2009 nov. 1
Les mots qui cognent
20:00 - Par Zizanie - La mère à boire - Lien permanent
La violence. Sans les coups.
Je le
crains. J'en ai peur. Je l'évite.
Il est impulsif.
Imprévisible.
La voix qui monte, les grands gestes, les
insultes.
Elles fusent.
Salope.
Ta
gueule.
Salope.
Salope.
Salope.
Salope. C'est ma
mère. C'est elle, la salope. Et moi, des fois. C'est une salope,
elle ne lui obéit pas. Elle n'est rien sans lui. Qu'elle ferme sa
gueule. La salope.
Ce que les autres voient de lui, c'est un
homme généreux et serviable. Qui n'hésite pas à filer un coup de
main.
Ce que ses enfants voient de lui, c'est un homme qui regarde
la télé. Lis son journal. Mets les pieds sous la table en rentrant
le soir. Quand il rentre.
Ce que ses enfants voient de lui, c'est
un homme violent.
J'ai toujours eu peur qu'il franchisse la
ligne.
Je parle des coups. Mais pas que.
J'ai eu droit à la
claque de ma vie, alors que je n'avais rien fait. J'avais douze ans,
je crois. J'ai eu mal. Mais pas là où je m'attendais. Il a remporté
la palme. La plus grosse humiliation de ma vie.
Pas que. Parce
que.
Je me suis toujours sentie mal à l'aise en sa
présence.
Comme si.
Des vapeurs d'inceste flottaient au-dessus
de nos têtes.
C'était malsain.
La manière dont il m'incitait
à dormir avec lui.
Sa main qui se pose sur ma cuisse.
Je
l'ai vu câliner sa sœur. Comme on câline sa femme. Lui faire des
massages. Embrasser ses bras.
Je ne l'ai jamais vu câliner sa
femme.
Sa femme est une salope, sa sœur une princesse.
J'étais
une princesse. Et ça me faisait peur.
Une princesse. Et une fille
de.
C'est mon géniteur. Celui qui m'a refilé la moitié de
son patrimoine génétique.
Et un jour, je trouverai le courage de
renier son nom.
Parce que je ne veux rien avoir en commun avec cet
homme-là.
Je ne sais plus si la ligne a été franchie. J'ai
tellement refoulé. Et puis, je ne veux pas le savoir.
Je veux
m'éloigner de mon enfance. Et ne jamais reproduire le comportement
de ma mère.
Je ne veux pas m'écraser si on lève la main sur
moi. Et pourtant, c'est ce que j'ai tendance à faire. A fuir les
cris. A rester prostrée. Vieux réflexe. Dès qu'on hausse la voix,
je tétanise.
Il paraît qu'on doit aimer son père.
Le
mien, j'aimerais le tuer. Et pas seulement au figuré. Je voudrais le
planter. Le regarder agoniser. Le voir mourir. Et l'enterrer.
Qu'on
me demande encore une fois pourquoi je ne veux pas d'enfant.