Aujourd'hui, billet d'humeur. Comprendre : Oui, ça va râler.

Actuellement et depuis peut-être six ans, je me définis globalement comme queer.
Et en ce moment, plus précisément comme agenre, pansexuelle, panromantique et polyamoureuse.
Et, accessoirement (ou pas), antisexiste et fervente adepte des théories conspirationnistes de domination. Oui, être un homme cisgenre, blanc, hétérosexuel, CSP+ est la position la plus dominante et donc la plus privilégiée. Non, je suis pas en train de dire que tous les hommes sont d'affreux garants du patriarcat, ni qu'ils ont la belle vie. Juste que c'est moins évident, pour une personne dominante de se rendre compte et de sa position de dominant, et des réalités vécues par les personnes dominées et opprimées. Mais même moi, en ayant toutes les caractéristiques d'une femme cisgenre, blanche, j'ai une position privilégiée et dominante. Par rapport à une femme transgenre, noire, lesbienne, par exemple. Soyons un peu caricaturaux. Et ça me demande un travail considérable de prise de conscience, de recherches de connaissances, d'écoute et d'empathie pour arriver à seulement imaginer l'oppression que peut subir cette personne au quotidien. Oppression qui ne vient d'ailleurs pas nécessairement des dominants ; les injonctions intériorisées créent les nuisances les plus terribles. Les remarques les plus misogynes, je les ai entendues de la bouche de femmes. Quand c'est pas d'autodéfinies féministes. Et les allusions les plus homophobes de la part de gays. Des exemples parmi d'autres. Mais même avec cet effort-là, je sais que j'en suis loin. Et que malgré toute ma bonne volonté, j'vais pas réussir à mesurer l'ampleur des affronts, humiliations et autres agressions qu'une personne qui n'est pas dans ma situation peut subir.

Pourquoi je te raconte tout ça alors que tu n'en as probablement pas grand chose à faire ? Je me rends compte que j'ai besoin de l'exprimer. Non pas pour moi, je me fiche un peu des étiquettes. Mais parce que je trouve important que soient visibles des identités qui ne sont ni cisgenres, ni hétéronormées. C'est important, parce que ça participe à la connaissance de l'autre, à la connaissance de ce qui est potentiellement différent de nous. Et j'ose croire que c'est la meilleure manière d'enrayer la xénophobie. Et parce que ça permet de rétablir un peu l'équité en terme de visibilité et de sortir d'une norme unique. Et puis, tout simplement parce que moi, je peux me permettre de le faire.
Pour moi, le genre et l'orientation de nos désirs sexuels et amoureux sont fluides. Ce sont des spectres. Ça m'embête beaucoup d'entendre un autre discours. Parce que ça implique qu'il y a aurait une norme, avec des identités acceptables visuellement et normales et d'autres identités minoritaires donc négligeables et cachées. J'ai bien conscience d'enfoncer des portes ouvertes. Bientôt, je les dégonderai.

Je ne me suis jamais revendiquée comme femme. Je ne me revendique pas homme non plus. Je m'identifie comme étant ni l'un, ni l'autre. Ça ne me dérange pas qu'on pense que je suis une femme, ou qu'on me définisse de cette manière. Ou qu'on me définisse homme, d'ailleurs. Ça ne me dérange pas qu'on emploie « elle » en me désignant. Parce que quelqu'un a coché la case "F", sans me demander mon avis. Parce que quelqu'un a décidé à ma place que je serai une fille, comme il a décidé que le lait de ma mère n'était pas bon pour me nourrir. Moi-même, j'accorde encore les participes passés et autres adjectifs avec un -e à la fin. Ou l'équivalent. Parce que la langue française est très genrée. Et qu'il est nécessaire non seulement d'inventer de nouveaux mots non genrés pour définir les individus, mais qu'en plus, il faut s'habituer à les utiliser. Et changer une habitude, ça met du temps.
En revanche, ça me gêne qu'on me qualifie de féminine. Juste parce que j'ai des seins, une vulve et un vagin, bref des organes génitaux femelles. Juste parce que j'ai parfois des comportements socialement reconnus comme appartenant au genre femme. Les comportements sociaux sont construits, il n'y a pas de comportement social lié au genre. Il y a parfois des comportements sociaux liés à une réalité biologique (un besoin de se nourrir et de dormir, ou encore une programmation hormonale destinée à assurer la pérennisation de l'espèce), mais d'une part, c'est juste le besoin qui est lié à une réalité biologique, pas la manière dont on l'assouvit (manger trois fois par jour à table, dormir dans un lit, se séduire, aller boire un verre et s'envoyer en l'air dans la douche). J'ai l'impression d'être assez maladroite avec l'idée que j'essaye de faire passer. Mais en aucun cas, ces comportements sociaux et cette réalité biologique ne sont liés au genre. Ni à l'orientation sexuelle et/ou romantique. Ça me gêne beaucoup qu'on me dise que je suis féminine ou que je ne le suis pas. Parce que je vois pas trop ce que ma vulve, mes fringues, mon sourire et ma (prétendue ou réelle) douceur ou ma (prétendue ou réelle) fermeté ont de féminin. Non, ce n'est pas nécessaire de faire une blague sur la fermeté de mes fesses. On peut rire de tout mais pas avec tout le monde. On peut rire avec quelqu'un mais pas de quelqu'un. Si je suis certaine que tu partages mes positions et mes convictions, alors oui, on pourra se marrer en faisant des blagues graveleuses. Mais tant que c'est pas le cas, j'aime autant que l'humour soit contenu et distillé avec parcimonie et finesse.

Je ne revendique pas hétérosexuelle / hétéroromantique, je ne me revendique pas non plus homosexuelle / homoromantique ou bisexuelle / biromantique. Mais ça ne me dérange pas qu'on emploie l'un ou l'autre de ces qualificatifs pour définir l'orientation de mes désirs sexuels et amoureux. Pour les inconnus, je suis souvent hétéro par défaut. On ne peut pas empêcher les gens d'interpréter de la manière dont ils ont envie. Moi-je n'utilise aucun de ces termes-là. Parce que si tu lis ce que j'ai écrit juste au-dessus, je ne définis pas une personne par son genre. Dans l'idée communément admise, hétéro signifierait que j'éprouverais une attirance sexuelle et/ou affective pour les hommes cisgenres. Ouais bon, on pourrait éventuellement élargir la signification aux hommes transgenres, mais tu avoueras que la plupart du temps, quand on définit des orientations, on parle de personnes cisgenres. Homo, pour les femmes cisgenres. Et bi pour les hommes et les femmes cisgenres. Et les personnes transidentitaires, intersexuées ou agenres, par exemple (liste non exhaustive), où est-ce qu'elles se situent là-dedans ? Je trouve ça excluant, par la définition. Je suis pan, parce que je ne définis pas une personne par son genre, et parce que je n'éprouve pas du désir sexuel ou amoureux pour un genre, mais pour une personne. Je n'ai pas défini de quota ou de plan prévisionnel de ma vie affective et sexuelle.
Et comme pour la féminité, je déteste, mais je déteste qu'on me dise que je « fais hétéro ». Sérieusement, je ne comprends pas ce que ça veut dire. Et j'vois clairement pas le rapport entre mes fringues, ma coupe de cheveux, et mon orientation sexuelle et/ou romantique.

Et après t'avoir fait une liste d'étiquettes, je vais te dire que j'ai un problème avec l'assignation de genre ou d'orientation sexuelle et/ou romantique. Je ne supporte pas que l'on pense savoir mieux que quelqu'un ce qu'il est. Je ne supporte pas que l'on dise par exemple que l'on s'est rendu compte qu'un proche était gay avant qu'il s'en rende compte lui-même, même lorsqu'il avait des relations hétéros. C'est insupportable de penser savoir mieux que l'autre ce qu'il se sent lui-même. Et c'est insupportable que l'on pousse des personnes à se définir. Qu'est-ce qu'on s'en fout de savoir si un tel est gay ? Pourquoi tu te sens le besoin de le préciser ? "J'ai de nouveaux voisins, un couple de deux femmes", t'as dit. Euh, t'aurais apporté cette précision, ô combien utile et indispensable, si ça avait été un homme et une femme ? J'parle même pas de quand t'as rajouté "mais elles sont très sympa, hein". J'vais vomir et je reviens. Comme j'ai un problème avec le fait que l'on prétende le genre d'une personne sans qu'elle s'en soit, elle-même, attribué un. Qu'est-ce qu'on s'en fout de savoir si une personne avec des talons et une barbe est un homme ou une femme ou rien de tout ça ? Pour de vrai, qu'est-ce que ça peut te foutre ? Qu'est-ce que ça apporte de le savoir ?

Et puis, pour être tout à fait honnête, en plus du besoin de rendre visible ce que ma situation me permet de rendre visible, rapport à tout ce que j'ai raconté plus haut, il y avait aussi un simple besoin d'exprimer que là, tout de suite, ça me gonfle. La société, les réactions des gens, et les dominants qui se sentent bien dans cette société et qui ne veulent pas qu'elle change. Ouais, ça me gonfle grave.
Alors voilà, j'ai besoin d'exprimer mon incompréhension et ma colère quelque part. Avant de te demander si quelque chose te fait plaisir ou te rend content ou confortable, demande-toi d'abord si ça te semble juste.

J'illustre, avec un exemple qui n'a rien à voir avec la choucroute : ça me fai(sai)t plaisir de manger du fromage, mais je n'en mange plus, parce que ça ne me semble pas juste de le faire. Parce que ça ne me semble pas juste d'exploiter d'autres espèces pour mon plaisir personnel, ça ne me semble pas juste de faire souffrir d'autres espèces pour mon plaisir personnel, et parce que ça ne me semble pas juste de considérer que la souffrance d'une espèce est moins grave que celle d'une autre. Que la souffrance d'une personne est moins grave que celle du autre. Finalement, on est en plein dans la choucroute. Vegan, décroissante, produite et cuisinée dans le respect des êtres vivants et de l'écosystème, la choucroute, évidemment. Nan, j'abuse pas.

Est-ce que ça te paraît juste que des gens se fassent tabasser juste parce que ça te dérange de remettre en question tes privilèges ? Est-ce que ça te paraît juste que des gens se fassent tabasser, juste parce que ça te gonfle qu'on parle encore et encore de leurs droits ? Ou juste parce que ça te gonfle de réfléchir au fait qu'ils n'ont pas les mêmes droits que toi ? Est-ce que ça te paraît juste qu'un adolescent finisse dans la rue parce que ses parents pensent que le fait qu'il aime les garçons, c'est mal ? Est-ce que ça te paraît juste qu'une fille se fasse mettre des mains au cul, parce que des connards pensent que les lesbiennes existent juste pour satisfaire leurs fantasmes libidineux ? Est-ce que ça te paraît juste qu'on refuse à un enfant assigné garçon de porter une barrette et de jouer à la poupée, parce qu'on a décidé que c'était pas ce que devait faire un enfant assigné garçon ? Est-ce que ça te paraît juste qu'on refuse un emploi à une personne, sous prétexte qu'elle a une apparence socialement différente du genre auquel on l'a assigné à sa naissance ? Est-ce que ça te paraît juste que femme doive mettre sa carrière entre parenthèses pour élever son enfant, parce que son emploi était précaire et son salaire était moins élevé que celui de son conjoint, et que ça revenait plus cher de prendre une nounou ? Est-ce que ça te paraît juste qu'on accuse une victime d'être responsable de son agression ? Parce qu'elle a une jupe trop courte, ou parce qu'elle est grosse et qu'elle ne rit pas aux blagues grossophobes ? Parce qu'elle devrait prendre la vie avec plus de légèreté ? Est-ce que ça te parait juste qu'une personne ne puisse pas se rendre à un endroit parce que tu as garé ta putain de bagnole sur une place réservée aux personnes à mobilité réduite, alors que tu es tout ce qui a de plus valide, et que toi, tu pouvais marcher, après avoir cherché une place de stationnement plus éloignée ? Ouais, j'ai élargi grave. Mais non, je n'ai pas digressé.

Si tu as répondu oui à une seule de ces questions : va te faire foutre. Je te méprise et je n'ai aucune envie de mettre davantage d'énergie dans une approche pédagogue, ouverte et conciliante. Et si, tu as répondu non à toutes les questions, mais que tu n'as pas encore complètement changé tes comportements et que c'est encore assez difficile pour toi de sortir de ton confort, bienvenue au club. Parce que je ne suis pas parfaite, je dis encore des énormités pas possibles, et que je fais encore des trucs pas terribles. Mais je fais en sorte d'être une meilleure moi-même, une moi-même en accord avec mes convictions et ma vision du monde, chaque jour un peu plus. Et c'est tout ce qui compte. Juste, j'en ai marre d'entendre les gens justifier leurs comportements par la notion de plaisir ou de confort. Alors s'il te plait, si tu crois toi aussi que ce n'est pas une raison suffisante pour faire quelque chose qui peut nuire, ne cherche pas à te justifier. Parce que la justification est, je crois, plus insupportable que tout le reste.