Parce qu'on ne ferme pas un blog impunément. Même pour quelques jours.
Parce que je vous dois aussi la vérité. Parce que vous exclure de ma révolution, ce serait ne pas aller au bout. Ce serait me trahir.



A celles et ceux qui ont toujours voulu voir ce que ça faisait, d'être un super-héros.
A celles et ceux qui sont des super-héros.
A celles et ceux dont les enfants sont des super-héros.
A celles et ceux dont les élèves sont des super-héros.
A celles et ceux qui connaissent un super-héros.

C'est l'histoire d'une gamine, née il y a vingt-six ans. Une gamine que sa maman désirait plus que tout au monde. Sa fille, c'était son trésor. C'était toute sa vie. Une gamine aimée plus que de raison par son entourage. La première petite fille de ses grands-parents. Elle passait de bras en bras, elle avait le droit à toutes les attentions. Si ça, c'est pas un beau début dans la vie. Elle allait faire de grandes choses. On passait son temps à lui répéter qu'elle était tellement exceptionnelle, tellement différente. Ah ça, différente. Elle le sentait bien, qu'il y avait un truc qui clochait. Elle ne comprenait pas les autres. Elle ne comprenait pas ses camarades d'école. Elle ne comprenait pas leur langage, leurs centres d'intérêt, leurs codes. C'est ça, elle n'avait pas les codes. Elle se sentait tellement nulle. Tout le monde y arrivait, pas elle. Ça devait pourtant pas être bien sorcier. Et tous ces gens qui la trouvaient exceptionnelle, s'ils savaient. S'ils découvraient la supercherie. Tous ces gens qui l'admiraient, qui pensaient qu'elle était la fille la plus merveilleuse, la plus intelligente, la plus douée. Douée. Comme dans sur-douée.  Elle, elle ne comprenait rien à leur charabia. Déjà, douée, elle ne voyait pas bien ce que ça voulait dire. Pour elle, ce don, dont ils parlaient tous, c'était un handicap. Alors surdouée. Surhandicapée de la vie, oui. C'était une putain de déficiente sociale. Ils allaient forcément se rendre compte de l'imposture. Et quand ils s'en rendraient compte, elle perdrait tout. Leur amour, leur considération, leur présence. Ils allaient la rejeter, c'était certain. Comme un animal cesse de s'occuper de son petit, parce qu'il se rend compte qu'il ne pourra pas survivre. Parce qu'il n'est pas adapté. Voilà, elle n'était pas adaptée au monde. Et Darwin l'a bien dit, adapt or die. Elle ne sait par quel coup du sort, elle était passée entre les mailles du filet.

Son instinct de survie s'est mis à lui parler. Il ne fallait absolument pas qu'ils le découvrent. Ils ne devraient jamais savoir. Il fallait qu'elle continue à tromper son monde. Elle n'avait pas le droit à l'erreur, elle n'avait pas le droit à l'échec. Il fallait qu'elle soit parfaite. Alors la gamine, elle s'est mise à se rapprocher de la perfection. A devenir une espèce d'humanoïde qui anticipait tout. Le moindre faux-pas risquait de la trahir. La gamine, elle fondait en larmes quand on lui rendait son cahier avec un neuf sur dix écrit en rouge. Parce que c'était pas dix. Parce qu'elle avait tellement peur de décevoir sa mère. Tellement peur qu'elle se rende compte qu'elle aurait du la rejeter à la naissance.

Un peu plus tard, elle s'est aperçue que sa mère, c'était pas tout, mais que pour pouvoir survivre, il fallait aussi tromper ses congénères. Qui la regardaient bizarrement. Une gamine qui écrit à l'envers sur ses cahiers, c'est déjà bizarre. Mais une gamine qui arrive en cours d'année parce qu'elle a sauté une classe, c'est un ovni. En plus, la gamine, elle sait pas jouer à des jeux normaux. Elle est nulle, elle sait même pas faire la maman ou la maîtresse. Elle pianote sur un instrument imaginaire, elle erre dans la cour de l'école, on a toujours l'impression qu'elle débarque. T'façon, c'est une intello. Une tête d'ampoule. Ouais, sauf que la gamine, elle se sentait tellement plus proche du groupe des cancres que de celui des élèves appliqués. Elle se sentait pas à sa place parmi celles qui raflaient tous les bons points. Il fallait changer ça. Il fallait qu'ils changent leur regard. Elle qui dévorait des bouquins, qui aimait tellement apprendre, elle a cessé de s'y intéresser. Et progressivement son niveau est descendu. Elle maintenait un niveau moyen. Elle se fondait dans la masse. Elle a perdu l'habitude de lire, d'apprendre, de voir des expos, d'écouter de l'opéra, de s’intéresser à l'actualité. De prendre du plaisir.

Peu à peu, elle a commencé à détester la personne qu'elle était. Elle se trouvait vide. Elle mentait sur ce qu'elle était. Sur ce qu'elle aimait. Parce qu'elle était certaine de ne pas trouver d'intérêt dans le regard de l'autre si elle lui racontait la vérité. Parce qu'elle avait peur qu'on la rejette si elle montrait son vrai visage. Et plus elle mentait, plus elle se détestait. Elle culpabilisait de leur faire ça, à tous ces gens qui lui faisaient confiance. Tous ces gens qui lui disaient qu'elle avait tout pour être heureuse. La gamine, elle s'est mise à prendre du poids, à devenir éteinte. A mettre le doigt dans le cercle infernal de la dépression. Mais ça aussi, il fallait pas qu'ils sachent. Elle n'avait pas le droit de leur imposer son mal-être, ses pleurs, ses souffrances. La gamine, elle n'a pas pleuré quand son grand-père est mort. Elle est restée impassible. Elle n'avait pas le droit. Elle ne méritait pas d'être aidée. C'était une imposture, une menteuse, un reliquat d'être humain. Elle n'aurait jamais du survivre, et elle était encore là. Elle ne méritait pas de réussir. Elle ne méritait pas d'être heureuse.

Mise en échec sur mise en échec. Elle a arrêté d'aller en cours. Elle a changé de lycée. Une fois. Deux fois. Elle a finalement décidé que puisqu'elle était un cancre, c'était avec eux qu'elle devrait être. Alors elle a voulu entrer dans ce lycée, qui avait mauvaise réputation. Ce lycée, dit alternatif, qui accueillait tous les élèves que l’Éducation Nationale ne savait pas où foutre. Elle pourrait te parler de la pédagogie en France, mais elle va plutôt continuer à parler d'elle. Enfin, dans ce lycée, elle se sentait bien. Enfin, elle pouvait être elle. Elle a raté son bac pour pouvoir y rester encore un an. Sauf que le lycée, ben t'es pas censée y rester toute ta vie. Elle est retournée errer dans l'autre système. Celui dans lequel elle n'était pas adaptée. Elle a trouvé des petits boulots qui ne nécessitent pas de qualification. Et puis, elle a fini par passer une équivalence pour entrer à la fac. Parce qu'elle aimait bien ça, apprendre. En fait. Sauf que ça a recommencé. Elle a tout arrêté en milieu d'année. Et encore. Et encore. Elle aurait pu s'arrêter-là. Mais ça signifiait entrer dans la vie active. Et ça, elle ne voulait pas. Elle avait peur de grandir, peur d'être adulte. Peur de s'enfermer dans cette vie qui ne lui ressemblait pas. Parce que c'est ce que faisaient les adultes autour d'elle. Être raisonnable. Faire les choses par défaut. Assumer leurs responsabilités. C'était tellement triste.

Mais puisqu'il fallait en passer par là pour que personne ne découvre qu'elle était différente. Elle s'est dit qu'elle se donnait une dernière chance pour rentrer dans le moule. Elle a passé un concours sur un coup de tête, elle a été prise. Elle a commencé une formation, qui lui permettrait d'avoir une vie moyenne. Raisonnable. Avec un boulot qu'elle ne détesterait pas. Mais qui ne la transcenderait pas non plus. Un boulot supportable. Elle a subi deux années dans une promo où elle ne se sentait pas à sa place. Beaucoup trop vieille. Beaucoup trop décalée. Mais elle a réussi à se faire oublier, encore. Sauf que l'année suivante, arrivée au diplôme, elle n'arrivait plus à écrire la moindre ligne. C'est un peu embêtant, ce genre de panne, pour écrire un mémoire. Surtout que personne n'y croyait. Tout le monde avait grillé ses capacités à écrire. Elle écrivait tous ses dossiers dans la nuit précédant la date du rendu, elle lisait son cours une demi-heure avant l'examen, dans le métro qui l'y conduisait. Alors elle allait arrêter ses conneries et se mettre à bosser. C'était pas le moment de tout laisser tomber. La gamine, elle a pris la fuite. Elle a décidé de tout arrêter.

Et puis, la gamine, elle en a eu marre. Elle ne pouvait plus continuer à supporter sa panoplie d'écorchée vive. La gamine, elle ne supportait plus cette douleur permanente, ce mal de vivre, ce bovarysme chronique. Elle aurait voulu qu'on l'euthanasie. Mais pour ça, il fallait commencer par demander de l'aide. La gamine, elle a consenti à aller consulter. Je vois un psy, c'est comme ça qu'on dit. Le psy, il l'a bien secouée. Elle en a pris plein la tronche. Et puis, un jour, quelqu'un a trouvé une faille dans le bunker. Ce quelqu'un, c'est Chaton. Il a réussi à lui montrer qu'elle pouvait être elle, qu'elle pouvait arrêter de mentir, qu'il avait envie de connaître celle qui se cachait derrière tous ces mensonges. Qu'elle avait le droit d'être heureuse. Il ne lui a pas dit qu'elle avait tout pour être heureuse, non. Il lui a dit qu'elle avait le droit d'être heureuse. Comme tous les autres êtres humains. Qu'elle méritait, elle aussi, ce bonheur. Et elle a accepté de l'entendre. Elle a accepté le risque de le perdre en arrêtant de mentir. Oui, parce qu'elle est tellement différente de ce à quoi il s'attendait. Différente, encore ce mot. Parce qu'il est encore sous le choc. Parce qu'elle va le perdre même s'il est encore là, pour le moment. Elle a accepté l'idée de redevenir elle. Elle a accepté de prendre confiance en elle. Au bout de trois longs mois de déconstruction.

Depuis, la vie de la gamine n'a pas radicalement changé. Elle s'est mise à dire la vérité, d'accord. Mais c'est loin d'être gagné. D'ailleurs, elle est en train de vous écrire une bafouille au lieu de se mettre à son mémoire, qui n'est à rendre que dans quelques jours. La gamine, elle continue à se mettre en échec parce qu'elle ne connaît rien d'autre. Aujourd'hui, la gamine n'est pas encore heureuse. Mais la gamine commence à croire qu'elle le deviendra. La gamine ne s'aime toujours pas mais sait qu'elle commencera à s'aimer quand elle se retrouvera. Elle ne sait pas quand, elle ne sait pas comment. La gamine essaye d'arrêter d'anticiper. D'arrêter de vouloir être parfaite. De tout contrôler, de tout mettre dans des petites cases par peur que ça ne déborde. Par peur qu'on découvre le pot aux roses.

Son psy a résumé la situation par « j'ai essayé d'être parfaite pour me cacher d'être exceptionnelle ». Quand elle est sortie de chez lui, elle a pensé aux héros de son enfance. Aux comics qu'elle dévorerait encore volontiers aujourd'hui. Elle a un don. Une sorte de super pouvoir. Qu'elle a passé son temps à cacher. Ce don, c'est réellement un handicap. Parce que s'en servir pose de sérieuses questions éthiques. Mais parce qu'elle n'a pas non plus le droit de le gâcher. Ce don implique des devoirs. Il va juste falloir trouver de quelle manière elle est censée s'en servir. Parce que Superman aussi a du apprendre à utiliser ses pouvoirs. En attendant, son mémoire ne s'écrit toujours pas tout seul.

Conclusion : Personne ne mérite de se faire autant de mal parce qu'il se sent différent. Parce qu'il a quelque chose que les autres n'ont pas. Ou l'inverse. Et à notre manière, on est tous des super-héros.


Enfin, parce qu'il n'y a pas de mémoire sans bibliographie. Il n'y aura pas d'article sans référence. J'en profite donc pour te faire découvrir Alexandre Poulin et son écrivain. Que mes tympans ont rencontré le mois dernier.