Il y a un truc qui m'agace particulièrement chez moi, en ce moment, c'est mon côté brut de décoffrage ascendant franc du collier. 

En ce qui me concerne, je préfère les gens qui ne prennent pas de pincettes. Je préfère qu'on me dise les choses sans tourner autour du pot. Je ne supporte pas qu'on essaye de me ménager. Sinon, je vois très vite les ficelles et ça m'agace. Du coup, j'applique pour les autres ce que je souhaiterais qu'on me fasse.
Mais je sais que tout le monde n'est pas comme moi. Que certains ont besoin de plus de douceur et de préparation pour entendre certaines vérités. Même si ce ne sont que mes vérités.

J'exprime toujours les choses comme je les pense. De manière très directe. Je vais droit à l'essentiel. Et j'me rends bien compte que parfois, ça blesse. J'me rends bien compte que parfois, j'ai été trop brutale, et que j'aurais du un peu plus ménager mon interlocuteur.
Enfin, j'suis brutale mais je ne manque quand même pas totalement d'empathie. Ça me sauve, j'ai envie de dire. Sinon, personne ne voudrait plus me parler, j'crois.

Je me souviens qu'il y a quelques années, Bunny m'avait envoyé par texto que l'un de nos anciens profs venait de décéder. Elle savait que ce prof, c'était pas n'importe quel prof, pour moi. C'était une personne avec qui j'avais longtemps entretenu une relation privilégiée, pour qui j'avais énormément d'estime et qui a contribué en très grande partie à faire de moi la Zizanie que je suis aujourd'hui. C'était un prof chez qui j'allais boire le café, avec qui j'allais au théâtre, avec qui je discutais pendant des heures. C'était un prof que je pouvais prendre entre quatre yeux pour lui dire qu'il avait sérieusement déconné et qu'il se comportait comme un gamin. Et surtout, c'est le prof qui m'a aidée à développer ma conscience politique et militante. Et qui m'a poussée à écrire. C'est lui qui m'a donné donné confiance en ma plume. C'était mon mentor, en fait. Voilà pourquoi son texto était non seulement brutal et mais sans empathie aucune.
Elle ne pensait pas mal faire, elle se disait juste qu'on pouvait rien y faire et que s'apitoyer ne servait pas à grand chose, on n'allait pas en faire tout un fromage, quoi. Je ne lui en veux pas du tout. Mais je me dis qu'heureusement une autre amie m'avait téléphoné quelques minutes plus tôt, pour me l'annoncer. Le ton de la voix, le « j'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer », ça permet de se conditionner pour la recevoir. Et même comme ça, ça a été un vrai choc. Ce n'était pas une mort à laquelle on pouvait se préparer, parce que personne ne savait qu'il était malade. Et puis, on ne se prépare jamais assez à voir mourir les gens qu'on aime.

Voilà, je n'en suis quand même pas au point d'annoncer un décès par texto. Je n'en suis pas non plus à énoncer des vérités vides. Qui ne servent qu'à blesser. J'veux dire, je n'ai pas d'intentions méchantes et cruelles. Mais je reste directe et toujours très franche. Je pense toujours très sincèrement ce que je dis. Et parfois, souvent, je dis très sincèrement ce que je pense. Et comme en plus, j'ai plutôt une façon de penser très indépendante, une vision du monde assez éloignée de la vision la plus communément répandue, ben mes propos peuvent fortement surprendre et déstabiliser. 

Certains de mes amis s'en accommodent très bien. Tarabas, il m'a même avoué que c'est ce qui l'avait fait craquer chez moi, au tout début de notre relation, il y a très longtemps, à l'ère des dinosaures. D'autres beaucoup moins. On m'a aussi déjà fait remarquer que j'étais brutale, froide dans ma façon de dire les choses. Certains amis. Mon frangin. Et puis, ma mère me dit tout le temps que je suis super dure. En même temps, ma mère est cancer-balance, ce que l'on pourrait traduire par bisounours-carpette, donc ce n'est pas très étonnant.

Tu vois, en écrivant ça, j'me rends bien compte que mes propos pourraient être mal interprétés. Genre si y'a un-e cancer-balance dans le coin, il peut se sentir attaqué. Alors que c'est pas du tout mon intention ; je ne résume pas cette configuration à cette traduction, je soulève seulement l'aspect qui arrange mon propos. Moi, j'm'en fiche que l'on me cite tous mes défauts. Même les plus sensibles. Ça ne m'atteint pas du tout. Parce que je les assume sans souci. Voire je les valorise. Par exemple, ça me fait marrer de lire des portraits de mon signe astro qui dépeignent tout le côté maléfique. Voilà, en fait, j'ai relativement peu confiance en moi dans pas mal de domaines, mais je sais qui je suis. Je me connais extrêmement bien. Du coup, ben je ne suis pas touchée quand on critique ma personnalité. Et puis, je suis relativement lucide sur moi. Je sais par exemple que je suis quelqu'un d'extrêmement paresseux, d'individualiste, de manipulateur, que j'ai assez peu le sens des réalités, que j'ai tendance à me laisser porter et à me faire materner, que je suis complètement instable et que je fais tout en dilettante. Mais je sais aussi que je suis quelqu'un d'authentique, de sincère et de profondément juste. Et ça, rien ni personne ne peuvent le remettre en question, je connais ma valeur. En revanche, le côté brut de décoffrage, ça ne tient pas de la personnalité, ça tient du comportement. Il est certain que je ne changerai pas, je ne vais certainement pas arrêter d'être sincère et honnête en toute situation. Mais j'veux bien entendre que j'ai parfois une manière maladroite de d'exprimer les choses.

Voilà, j'aimerais éviter de blesser inutilement les gens. J'peux pas me dire que ce sont des dommages collatéraux, qu'il n'y a que la vérité qui blesse et que c'est aux gens de ne pas accorder autant d'importance à mes propos. Ben non, ce serait trop facile de me dire ça. Même si, idéalement, ce serait bien que tout le monde ait suffisamment de confiance en soi pour ne pas se laisser atteindre par des propos au point d'en être blessé. Mais on a chacun nos propres failles, notre propre vécu, notre propre sensibilité. Et c'est important d'en tenir compte.

Même si je suis parfois agacée, même si je suis parfois fatiguée, je n'aime pas trop l'idée que je puisse cesser d'être bienveillante. Alors j'aimerais non seulement que mes maladresses verbales ne deviennent pas malveillantes. Mais j'aimerais aussi apprendre à être un peu moins maladroite. A savoir un peu plus enrober les mots avec du coton et des bulles de savon, qui exploseraient progressivement, les unes après les autres. Pour que mes mots ne cognent pas trop fort.

Parce que sinon, je sais ce qu'il va se passer. Je finirai par m'en prendre une. Alors pour éviter de blesser et d'être rembarrée, je préférerai fuir. Arrêter d'interagir avec les gens et quitter la réalité. J'irai là où tout est moins compliqué. Je me connais, si je n'essaye pas de changer ce qui impacte d'une manière ou d'une autre mes relations, je vais m'enfermer ma tranquillité monastique, dans ma bulle de fantasmes, je vais passer mon temps à dormir et à lire.

Et quand t'auras la quarantaine, tu t'diras qu'y'avait pas qu'la vraie vie dans la vie.