Des confessions sur l'oreiller. Orlok est polyamoureux. Enfin, il est surtout encore en tâtonnement. En calibrage. Sa copine n'est pas très à l'aise avec l'idée. Il a encore peur d'être jugé. Ce genre de choses. C'est pour ça qu'il n'en a pas parlé avant. Pour le moment, il se laisse porter par ses envies. Et il avise ensuite. Ils avisent ensuite.

On a parlé de jalousie. C'est compliqué, les relations humaines. Même quand on veut bien faire. Même quand on ne veut pas s'approprier l'autre. On peut être piqué à vif, on peut être insécure. Nos ressentis ne sont pas toujours en accord avec nos convictions.
Je suis une aspirante polyamoureuse possessive. Je suis une aspirante polyamoureuse abandonnique. Ce n'est pas évident à gérer.

J'ai appris à gérer une relation libre. Je l'ai souhaitée. Je l'ai même forcée. J'ai mis Tarabas devant le fait accompli. Si tu me veux vraiment, prouve-le moi ! Mais je m'assurais d'être centre de son monde. Je m'assurais qu'il continue à me dévorer des yeux. Il y avait moi. Et le reste du monde. Les coups d'un soir. Les jolies filles interchangeables. Les morceaux de viande périssables. Le sexe hygiénique. Ça comptait pas. Parce qu'il le faisait pour moi. Parce qu'il savait que c'était la seule manière de me garder. Je n'aurais pas accepté une relation libre déséquilibrée. Si j'ai le droit d'aller voir ailleurs, toi aussi. Parce qu'il le faisait pour lui, aussi. Surtout. Pour avoir l'impression de mener le jeu. J'ai réussi à lui mettre dans la tête que c'était lui qui donnait la cadence. Un peu comme si je pilotais depuis la place arrière. Tarabas aime diriger, il aime que l'on fasse à sa manière. Je lui laissais croire ce qui le rassurait. Tant que de mon côté, tout était sous contrôle. Tant qu'il acceptait de m’entraîner dans les expériences les plus folles, les plus originales, les plus marginales. La règle du jeu était demeurée inchangée. Ce que l'on pouvait appeler taquinerie étant gamins devait à présent s'appeler perversion. Vous savez c'que c'est qu'la perversion ? C'est qu'une affaire de goût, comme la bouffe chinoise : on aime ou on n’aime pas. N'empêche que, quand on est chinois, on a pas le choix. Il pouvait croire ce qu'il voulait. Et quand mes potes ne rêvaient que de routine et de vie d'adulte. De fidélité, de vie commune et de pour toujours, avec leur premier amour. Je poussais la porte des clubs. Viens, on va boire un verre. Viens, on essaye. Allez, cap ! Viens, tu me recouvres de faux-sang et on fait croire que j'ai eu un accident. Cap ? Viens, on s'envoie en l'air dans la remise du jardin, pendant l'anniversaire de ton père. Cap ? Viens, on va s'asseoir au bord du vide. Cap ? Viens, on propose à ta voisine. Cap ? Viens, on propose à ton meilleur ami. Cap ? Viens on prend des somnifères et on s'empêche de dormir jusqu'à avoir des hallucinations. Cap ? Viens, je couche avec ton prof et je lui extorque les sujets de ton prochain partiel. Cap ? Viens, on va prendre un bain de minuit. Cap ? Viens, on monte sur le toit. Cap ! Aime-moi ! Cap ? Quand mes potes ponctuaient tous leurs SMS de « je t'aime », je ne le lui avais jamais dit. Jamais. En quatre ans. Cinq ans. Il y a avait cette phrase, gravée sur un banc du pont des Arts. « Il est inutile de te dire ce que je passerai ma vie à te prouver ». Et puis. Le problème, c'est que même si tu m'disais « j'adore », j'te croirais pas ! Julien, je sais plus quand tu joues et quand tu joues pas. J'suis perdue. Attends deux secondes, j'ai pas fini. Dis-moi qu'tu m'aimes. Dis-moi juste que tu m'aimes. Parce que moi j'oserais jamais te l'dire la première, j'aurais trop peur que tu crois qu'c'est un jeu.

Moi, j'allais toujours plus loin. Je me tapais tout ce qui bougeait. Lui, il me larguait pour une autre. Il avait compris que c'était le seul levier qui me toucherait. Qui me ferait crever de jalousie. Comme lui, lorsque je lui échappais. Pour me glisser entre les draps d'un inconnu. Tu te souviens ? C'est ce jour-là où tu m’as dis que j'serai jamais cap te faire du mal.

J'en ai crevé. A m'en cogner la tête contre les murs. De douleur. Tout s'écroulait. Il m'abandonnait. Il me rejetait. Je n'étais pas assez bien pour qu'il reste auprès de moi. Pas assez jolie. Pas assez intéressante. Pas assez intelligente. Il s'en était enfin rendu compte. Il s'était enfin rendu compte que je n'étais qu'une imposture. Voilà, il avait découvert que son truc, c'était les grandes blondes lipstick. Pleines de promesses. Je n'étais pas à la hauteur.

Aujourd'hui, j'aime Tarabas chaque jour un peu plus. On se lance encore des défis à la con. On n'a jamais cessé de jouer. Mais. Mais, mais, mais. On se connait sur le bout des doigts. On anticipe nos réactions à la virgule près. C'est sans surprise. Sans piquant. Et puisqu'on essaye de ne plus se faire souffrir, il n'y a plus d'ascenseurs émotionnels, pour compenser. Et puis. Puisque je ne suis plus capable de me contenter de sexe avec des inconnus. Tu vois, Orlok, je ne l'aurais jamais sauté, s'il n'y avait pas eu le jeu. Et s'il n'y avait pas eu les longues conversations. La complicité. L'authenticité. Même si ce n'était au départ que de l'authenticité numérique. Je ne suis plus capable de partager une intimité physique avec quelqu'un avec qui je n'ai partagé aucune intimité émotionnelle. Quelqu'un que je ne reverrai jamais. Il n'y a plus les multiples coups d'un soir, pour compenser.
Alors, c'est pas vraiment que je m'ennuie. Mais tu n'es plus un challenge. Je n'ai plus besoin de gagner ton amour. J'ai juste à l'entretenir. Oui, ça demande un effort quotidien. Oui, je sais qu'on est incapable de tomber dans la routine. Et puis, j'fais gaffe, quand même. Parce que je sais pertinemment que le jour où j'arrêterai de t'échapper, tu cesseras de me désirer. Mais. Mais, mais, mais. Ça manque d'adrénaline. En fait, ça manque de danger. J'imagine que... Que j'nous voyais continuer comme ça des années. Quelle conne !

Et puis. Surtout. C'est un fait. Je sais aimer plusieurs personnes en même temps. A vrai dire, je n'arrive pas à faire autrement. J'ai toujours fonctionné comme ça. Et si, jusque-là, je te larguais pour pouvoir vivre mes idylles parallèles. Je n'ai plus envie de choisir. Entre toi. L'amour de ma vie. Et les autres. Les amours de passage. Les amours indéfinies. Je n'ai jamais aimé un-e autre de la manière dont je t'aime toi. C'est impossible. Alors oui, ça a parfois pu être tout aussi intense. Chaton. Mais ce n'était jamais pareil. Et parce que tu étais le premier. Et parce que tu étais le deuxième, parce que tu étais le huitième, le onzième, le vingt-huitième. Je te resterai loyale jusqu'à la fin de ma vie. Je t'aime plus que moi-même. Pour toi, je serais prête à cacher un cadavre. Je serais prête à me faire accuser à ta place.
Sauf que voilà. Je ne peux plus te promettre l'exclusivité de mes sentiments.

Parfois, j'me dis que c'est de l'acharnement thérapeutique. D'essayer encore et encore d'apprendre à être ensemble. D'essayer encore et encore de faire rouler notre tandem. Avec toujours plus de nouvelles conditions. Toujours plus d'ajustements. Mais je ne crois pas aux évidences. Je ne crois pas aux histoires où tout est facile. Alors même si on me dit que tu n'es pas le « bon », je ne veux pas en tenir compte. Cet argument n'a pas de prise sur moi. Je n'ai jamais attendu le prince charmant. S'il se pointait, je crois que je le renverrais chez sa mère, fissa. C'est pas mon truc, la vie monogame, traditionnelle et hétéronormée. Tu sais bien, je ne m'y retrouve pas. J'suis bizarre. Queer. Et si je n'ai pas besoin d'être en couple pour être heureuse. J'ai besoin de toi dans ma vie. Peu importe si l'on se prend un mur. Ça ne me fait pas peur. Je survivrai. Je l'ai toujours fait. Et puis. Après. J'irai m'enfermer dans ma cellule avec mes bouquins et mes fruits. Et la vie sera toujours aussi chouette. Je sais que la vie d'ascète me comblera. Parce que les fantasmes sont toujours plus intenses que la réalité.

J'veux qu'on essaye. J'en ai besoin. J'ai besoin de travailler sur moi, sur mes failles, sur mes insécurités. J'ai besoin d'arrêter d'avoir peur d'être abandonnée, rejetée. J'ai besoin de prendre ce risque. J'ai besoin d'apprendre à composer avec ma possessivité pathologique. Pléonasme. Je veux apprendre à te voir aimer une autre personne. A te voir partager avec elle des attentions. Des intentions. Que jusque-là tu me réservais. Et à être heureuse pour toi. Je ne veux pas que tu m'appartiennes.

Et oui, ça me plairait de pouvoir accepter de la tendresse et des mots doux d'autres que toi. Ça me plairait d'avoir de nouveaux challenges amoureux. Mais si tu dis non, ce n'est pas grave, je ferai sans. C'est un besoin, mais un besoin loin d'être vital. Et je trouverai un autre moyen de travailler sur ma peur de l'abandon. Si tu me dis non, je continuerai à essayer, et essayer encore. Nous continuerons à essayer, et essayer encore. D'apprendre à être ensemble. Tant que tu en auras envie. Parce que. Malgré tout. Tout ce qui m'importe, c'est ton bonheur.

Méga ultra giga facile. De reconnaître de quel film sont extraites les citations du jour. Mais c'est parce que les bébés krakens viennent d'être sevrés, j'ai besoin de trouver des adoptants rapidement.