Je n'arrive pas à le laisser partir. Et je suis terriblement frustrée de voir qu'il ne réagit plus aussi bien à ma sorcellerie. Il ne se laisse plus faire. Il a raison. Mais ça me tord les boyaux. Sa lucidité. Il n'est plus sous mon emprise. En fait, c'est ça. J'ai passé des années à croire que j'étais incapable de lui résister. Alors que je faisais tout ce qu'il fallait pour que lui soit incapable de ne pas me courir après. De ne pas ramper à mes pieds. Il l'a fait. Me courir après. Je le vois encore courir comme un dératé dans les rues de son quartier. Je vois encore ses yeux m'implorer de ne pas le quitter.

Il me parle comme il parlerait à une amie. Il me demande conseil pour ses recettes. Et ça me laisse un goût amer dans la bouche. Le goût du rejet. Je ne lui plais plus. Il ne veut plus m'aimer. Il ne m'aime plus. Il ne m'aime plus. Il ne m'aime plus. Il a cessé de m'aimer le jour où il est parti. Il me désire encore. Très fort. Parce qu'il n'y a qu'avec moi qu'il arrive à se lâcher. Je me souviens de ses mots. C'était il y a longtemps. Cinq ans. Un quinze mars. Ce même quinze mars durant lequel je suis restée silencieuse, cette année. Je n'avais pas envie de me détruire. Je n'avais pas non plus envie de me réjouir. J'attendais que ça passe. Je retenais ma respiration. Je savais que ça ne durerait pas. Que c'était un mauvais moment à passer. Le seize, j'ai pris une grande bouffée d'air frais, et la vie a repris son cours.

« Toi et moi, on est fait du même bois. »

Oui, Chaton. On est fait du même bois. Tu es tout ce que tout ce que j'attends d'un amant. Parce que je sais que ce que tu me donnes à moi, tu ne pourras pas le donner à une autre. Ton mars en vierge. J'ai fait sauté le verrou. Il s'est transformé en magnifique scorpion. Mais un scorpion cérébral. Un scorpion qui baise mon esprit avant de baiser mon corps. Un scorpion que je pouvais emmener où je voulais, juste parce que j'avais réussi à passer au travers des barrières. J'avais été te chercher. Je t'avais pris par la main. Et tu me laissais te guider où je voulais. Au delà des limites que tu ne pouvais franchir seul. Et plus tu me cédais ce pouvoir, plus je t’entraînais loin. Très loin. Parce que mes limites à moi n'existent pas. Les tiennes n'existaient plus. Lorsque tu étais avec moi.

Tu le savais. Tu en avais conscience. Si tu voulais à ce point me posséder, c'était pour rééquilibrer l'échange de pouvoirs. Tu savais que je te laissais me dominer. Que je faisais en sorte que tu me domines. Mais que ce n'était qu'illusions et apparences. J'ai fait de toi l'amant dont j'avais besoin à cette période de ma vie. Je t'ai complètement modelé à mes désirs. Tu me comblais. Surtout parce que j'étais la seule à avoir la clé. Je te possédais. Tu étais à moi. Et putain ce que c'était bon.

Aujourd'hui, tu es frustré de ne pas retrouver ces sensations avec une autre. Tu es frustré que je n'aie plus envie de jouer aux mêmes jeux. Parce que je m'en suis lassée. Parce que ce n'est plus ce que je recherche. Tu sais, le BDSM, ce n'était que pour satisfaire mon besoin de nouveauté et d'originalité. Ça ou autre chose. Non, à vrai dire, pas ça ou autre chose. Je sais exactement pourquoi ça et pas autre chose, justement. Mais aujourd'hui, voilà, je me suis lassée. Et surtout, je suis incapable de me laisser dominer par quelqu'un que je ne domine plus. Je n'ai plus assez de garanties pour pouvoir lâcher prise. C'est paradoxal, mais je suis incapable de m'abandonner, si je ne garde pas le contrôle. Je ne peux plus t'accorder cette confiance, toute relative, mais ô combien indispensable pour que ça fonctionne. Tu es frustré de ne plus réussir à me faire jouir. Tu es frustré de voir que malgré tout, je continue à te faire un effet de dingue. Alors tu me balances des saloperies à la gueule. Je me livre. Je cesse de jouer. Bien décidée à faire taire la méchante sorcière, une fois pour toutes. Je ne veux plus t'ensorceler, je veux te rendre ta liberté. Alors je me fous à poil devant toi. Et tu prends tout à la dérision. Je te hais. De ne pas tenir compte de ce que je ressens. Je me hais. De t'avoir offert ma nudité crue. Et que ça ne te fasse rien. Que ça ne réveille pas en toi le moindre souvenir de ton amour pour moi. Mais non, tu ne m'aimes plus. Ta liberté, tu l'as déjà reprise. Il y a longtemps. Je crois que sans me le formuler ainsi, je l'ai compris. Lorsque. Juste avant que tu disparaisses pendant des mois. J'ai eu peur. Que tu ne saches pas t'arrêter à temps. Que tu m'étouffes pour de bon, cette fois. Pour la première fois, j'ai eu peur. Parce que tu n'étais plus à l'écoute de ce que je ressentais. Et c'était violent. Aussi violent que tes remarques moqueuses, il y a un mois. 

J'en crève. De savoir que tu n'attends de moi que la jouissance. Qu'actuellement je suis la seule capable de te donner. Je sais que c'est pas vrai. Tu n'attends pas que ça. Tu cherches à maintenir un lien. A créer d'autres modes d'échanges. Tu m'invites à cuisiner avec toi. A commenter des émissions stupides, confortablement installés sur ton canapé. Mais ça me broie. Ça me broie parce que tu ne m'appartiens plus.