Je suis en colère. Contre le monde entier. Incarné en la personne de.

J'avais rencard avec une copine, que je n'avais pas vue depuis une éternité. Plus de deux ans. Deux ans, c'est déjà une éternité. J'étais super contente de la voir. On avait plein de choses à se raconter. Et voilà qu'elle débarque avec. L'un de ses anciens collègues. Avec qui elle était dans l'après-midi. Et qui voulait me voir.

Je rembobine. Le collègue en question est un pote avec qui on se tournait autour depuis plusieurs années. Jusqu'à finir par se sauter dessus, il y a environ un an et demi. C'est pas lui qui fera mentir l'astrologie, tout gémeaux sale gosse joueur qu'il est. A force de jouer, il fallait bien que ça arrive. Sauf que. C'est arrivé alors qu'il avait un môme, à peine en âge de marcher. Oui, vous avez le droit de me jeter des cailloux.
Pour éviter toute nouvelle pulsion malheureuse, je l'ai fui comme la peste. Jusqu'à ce qu'on se retrouve dans une réunion à laquelle il ne devait pas être présent. A laquelle il s'est pointé. Mains baladeuses sous la table. Regards rieurs. Fous rires contenus. Impossible de résister. Malgré la culpabilité.
Il m'a raconté le chamboulement qu'avait occasionné l'arrivée de sa progéniture, notamment dans son couple. Concrètement, ils ne baisaient plus. Leur relation s'effilochait de jour en jour. On en a parlé, je lui ai fait part de mon point de vue. C'était un peu étrange, depuis ma place de maîtresse, d'en arriver à lui donner des conseils pour sauver son couple. On va dire que c'est une vision de l'éthique tout à fait personnelle. Quoiqu'il en soit, il n'était pas très optimiste ; il s'emmerdait grave et ne la désirait plus.
Et puis, très peu de temps après, j'ai appris que sa meuf était de nouveau enceinte. J'étais vachement surprise, quand même. Mais après tout, s'ils avaient réussi à améliorer la situation, je ne pouvais que me réjouir pour lui.

Je ne l'avais pas revu depuis. A l'instant où j'ai aperçu sa silhouette avançant aux côtés de celle de ma copine, mes tripes se sont mises à faire du macramé. Bordel. Bordel. Bordel. J'ai pris sur moi pour ne rien laisser paraître. On a dîné tous les trois. Et puis, ma copine a été prendre son train.

Bon. J'crois que le métro est de ce côté, tu repars par où ?
« Tu veux pas aller boire un verre au [insère le nom du bar de ton choix], avant ? »

Dans ma tête, j'assistais impuissante à de sévères négociations entre mon double maléfique et ma p'tite voix. A partir du moment où mon double maléfique a promis. Je ne finirai pas la soirée dans son lit. Aujourd'hui, je me respecte bien trop pour ça. Pour récupérer les restes. La p'tite voix était à court d'arguments. Evidemment, j'ai accepté.
Pour l'entendre me raconter qu'il avait fait l'erreur de sa vie en faisait un deuxième gosse. Que rien ne s'était arrangé. Que c'était même pire encore. Qu'il n'éprouvait non seulement plus de désir. Mais plus d'amour non plus. Mais que maintenant, il devait assumer. C'était donc ça être adulte, avoir un compteur qui affiche de 0 à 210 et ne jamais faire que du 60.

J'ai senti la bouffée de colère monter. Parce que je ne comprenais pas. Vraiment. Comment on peut mettre en jeu la vie d'un gamin qui n'a rien demandé, de manière aussi désinvolte ? Nan, franchement, il y a quelque chose qui m'échappe. Et comment on peut se résigner à ce point à accepter une vie minable, sans vague et sans désir ? Faire des heures supp' au boulot pour croiser le moins possible la meuf avec qui on a choisi d'avoir des enfants. Comment tu peux faire un enfant à une femme que tu ne désires plus ? Putain de merde. Cette femme, ça pourrait être moi. Une femme que l'on berce d'illusions. Tu crois qu'il lui dit qu'il l'aime en la regardant dans les yeux ? Tu crois qu'il ose lui dire qu'il l'aime sans en penser un traitre mot ? Ou peut-être qu'elle aussi, elle fait semblant ? J'comprends pas les gens qui s'enterrent dans leur connerie. J'suis malheureux alors je me mets un nouveau boulet au pied pour être sûr de ne pas sortir de mon confort. Pour être sûr de ne pas être seul. Are you satisfied with an average life? Do I need to lie to make my way in life? Non, définitivement, j'comprends pas les gens. Les autres. Les adultes. J'comprends pas ce qu'ils foutent. Celleux qui se plaignent de leur situation mais ne font rien pour la changer, j'ai l'impression de n'avoir que ça autour de moi. Des ami-e-s à qui tu consacres de longues heures. Du temps et de l'énergie. A les écouter, à leur apporter un regard objectif sur leur situation. Qui comprennent, qui sont d'accord avec toi. Mais qui finissent pas retourner foncer dans leur mur. Avec des excuses bidons. C'est pas tellement que j'attends que l'on suive mes conseils. Les gens sont assez grands et font bien ce qu'ils veulent. Je n'attends rien, d'ailleurs. Mais vient un moment où je ne comprends plus. Vient un moment où mes jauges de compréhension, de patience et de bienveillance sont épuisées. S'ils reviennent chouiner, ils seront sans doute surpris de l'accueil que je leur réserverai. Tu as choisi de foncer dans un mur en toute conscience de cause, je n'ai pas à panser tes blessures. Est-ce que tu vois un petit tonneau d'eau de vie autour de mon cou ? J'ai fait mon devoir d'amie, j'ai été droite dans mes bottes, mon karma se porte très bien. Puisque tu as préféré être mal accompagné que seul, démerde-toi. Je n'en ferai pas plus.
C'est exactement ce qu'il s'est passé. J'ai explosé.

Je m'en suis voulue, après. Parce que je m'en veux toujours lorsque je prends les choses que je ne peux pas changer trop à cœur. Il fait ses choix, il se plaint. Soit. Je n'ai aucun pouvoir de changer quoique ce soit. Sinon lui exprimer que je ne suis plus en capacité de l'entendre.
J'ai fini par me calmer. Je lui ai souhaité du bien courage. C'est lui qui devra affronter son regard, dans le miroir, tous les matins. Pas moi. Et je suis rentrée.

Et puis, parce que cette colère m'était en partie destinée. Je suis en colère contre moi de ne pas réussir à me fondre dans le moule. Ou de ne pas savoir me foutre des coups de pieds au cul pour vivre ma vie complètement hors du moule. Parce que j'ai la frousse. De m'exclure socialement. J'ai la frousse d'être seule. Non, chez moi, ça se joue pas dans des relations amoureuses. Franchement, j'en ai rien à battre d'être célibataire. Comme je le disais, j'attends pas le prince charmant, et je ne suis pas prête à faire suffisamment de concessions pour construire une vie de couple. Le spectre de ma mère plane au-dessus de ma tête, et ça suffit à me garder les yeux ouverts. Surtout pas ça. Surtout pas. Et puis globalement, j'm'en fous, ça ne m'intéresse pas. Ça n'a jamais été une priorité. En revanche, ça se joue beaucoup plus au niveau de mon cercle amical. J'ai peur de ne plus avoir d'amis. J'en ai déjà de moins en moins. J'ai l'impression qu'ils ont tous mieux à foutre que d'entretenir l'amitié qui nous lie. J'en rencontre aussi de moins en moins avec qui je suis sur la même longueur d'onde. Parce qu'à mon âge, ils pensent tous à se caser et à pondre. Et plus jeunes, ben y'a un fossé. On n'a plus tellement les mêmes centres d'intérêt, plus le même prisme. J'rencontre des gens. Sauf que. J'ai rien à leur dire. C'tout.
Voilà. J'ai peur d'être rejetée, oubliée. Si je fonce dans mes projets. J'ai peur de me retrouver seule. Baby, nothing comes for free.

Et là, j'ai toutes les cartes en mains pour changer ce qui ne me convient pas. J'aimerais bien réussir à dégainer la carte du courage. Je suis une putain de froussarde. Je n'arrive pas à choisir entre. Liberté et solitude. Et. Carcan et relations humaines approfondies. Je n'arrive pas à avoir le courage de renoncer à l'un ou à l'autre.