Après quatre heures de train, je me retrouve dans sa bagnole. Et je ne suis plus si sûre d'avoir envie d'être là. Je ne sais pas si j'ai envie de faire ça. Avec lui. Mon corps est devenu un étranger. J'ai beau savoir faire semblant. Que j'assume. Faire croire que t'as confiance en toi. Que t'es bien dans ta peau. C'est le meilleur moyen de susciter du désir. Sauf que. Je ne le supporte plus. Je ne supporte plus sa vision. Sa sensation. Je ne supporte plus de me retrouver piégée là-dedans.
Je serais bien partie en courant, mais je te rappelle qu'il vit dans un coin paumé au milieu de nulle part. Quand on est adepte des plans foireux. J'ai juste envie de lui crier. Non, ça va pas le faire. Je n'ai pas envie que tu me touches. Je n'ai pas envie. Tu comprends. Je veux pas.

Il a le bon goût de ne pas m'approcher, tout de suite. Malgré les promesses échangées la veille. Il me propose de diner. Je n'ai pas faim. Je siffle quasiment toute la bouteille de chablis à moi toute seule.
« J'ai encore de la vodka au congél', tu veux enchainer direct ou tu préfères me dire ce qu'il ne va pas ? »
C'est précisément pour cette raison que Cuillère m'intrigue. Il ne rentre pas dans mon jeu. Évidemment, je nie. Qu'est-ce que tu racontes ? Tout va bien. Tout va toujours bien. J'avais juste un peu soif. Avec cette chaleur, tu penses bien. Mais qu'est-ce que je dis, moi ? C'est limite si je sors mes après-ski. Ouais, non, faut pas déconner. J'ai pas d'après-ski. Ta gueule, Zizanie. Tu t'enfonces. Épingle ton plus beau sourire et ferme-la.
Il me répond qu'il n'a pas envie de me mettre mal à l'aise. Mais qu'il sent qu'il y a quelque chose qui a changé. Tu m'étonnes. Y'a juste que. Je n'y arrive plus. Faire semblant de m'aimer, d'assumer mes rondeurs. Moi, je ne vois que de la graisse. Regarde, je ne vois même plus mes os. Je n'ai vraiment aucune volonté. J'ingurgite des tonnes et des tonnes de bouffe. Que je ne suis même plus capable de purger. J'ai beau m'écorcher la gorge avec mes ongles. Mon estomac garde tout. Quitte à me laisser me plier de douleur. Mais de tout ça, tu ne sauras rien.
Alors ça ne sert à rien de me dire.
« Tu te rends pas compte à quel point tu es jolie, Zizanie. »
Mon corps. Je te parle de mon corps. En réalité, je ne t'en parle pas. Mais mon corps, je ne l'aime pas. C'est juste une planque. Pour plus qu'on me trouve jolie, justement. Pour qu'on n'ait plus envie de m'approcher. Pour qu'on n'ait plus envie de me toucher. Je me cache derrière toute cette graisse. Parce que je sais que là, nombre de. Ne viendront pas me chercher. Je n'ai pas envie de séduire. Je veux qu'on me foute la paix. La réalité ne me convient pas. Je n'y prends pas mon pied. Laisse-moi donc vivre en pleine fiction. Si ça me rend un peu moins malheureuse, qu'est-ce que ça peut te foutre ?

J'ai juste répondu que. Le stress. A cause de la fac, tout ça. Le changement de rythme. Tu sais bien. Je stresse pour pas grand chose. Alors j'ai juste un peu de mal à me détendre. Tout va bien. Tout va toujours bien.