Le truc, quand tu te mélanges avec quelqu'un depuis aussi longtemps, c'est que tu ne peux pas toujours éviter les écueils de l'habitude et du confort. Et même si on a bien longtemps résisté. Parce que ni l'un, ni l'autre ne souffrons l'ennui. Parce qu'on a toujours fait en sorte de se surprendre. Malgré tout. Je crois qu'on a fini par céder à la facilité. On se connaît tellement. On connaît chaque point de nos corps qui nous fait vriller. Décoller. Planer. Chaque geste, chaque mot, chaque mouvement, chaque attitude. Ça partait d'une bonne intention. J'crois. J'veux dire, donner à l'autre ce qu'il aime. 

C'est ce que la Despote faisait avec sa progéniture. Des frites. Des biscuits. Des frites. Et encore des frites. Tu vois, c'est ça. L'amour. Vouloir que l'autre nous aime. Parce que ma mère, elle voulait nous rendre heureux. Mais elle voulait surtout qu'on l'aime. Qu'on l'aime pour ce qu'elle mettait dans notre bouche. Putain, c'est méga glauque, comme comparaison. Pour évoquer mes ébats avec Tarabas. Mais je ne trouvais pas de meilleur exemple pour justifier l'argument de bonne intention. Nourricière, donc. Elle nous donnait ce que l'on trouvait bon. Au goût. Ce qu'elle trouvait bon. Sans restrictions. Sans se soucier de fabriquer de futurs obèses, cardiaques et mal dans leurs peaux. C'était tout bénéf', puisque que ça nous rendait malade, et qu'elle pouvait ainsi nous contraindre à rester à la maison. J'aimais pas l'école, je ne m'en suis jamais plaint. N'empêche, elle m'a fait du mal par amour. Tu y crois, toi ?

Pour te dire qu'on a des circonstances atténuantes. Si on s'est confortablement installés. Confortablement habitués. Tarabas, je sais exactement ce qui lui fait plaisir. Qu'est-ce qui m'empêcherait d'aller au plus efficace ? On devient vite accro aux yeux qui brillent. Retrouver ce regard. Ce regard qui te dit. Tu es merveilleuse. Tu es celle qui m'apporte tout ce dont j'ai besoin. Ce regard qui me susurre. Je t'aime. Je t'aime. Oh oui, je t'aime. Moi non plus. Oh, mon amour.

Tarabas n'est pas la personne avec laquelle je prends le plus mon pied. Même si je voulais, j'pourrais pas dire qu'il l'est. Même si. Évidemment. Ça a toujours été. Fort. Intense. L'adrénaline à bloc. On a grandi ensemble. On s'est construit ensemble. On a appris ensemble. Des expériences. Il sait exactement ce qui me fait plaisir. Qu'est-ce qui l'empêcherait d'aller au plus efficace ?

C'est aussi pour ça que je suis violemment tombée dans les bras de Chaton. Il a amorti ma chute. L'opportunité m'était donnée de vivre l'inconnu. Les montagnes russes. La découverte. Un corps que je ne connaissais pas. Une peau dont j'ignorais encore le goût et l'odeur. La rencontre de deux solitudes.
Oui mais. Une fois que tu as fait quatre fois d'affilée Tonnerre de Zeus, c'est plus tellement la longueur de la file d'attente ou les éclaboussures de vomi de ton voisin qui te freinent. La première montée. Interminable. Abrupte. Tu en connais la moindre secousse. Tu sais qu'après, ce n'est pas le vide. Trois petits tours et puis s'en vont.
La même conclusion.

Heureusement qu'il y avait les ascenseurs émotionnels. Ma Tour de la Terreur. Qui nous rendait fous l'un de l'autre. Autant qu'elle nous rendait malades. Sinon.
Mais voilà. Avec Tarabas, on a décidé de ne plus se faire mal. Plus de Tour de la Terreur. Plus de surprises.
C'est pas la personne avec laquelle je prends le plus mon pied. Parce que je m'en fous de jouir. J'm'en fous que ça explose. Je veux que ça frissonne. Je veux me faire peur. Je ne veux pas savoir à quoi m'attendre. A en chialer, me pisser dessus et dégueuler sur mes chaussures. J'veux que ça me retourne les tripes. Exigences.

Aujourd'hui, je maîtrise les risques. Je ne fonce plus tête baissée vers le danger. Oh, j'ai bien retrouvé un Orlok inconnu dans une chambre d'hôtel obscure. Ce n'était rien. A côté de. Ce que je racontais parfois à demi-mots. Sex, drugs, rock'n'roll. Je ne te détaillerai pas mes heures glauques. Les endroits sales et les types louches. C'est pas intéressant, je te promets. C'était toujours la même chose. Étrangement. Toujours la même chose, avec des personnes différentes. Plein. Beaucoup. Jusqu'à. Tu sais, le jour où. Dans un de ces endroits sales. Un de ces types louches. Alors que je n'en avais pas envie. Alors que je lui avais dit que je ne voulais pas. Que j'ai repoussé. De toute mes forces. Pour le principe. Malgré la lame brillante sur ma carotide. Et qu'il a quand même tiré sur l'élastique de ma culotte pour. Entrer. Par effraction. Je n'ai rien senti. Ni ressenti. Le néant émotionnel. Je n'en avais rien à foutre. J'attendais que ça passe. Ma chatte, je ne peux empêcher personne d'y entrer, alors je ne mets rien de précieux à l'intérieur. Je n'avais pas peur. Il pouvait me baiser. Il pouvait me tuer, s'il voulait. Ce jour-là, c'est moi qui me suis fait peur. C'est comme si mes émotions étaient devenues inaccessibles. Comme si tout instinct de survie m'avait quitté. J'ai compris qu'il me faudrait faire deux fois plus d'efforts que les autres, si je voulais apprendre à vivre. Et puis. Il y a eu Chaton. C'est la dernière fois où j'ai eu des principes.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que je ne serai jamais satisfaite. J'veux dire satisfaite longtemps. Je m'ennuie à la vitesse de l'éclair. Je me désintéresse des autres plus vite que (de) mon ombre. Ça ne va jamais. Ça ne me suffit jamais. Parce qu'on ne peut pas éternellement surprendre. On ne peut pas être éternellement une autre personne.

Et c'est en partie la raison pour laquelle je n'ai toujours pas mis un terme à ma relation avec Tarabas. Enfin ça, c'est la raison officielle. Celle que je peux assumer socialement, sans trop rougir. Une sorte de mea culpa de mon instabilité émotionnelle.

Tu parles. Si je ne quitte pas Tarabas, c'est parce que j'ai trop peur qu'un.e autre l'éloigne de moi à tout jamais. Qu'il se rende enfin compte que je ne suis pas à la hauteur. N'importe qui serait plus qualifié.e pour le job. Je ne peux pas envisager qu'il ne m'appartienne plus. Je ne peux pas me le permettre. J'ai déjà perdu trop de membres de mon harem. Tous les autres. S'il part, je ne pourrai plus me regarder dans ses yeux. Miroir, mon beau miroir. S'il part, je me retrouverai face à mon propre reflet.
 

Don't you ever say I just walked away
I will always want you
I can't live a lie, running for my life
I will always want you