Suite à mon dernier post, je me suis mise à relire Le Chœur des femmes. Ma relation au médical. Une référence. Mais on s'en fout un peu, c'est pas la question. D'ailleurs, on ne parlera pas d'écarter les cuisses, dans cet article. Je lis d'ici votre déception. Ce qui ne m'empêchera pas de vous recommander très fortement ce bouquin, si vous ne l'avez pas lu. Martin Winckler. Le Martin Winckler. Toujours est-il, que les premières pages m'ont sauté aux yeux. Il fallait que je vous fasse partager ça. Ceux qui s'en souviennent feront sans doute le rapprochement.
Parce que je pourrais reprocher tout ce que je veux à mon stage. Mais il m'a au moins permis une chose. Rompre avec mon éducation. Un aspect seulement. Bien que fondamental. Mais surtout une valeur que je n'ai jamais comprise et avec laquelle je n'étais pas d'accord. Sauf que. Forcément, t'es conditionné par. Et donc tu agis en fonction de. Le tout, c'est d'arriver à se déconditionner. Et donc à prendre conscience de.

Bon, je t'explique. Quand j'étais gosse, mon hypocondriaque de despote m'emmenait souvent chez le toubib. Et y'avait du « oui, docteur » par ci, du « c'est vous qui savez, docteur » par là. Ce qui lui venait de sa propre éducation. Parce qu'attention, médecin, c'est par rien comme métier. C'est d'ailleurs plus un statut qu'un métier. C'est des gens bien. Le fils de l'amie de la cousine de sa voisine est devenu docteur. Et puis, le géniteur, pas trop d'ici, pas non plus d'ailleurs, se permettait, au grand dam de la despote, d'appeler son toubib « monsieur ». La honte. Ça se fait pas ! Tu te rends pas compte ! Ton père me fout la honte. J'ai honte. Qu'est-ce qu'il va penser de moi ? C'est un manque de respect ! Petite déjà, j'étais paumée, je ne comprenais pas pourquoi. Je ne voyais pas ce que cette histoire de respect venait faire là-dedans. A l'adolescence, je répondais à la despote que des tas de gens avaient un doctorat. Et qu'eux, ils ne se faisaient pas appeler docteur pour autant. Et puis ton docteur, là. T'es peut-être contente qu'il te foute des aiguilles partout. Mais. Pour un médecin généraliste, avoir peur d'approcher une patiente, parce qu'elle a chopé la gale et clamer, en me foutant à la porte : « Je ne sais pas, je ne sais pas, il faut aller voir un spécialiste ! », c'est quand même du gros foutage de gueule. Et puis, si respect signifiait fermer sa gueule et faire profil bas, très peu pour moi. Cela dit, j'avais gardé de ces fichus principes despotiques, de vieux réflexes, qui faisaient que je continuais à les appeler docteur.

On en arrive à mon stage. Toxicomanie. Soin. Donc traitement. Équipe pluridisciplinaire. Tout ça. Pour dire qu'on bosse avec des toubibs. Ils viennent tous de l'unité de sevrage de l'hosto, avec laquelle on est en partenariat. Psychiatres, tout ça. Autrement dit, le milieu hospitalier, ils connaissent. Les « oui, docteur », ils connaissent. Le vouvoiement de rigueur, ils connaissent. Dès les premiers jours, j'ai du suivre le mouvement. Tout le monde leur claque la bise, les tutoie, les appelle par leur prénom. Et même. Ose leur dire ce qu'ils ont à faire dans leur cabinet. Comment un petit éducateur, niveau bac plus deux - pour trois ans d'études -, peut-il diriger un grand médecin reconnu, qui lui s'est tapé dix ans avant son précieux diplôme ? Scandaleux. Et les médecins ne mouftent pas. Ils s'exécutent. En vrai, ils n'obéissent pas. Ils font confiance. A des gens qui connaissent bien les personnes qu'ils reçoivent dans leur cabinet. Ça me paraît tellement logique. Et notre équipe s'en porte parfaitement bien. On est tous dans le même bateau, tous sur un même pied d'égalité. C'est appréciable. C'est d'ailleurs chez nous qu'ils se sont mis à oublier de s'appeler docteur entre eux. Et commencer à s'appeler par leurs prénoms.
J'ai mis du temps, mais désormais, quand je fixe un rendez-vous avec le médecin, le mec (ou la nana) ira voir monsieur. Et pas docteur. Parce que, quand même, la relation patient-médecin n'a pas été révolutionnée dans notre petit service du Grand Nord Hostile. Et quand même, on est bien content de s'appuyer sur lui quand on ne parvient plus à faire autorité. C'est ce qu'ils entendent. C'est le médecin qui décide.