La violence. Sans les coups.
Je le crains. J'en ai peur. Je l'évite.
Il est impulsif. Imprévisible.
La voix qui monte, les grands gestes, les insultes.
Elles fusent.
Salope.
Ta gueule.
Salope.
Salope.
Salope.

Salope. C'est ma mère. C'est elle, la salope. Et moi, des fois. C'est une salope, elle ne lui obéit pas. Elle n'est rien sans lui. Qu'elle ferme sa gueule. La salope.

Ce que les autres voient de lui, c'est un homme généreux et serviable. Qui n'hésite pas à filer un coup de main.
Ce que ses enfants voient de lui, c'est un homme qui regarde la télé. Lis son journal. Mets les pieds sous la table en rentrant le soir. Quand il rentre.
Ce que ses enfants voient de lui, c'est un homme violent.

J'ai toujours eu peur qu'il franchisse la ligne.
Je parle des coups. Mais pas que.
J'ai eu droit à la claque de ma vie, alors que je n'avais rien fait. J'avais douze ans, je crois. J'ai eu mal. Mais pas là où je m'attendais. Il a remporté la palme. La plus grosse humiliation de ma vie.

Pas que. Parce que.
Je me suis toujours sentie mal à l'aise en sa présence.
Comme si.
Des vapeurs d'inceste flottaient au-dessus de nos têtes.
C'était malsain.
La manière dont il m'incitait à dormir avec lui.
Sa main qui se pose sur ma cuisse.

Je l'ai vu câliner sa sœur. Comme on câline sa femme. Lui faire des massages. Embrasser ses bras.
Je ne l'ai jamais vu câliner sa femme.
Sa femme est une salope, sa sœur une princesse.
J'étais une princesse. Et ça me faisait peur.
Une princesse. Et une fille de.

C'est mon géniteur. Celui qui m'a refilé la moitié de son patrimoine génétique.
Et un jour, je trouverai le courage de renier son nom.
Parce que je ne veux rien avoir en commun avec cet homme-là.
Je ne sais plus si la ligne a été franchie. J'ai tellement refoulé. Et puis, je ne veux pas le savoir.
Je veux m'éloigner de mon enfance. Et ne jamais reproduire le comportement de ma mère.
Je ne veux pas m'écraser si on lève la main sur moi. Et pourtant, c'est ce que j'ai tendance à faire. A fuir les cris. A rester prostrée. Vieux réflexe. Dès qu'on hausse la voix, je tétanise.

Il paraît qu'on doit aimer son père.
Le mien, j'aimerais le tuer. Et pas seulement au figuré. Je voudrais le planter. Le regarder agoniser. Le voir mourir. Et l'enterrer.

Qu'on me demande encore une fois pourquoi je ne veux pas d'enfant.