Le murmure familier d'une langue que je n'ai jamais apprise. Le cliquetis au rythme saccadé des touches d'un clavier. Le chuchotement sourd d'une voix au travers d'une porte. Bienvenue chez la despote. Retour dans ma natale capitale. Épisode énième.
Le retour de John Lemon. Frustré par mes mises à distance. Qui prend des nouvelles. Longuement. Pour finalement déclarer ma vie à chier. Qui n'assume rien. Et surtout pas ses choix,  dans un monde parfaitement normatif. Il est clair que je n'en veux pas, de son monde. Je me fous de son fric. Je me fous de son job. C'est moi, le maitre du monde. Au moins. Et je n'ai pas ma place dans le sien.
Fraichement chômeur d'un poste dans lequel il a passé les quatre derniers mois à s'ennuyer. Pas emballé par l'idée de reprendre le boulot. Pourtant, il le fera. Parce que ça lui va pas trop mal, son train de vie. Son beau mariage soldé par un beau divorce. Bien propre. Ses séjours au bout du monde. Le yacht de ses rêves. Des aventures sans lendemain. Parce qu'il ne fait pas confiance. Sa paranoïa. Ça lui tourne la tête. Ses seize fois le smic. Pour payer la pension alimentaire de ses gamines. Dit-il. Le week-end sur deux qu'il passe avec elles. Ça se fait, d'avoir une descendance. Ses amis riches et déprimés. Son passé qu'il ressasse. Le passé de son ascendance, pour tout dire. Une étoile jaune sur la poitrine. Tu vois ? Je vois. C'est tout ce que t'as à dire ? Mon passé à moi, j'essaye de l'oublier.
Je ne veux pas être un divertissement. La folle sociopathe dont il s'est énamouré. Celle pour qui il a fait deux-cent cinquante kilomètres parce qu'elle avait envie d'un mojito en pleine nuit. Celle qui, au quart de siècle passé, n'a toujours pas l'intention d'envisager d'entrer dans la vie active. Celle qui se fiche bien de devenir une madame. Et d'être reconnue. Celle qui refuse d'accéder à la propriété. Celle qui refuse de louer son utérus à un bulbe d'être humain. Je me fiche de son fric. De ses cadeaux. De ses voyages. Il n'arrive pas à le comprendre.
Il me répond que ma vie n'est pas une vie. C'est un scénario. Que ça va bien un temps. Que je vais regretter. Il ne comprend pas que je refuse de l'accompagner alors que j'aime tellement voyager.
Moi, ça me va, d'avoir une vie qui claque, vrille, explose, bouge, hurle. Au gré de mes impulsivités et de mes envies. J'ai seulement envie de la vivre comme je l'entends. Elle est bien trop courte pour faire des projets à long terme. Je me contente de la prendre comme elle vient. Tant pis si je meurs sans avoir eu le boulot de mes rêves, un salaire conséquent, une vie parfaitement orchestrée. Tant pis si je meurs sans avoir été heureuse.
Je lui dis que je me lasse. De lui. De nos conversations stériles. Il continue à me relancer. Par téléphone. Par mail. En m'envoyant une invitation sur Facebeurk. Avec sa belle photo au soleil. Sa montre hors de prix. Son impressionnant CV. Ses opinions politiques dont il ne pense pas un mot.
Il paraît que c'est parce que je suis trop jeune. Ou lui trop vieux. Peu importe. Je n'y crois pas une seconde. Qui essaye de me blesser parce qu'il n'obtient pas ce qu'il veut ? Si c'est ça, être adulte. Je ne me venge jamais. Ma sérénité est trop précieuse et surtout trop fragile pour que je m'encombre de sentiments pareils. Je préfère couper les ponts. Trancher dans le vif. Et me mettre la tête à l'envers pour oublier. Je change de vie. C'est douloureux mais plus sain, à mon sens.
On communique toujours. Des mots-phrases. Étrange conversation, conclut-il. Il paraît que les gens normaux ne le font pas. Comment pourrais-je le savoir ? Je ne communique pas avec les gens normaux. Alors je l'envoie balader.
Pourquoi je continue à lui répondre ? Parce qu'il m'attire, accessoirement. Mais surtout, parce que j'aime l'avoir à mes pieds. Parce que j'aime jouer avec lui. Parce que j'aime jouer, tout court. Et finalement, c'est ce qui lui plait chez moi.