Mes projets de monastère me font bien rire. Non pas que ce soit une blague, hein. J'suis tout à fait sérieuse, quand je l'envisage. Ça me fait rire, parce que si tu m'avais dit, il y a quelques années, que j'en serais là aujourd'hui, je me serais bien foutue de ta gueule.

J'en discutais avec un ami de très longue date. Qui a été témoin de cette longue période où je partais dans tous les sens. Sex, drugs, rock'n'roll. De la consommation autodestructrice. Il était mon exact opposé. C'était le mec le plus mesuré, le plus réfléchi, le plus prudent de l'univers. Il ne fumait pas, il ne buvait pas. Et il a vécu sa première expérience sexuelle tardivement. Passé le quart de siècle, en fait.

Il m'a vue taper jusqu'à sentir mon cœur sortir de ma poitrine. Il m'a vue m'envoyer en l'air entre la bibliothèque et le canapé, sans me soucier de ce qu'il y avait autour. Il m'a raccompagnée quand j'étais à moitié inconsciente ou quand j'étais tellement défoncée que je paniquais à l'idée de traverser la rue. Il a pris soin de moi pendant mes descentes. Mais il n'a jamais pris part à ces excès. De toute façon, la gentille sorcière s'est toujours mise entre la méchante sorcière et lui. J'avais peur de le casser. Je n'avais pas envie d'être une initiatrice. Je n'avais pas envie de l’entraîner dans ma débauche. J'ai assez vite arrêté de l'emmener avec moi. J'étais une grande fille, je n'avais pas besoin que l'on veille sur moi. Mais on en parlait beaucoup. Je lui racontais tout. Il ne me jugeait pas. Il s'inquiétait pour moi. Il me faisait confiance. Et à côté de ça, il me racontait son néant sentimental. Son néant expérimental. J'ai essayé de le coacher, mais je sentais bien qu'il n'était pas réceptif, alors j'ai vite arrêté. Et puis, il semblait le vivre pas trop mal.
Des années ont passé. Il est parti faire un stage à l'étranger. Et il m'a envoyé un message. Pour me raconter sa première fois.

« Elle te ressemble beaucoup, elle est aussi tarée que toi. C'est une junkie. »

A partir de là, j'ai eu l'impression que nos chemins se croisaient. Qu'on inversait la vapeur. Un étrange pivot. Il craquait sur des filles dangereuses et paumées. Il avait envie de tester ses limites. Il avait envie d'ascenseurs émotionnels. Et moi, je voulais arrêter tout ça. J'étais malheureuse dans ma relation avec Chaton. A vrai dire, cette histoire a été l'apogée de ma destruction. Plus de deux longues années de perte de contrôle. Une relation triangulaire avec la poudre. Il fallait se rendre à l'évidence, l'un de nous était de trop. Je voulais que ça change. J'en avais assez de me faire du mal. 

En avril 2012, j'ai pris conscience d'un aspect fondamental de ma construction. Je me souviens très précisément de ce moment. Moi, l'amnésique chronique. Mon histoire avec Chaton a explosé. Petit à petit, j'ai pris le chemin de la Zizanie que je suis devenue depuis un peu plus de deux ans. Une Zizanie abstinente. Qui avait tout arrêté du jour au lendemain. Pendant les vacances de Noël. Plus de clope, plus d'alcool, plus de prods, plus de sexe. Un besoin impérieux et vital de tout assainir.
Et lui, il me demandait conseil sur une meuf en couple, qui le faisait courir. Une histoire malsaine à laquelle il ne voulait pas mettre un terme.

« Elle te ressemble, elle aussi. Elle est intelligente et dangereuse. Elle me fascine. »

Et putain oui, quand il me racontait, je retrouvais en elle la Zizanie que j'étais, quelques années auparavant. J'anticipais toutes ses réactions. Il n'en revenait pas, que je lise en elle aussi facilement. Je lui décrivais exactement la manière dont elle allait agir, et ça ne loupait jamais. Je le mettais en garde. Et en même temps, je comprenais bien, ce besoin de se faire mal. Je sortais à peine de mon histoire avec Chaton. J'pouvais pas lui reprocher de vouloir vivre ce dans quoi je m'étais moi-même jetée à corps perdu. Alors je me contentais de déployer des filets de sécurité, pour que la chute ne soit pas trop violente.

Aujourd'hui, il veut tout tester. Il se met en danger. Je n'ai plus grand chose à lui raconter, à côté de toutes ses expériences.
Moi, je n'ai plus envie de tout ça. Ma paix intérieure est devenue ma priorité. Je suis prête à tous les sacrifices pour continuer à être sereine et apaisée. Parce que cette vie-là est incomparable. Lorsque je relis mes journaux d'adolescente et de jeune adulte enfant adulte. Écorchée vive. J'pourrais pas me décrire autrement. Je n'étais que douleur et mal de vivre. C'est hyper violent à relire, j'ai l'impression d'assister impuissante à la souffrance insoutenable d'une amie chère à mon cœur. Un peu comme si tu rendais visite à ta meilleure amie, hospitalisée après une tentative de suicide. Ce moment où tu prends conscience de ce qu'elle pouvait ressentir pour en arriver à de telles extrémités. Alors non, pour rien au monde, je ne troquerais mon bien-être contre des sensations fortes. Contre une vie amoureuse. Contre la satisfaction de ma libido.
Alors aujourd'hui, c'est moi qui l'écoute, qui m'inquiète, qui le soutiens et qui le veille. Je lui fais confiance. On a échangé les rôles, c'est fou.

Je trouve ça vraiment très surestimé, la vie amoureuse. C'est pas du tout quelque chose pour laquelle je suis prête à faire des concessions. Je n'ai jamais rêvé de prince charmant. Je n'attends pas qu'on vienne me rendre heureuse, j'y arrive très bien toute seule.
Je suis devenue extrêmement exigeante. Je crois que je suis beaucoup trop égoïste pour l'amour. Dès que ça perturbe ma sérénité, j'y mets fin. Stark. Pourtant, Stark avait tout de la personne avec qui j'avais envie de me projeter. Stark, il venait vivre avec moi, dans ma tête. C'est la seule manière dont j'arrive à être heureuse en amour. Qu'on me laisse me noyer dans mon bovarysme. Qu'on ne me sorte jamais de mes illusions. Sauf qu'on ne s'est sans doute pas rencontrés au bon moment. Stark allait mal. Et j'avais épuisé toutes mes réserves de patience et d'abnégation. Je n'étais pas capable d'attendre qu'il sorte de son donjon de névroses. Oui, mais voilà, des rencontres comme celle-là, on n'en fait pas tous les quatre matins. C'est aussi ce qui participe à la magie, j'en conviens. Mais je n'ai plus du tout envie d'essayer. Je n'ai pas d'énergie à consacrer à la construction d'une relation amoureuse. Qui finira par foirer, dans la très grande majorité des cas. Love is a dangerous game to play. Enfin foirer, je m'entends. Juste que je n'ai plus envie de miser mes illusions. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. I'm not running. No, not running.