Je ne connais pas cet homme. Et pourtant. Je suis amenée à lui rendre visite. Là où j'évite soigneusement de mettre les pieds. Même quand il s'agit de mes proches. Il a un cancer. Il vient d'être accueilli en soins palliatifs. On le sait tous, c'est la fin. Il est si frêle, livide. Il n'a plus assez de voix pour que je l'entende m'autoriser à entrer quand je frappe à sa porte. Je ne connais pas cet homme. La première fois que je l'ai rencontré, c'était il y a deux jours. Depuis, je passe une demie-heure chaque jour, à ses côtés. Je demande aux infirmières de transférer ses perfusions sur un fauteuil et on descend se fumer une clope, ou deux. Je lui apporte des pâtisseries. Parfois, des produits de toilette. Que je range dans la salle de bain. Je prends de l'argent dans son porte-feuilles. Je remets la monnaie dans son tiroir. Je connais le code de son coffre. Je refuse qu'il me donne celui de sa carte. Je ne connais pas cet homme. Et pourtant, il est content de me voir. Ma présence lui fait du bien. Il se sent un peu moins seul. Dans cette chambre d'hôpital. Personne d'autre ne lui a rendu visite jusque-là. A cet homme qui va mourir et qui ne le sait pas. Dans une semaine ou deux, il sera sur pieds. Et il pourra venir nous rendre visite, à son tour. Monter toutes les marches, celles devant lesquels il s'était arrêté, il y a quelques semaines. Et puis, il a retrouvé l'appétit. Il dévore. C'est bon signe, hein ? Je ne connais pas cet homme et j'ai un nœud dans la gorge quand je l'entends parler de ses projets. Je ne connais pas cet homme et j'ai juste envie qu'il passe ses derniers jours le mieux possible.
Je ne connais pas cet homme et c'est lui qui me montre ce qui est vraiment important.
Le monde merveilleux du social.