Le vendredi, c'est ravioli psy. Je m'installe sur le divan. J'vous préviens, j'risque de m'endormir avant vous.

Non, en fait, je ne le considère pas du tout comme un ami. Je parle de Chaton, évidemment.
Je le considère comme ma propriété. Comme un favori de mon harem. Je ne veux pas le voir avec une autre, je ne veux pas qu'il me porte moins d'attention. Ou alors le genre d'ami que j'ai souvent eu. Robin, et ex-Coloc’ étaient ce genre d'amis. Qui me portaient toute l'attention dont j'avais besoin. Je faisais d'eux absolument ce que je voulais. Pourtant, je n'y touchais pas. Parce qu'ils étaient asexués. En fait, dans mon harem, il y a aussi des eunuques. Je n'ai pas besoin de désirer quelqu'un pour avoir envie de lui plaire. Pour les deux, d'ailleurs, il y a eu de l’ambiguïté au départ. Ben oui, fallait bien les attirer dans mes filets. Il fallait bien les charmer. Il la grignote des yeux, mais comme faut jouer un peu, elle lui donne que des miettes, y'a toujours des coquettes.

Pour Robin, j'ai même eu une histoire assez importante avec. Alors que c'était le meilleur ami de Tarabas. Avec qui je venais de rompre. Oui, oui, tu peux me lancer des cailloux. J'veux pas du tout me justifier. Mais pour expliquer, à l'époque, je venais de perdre tragiquement mon repère le plus solide, la personne qui m'avais permis de me construire. Mon miroir. Miroir, mon beau miroir. Y'a sa trouille qui fait mal, son chagrin qui fait mouche. Y'a un cœur qui s'bat plus au cœur de la cité. J'avais l'impression de n'être plus qu'une coquille vide. Alors je suis complètement partie en vrille. Honnêtement, je saurais qu'une gamine fait aujourd'hui ce que j'ai fait, j'aurais vraiment, vraiment très peur pour elle. A quatorze ans, je suis partie de chez mes parents, et là où je vivais, on me surveillait beaucoup moins. J'ai passé trois ans à faire le mur quasiment tous les soirs, à consommer. De l'alcool, des prods, des mecs. Beaucoup, beaucoup, beaucoup. Et dès qu'elle pète un joint, pétard au creux d'la bouche, ça fait aller, faut faire tourner, pour mieux tirer... A vrai dire, ça ne s'est pas du tout arrêté au bout de trois ans. Mais après, je n'étais plus obligée de sortir sur la pointe des pieds, il n'y avait plus personne que je risquais de réveiller. Et à côté de ça, je maintenais mon image de petite fille modèle. Auprès de ma famille et de mes profs. J'sais franchement pas comment j'ai réussi une telle prouesse. Mon double maléfique fait très bien illusion et a toujours facilement trompé son monde.

Alors j'ai été chercher de l'attention auprès de tous mes amis de l'époque. Sans doute juste parce que j'avais besoin qu'on s'occupe de moi et que j'étais trop sonnée et trop fière pour pleurer. Sans doute parce que j'avais perdu toute confiance en ce que j'étais. J'ai fait ma princesse. J'ai voulu croire à des histoires qui étaient vouées à l'échec. Robin. Et comme les meilleurs menteurs sont ceux qui croient à leurs mensonges, je lui ai laissé espérer bien plus que je ne pouvais lui donner. Et puis Robin était aussi pas mal fragilisé, à l'époque. Disons qu'on s'est bien trouvés. Avec nos morts qu'on ne voulait pas enterrer. J'ai utilisé le regard des autres pour remplir le néant à l'intérieur de moi.
En fait, c'est ça, j'crois que j'vais castrer Chaton, ce sera plus simple pour tout le monde. Quand le chat n'est pas là, pierre qui roule n'amasse pas les souris qui dansent. Ou qui moussent.

Mais si on veut vraiment aller dans le fond du problème. Va falloir que j'arrête de me considérer comme une coquille vide. Il est plus que temps. J'ai plus qu'à travailler sur ma confiance en moi. Si je veux résoudre mes problèmes d'ego mégalo. Pour ne plus jamais rechercher la validation dans le regard des autres. C'est beaucoup trop fragile, pour l'estime de soi.

La méchante sorcière ne pourrait pas racheter autrement l'amour-propre de la gentille sorcière. Parce que la méchante sorcière est mégalo et folle. Elle est incapable de voir plus loin que le bout de son nez. Mais la gentille sorcière pourrait apprendre à avoir réellement confiance en ce qu'elle est. A l'intérieur. Elle ne devrait pas avoir besoin d'user de sorcellerie pour plaire. Mais elle ne croit pas en être capable.
C'est bizarre, j'ai l'impression que c'était mon premier objectif, lorsque j’ai commencé à me reconstruire. Il y a deux ans. C'est comme si je n'avais pas avancé d'un orteil.

Pourtant, ce serait le moyen le plus efficace pour neutraliser la méchante sorcière. Mais pour ça, faudrait d'abord que je me sépare de mon sentiment d'imposture. Ça fait tellement longtemps qu'on marche ensemble, lui et moi, que je ne sais pas comment vivre sans lui.

On ne change pas une habitude qui gagne, c'est plus simple d'emprunter les chutes des autres. Je conclurai donc sur.

Il est évident que le poète écrit sous le coup de l'inspiration. Mais il y a des gens à qui les coups ne font rien.

(On me demande, je m'exécute. Si toi aussi tu veux que je case un auteur dans un de mes épisodes, envoie CONFITURE au 666.)