas envie de faire. Et ça résume très bien tout le reste.