Mon journal est une répétition générale. Il me permet de vérifier que toutes les pièces s'imbriquent bien entre elles, avant de les présenter au public. J'ai exprimé à Tarabas mes envies et mes craintes. Concernant les limites d'exclusivité de notre relation. A peu près comme je les ai (d)écrites, il y a quelques épisodes.

C'est pas simple, d'aborder ce sujet. Il faut y aller avec beaucoup d'honnêteté, de finesse et de courage. Ben oui, il y a quand même un risque important de se faire envoyer balader, voire de se faire larguer sur le champ. Faut réussir à amener les choses. Mais également beaucoup de bienveillance, d'empathie et d'écoute. A moins d'avoir une confiance en soi à toute épreuve, n'importe qui a besoin de se sentir rassuré. Pour ne pas y entendre une déclaration de désamour. C'est essentiel, de tenir compte du ressenti de l'autre, de la manière dont il perçoit la demande.

La première réaction de Tarabas, ça a été de piquer. Il s'est mis à fredonner. Joue, joue, joue. Graeme Allwright, mon amour. Il y a quelques années, il m'avait dit qu'elle avait été écrite pour moi. Tu joues, joues, joues, nuit et jour, jour et nuit. Comme sur une scène, tu joues, joues ta vie. Tu joues avec les autres comme des figurants flatteurs. Qui sont tout juste bons pour vous mettre en valeur. Aïe. En plein dans le mille.

De fait, une relation non exclusive t'oblige à apprendre à communiquer. J'crois que on n'avait pas démarré notre histoire sous cette forme, elle n'aurait jamais duré autant. A partir du moment où tu n'es plus dans l'évidence, tu n'as pas d'autre choix que de t'ajuster, de calibrer, de tenir compte du ressenti de toutes les parties. Ça passe nécessairement par le langage verbal. Il faut mettre des mots sur tout ça. Si tu n'exprimes pas à l'autre que tu n'es pas d'accord, que tel comportement t'a blessé-e ou que tu as besoin d'être rassuré-e, ille ne peut pas le deviner. C'est illusoire de penser que l'on peut rencontrer quelqu'un avec qui l'on entretient un lien magique, qui nous dispense de tout effort de communication. 

Construire une relation non exclusive a été particulièrement salutaire pour développer nos compétences en communication. Et la communication, c'est la meilleure prévention contre l'ennui et la jalousie. Soit les deux principales raisons pour lesquelles je suis systématiquement à l'initiative de la rupture. Avec la peur de l'engagement, aussi. Mais cette peur-là, je commence doucement à l'apprivoiser, elle m'embête de moins en moins.

J'ai l'air, comme ça, de donner des leçons. Et de savoir faire tout bien comme il faut. Il me semble important de rappeler que Tarabas et moi, on a commencé par chercher à se blesser mutuellement, avant d'en arriver là. Pendant des années, on à tout fait pour se rendre malheureux. Pour atteindre l'autre au plus profond de sa chair. Tu l'entretiens à coups d'soupirs, à coups de pleurs. Mais comme tu aimes le drame, tu trouves ton compte dans le malheur. Ça te donne du mystère pour tous ceux qui t'entourent. Et tu peux dire tout haut que tu connais, le grand amour.
Il a fallu du temps. Du temps, mais surtout un désir fort d'avancer ensemble, l'envie de fournir les efforts indispensables pour que ça fonctionne.

Je lui ai précisé que je ne lui mettais pas le couteau sous la gorge. Que s'il n'était pas d'accord, ce n'était pas un problème. Qu'il pouvait dire non. Que je ne m'en irais pas pour autant. Que je voulais juste qu'on en parle, qu'on étudie la possibilité de faire évoluer notre pacte. Qu'on étudie sa faisabilité. Et que si justement ce n'était pas faisable, j'avais suffisamment confiance en nous pour qu'on trouve une alternative. Il s'est apaisé et a rangé ses griffes.
On a longuement discuté. Et on a fini par trouver un terrain d'entente.


« Si je te vois tomber amoureuse d'un autre mec, je ne vais pas gérer. Pour le moment, je n'en suis pas capable. Une fille, à la limite, je peux l'envisager. Si tu entretiens une relation parallèle avec une fille, je pense que je pourrais l'accepter. »
Et si c'est une personne trans ou intersexe, par exemple ?
Il se marre.
« J'en étais sûr ! Je l'ai vue venir de loin, celle-là ! Je te connais par cœur ! Bon ça te convient si je dis que j'accepte que tu t'amouraches de personnes ayant des organes génitaux externes féminins ? »
Femelles, pas féminins. La féminité n'a rien à voir avec ce que tu as dans ton slip. Bon, j'pourrais être plus tatillonne que ça, mais j'vais faire une trève. En vrai, j'suis bien contente que tu me proposes ce compromis. Ce sera moins douloureux pour moi, si je te vois aimer un mec.
« Eeeeeh ! »
Il sourit à pleines dents, fier de me coller.
Oui bon ça va, j'ai cédé à la facilité. Une personne ayant des organes génitaux externes mâles. Ce sera moins brutal, plus progressif. J'aurais moins l'impression que tu ne m'aimes plus, que je ne suis plus la seule, l'unique, l'élue.
« C'est toi qui veux que je me mette à aimer d'autres personnes que toi, ce n'est pas un souhait de ma part, je te signale. »
Oui, je sais. Je suis peut-être un peu maso, mais je sais pourquoi je le fais.
« Soyons sérieux deux minutes, est-ce que tu crois vraiment que je pourrais arrêter un jour de t'aimer ? »
Je ne peux pas répondre à cette question. Parce que l'envisager me donne la sensation de me vider de mon sang par le nombril.
« Tu as toujours le sens de l'image, amor. Je vais répondre à la question à ta place, alors : Non. »


C'est ce qui est dingue, avec Tarabas. Il arrive toujours à me surprendre. Parce que c'est lui qui m'a rassurée, finalement. Parce je n'aurais même pas pu imaginer passer par une étape intermédiaire. Cette étape intermédiaire. Une sorte de compromis préliminaire, où tout le monde trouve son compte et s'habitue progressivement à l'idée du changement. Ouais, moi j'donne plutôt dans l'extrême, dans l'excès. Je ne connais pas la demi-mesure. Il me manque plein de nuances, dans mon prisme de vision du monde. Je commence à en ajouter. Petit à petit. Les nuances, c'est un peu comme les Pokémons, tu cherches à les capturer pour compléter ta collection.
Voilà à quoi se résume ma quête de la sérénité et du bonheur. Je suis une chasseuse de nuances.