Crac, j'allume la mèche et puis.

Revenons à des histoires superficielles, qui ne demandent pas que l'on se pose trop de questions.

La semaine dernière, j'ai perdu mes clés. T'es en train de te dire que je me fous de ta gueule. Non, j'te dis pas que j'ai perdu mes clés comme j'te dirais que j'ai mangé une pomme.

Mercredi, je suis allée au cinéma avec Bunny. C'était l'une de ces comédies à pseudo-message existentialiste. J'dis pas, c'est pile le genre de films que je regarde quand je passe mes journées dans le noir à déprimer. Quand mon cerveau n'a plus aucune disponibilité pour ce qui ne serait pas tourné vers moi-je. De là à aller le voir au cinéma, c'était peut-être pas indispensable, quoi. Mais Bunny me l'a proposé, et j'avais pas trop envie de jeter un œil aux derniers films à l'affiche, pour savoir ce qui me ferait davantage envie. Et puis, on a marché. Comme souvent, avec Bunny. Enfin souvent, c'est-à-dire quand on se voit. Parce que je ne la vois plus aussi souvent que ça. Bunny a sacrément dégringolé de mon échelle amicale. Bunny n'est plus une amie depuis le jour où elle m'a dit. Il faut que je construise mon couple, c'est ma priorité, parce que les amis, ça va, ça vient, alors que mon couple, c'est mon avenir. Résultat, elle n'est plus avec le mec en question. Et c'est tant pis pour elle. Voilà, Bunny n'est plus une amie depuis le jour où je me suis rendue compte que l'on partageait pas certaines valeurs qui me sont essentielles. Depuis, je ne fais plus aucun effort pour la voir ou pour l'écouter. Je la vois si j'ai du temps à perdre et si j'en ai envie. Ce qui fait qu'on se voit presque plus. Et puis, on a bu un thé. Glacé pour moi. Et dégueulasse, au passage. Enfin, elle, elle n'a pas pris de thé, mais c'est tout comme. De toute façon, tu t'en fous un peu. Et puis, je suis rentrée. Enfin, j'ai essayé.

Parce que ça n'a que peu d'intérêt, je ne te raconterai pas comment j'ai fini par apprendre qu'elles m'attendaient à l'accueil du cinéma. Je parle de mes clefs.
Vendredi, je me lève. Après avoir snoozé trois ou quatre fois mon réveil. Pour cause, je m'étais endormie à peine trois heures plus tôt. Et je m'engouffre, le ventre vide, dans le métro natale-capitalisien. Je récupère mon trousseau de maton. C'est au moins ça. Et je décide de me balader un peu dans le quartier. Je sens le soleil sur ma peau, à travers la légère brise. Je laisse le fil de mes pensées s'évaporer un peu plus à chaque pas. Je suis dans l'action, il n'y a plus de place pour la réflexion. C'est vraiment très agréable, comme sensation.
Je ne sais pas trop comment, je me retrouve à poser un pied sur les marches du pont des Arts. Libéré de tous les cadenas qui l'entravaient. C'est dommage qu'ils aient été remplacés par ces panneaux moches. M'enfin, c'est moins dérangeant que les ridicules cadenas. J'comprenais pas trop ce qu'ils foutaient là, tout ce que je voyais, c'est qu'ils gâchaient mon pont. Le pont sur lequel j'ai passé un nombre incalculable de nuits, lorsque j'étais au lycée. Autour d'une guitare et d'un pack de bières tièdes.
J'te plante le cliché décor.

Qu'est-ce que je disais ? Ah oui, le pont. Que j'arpente lentement. J'ai tout mon temps. Jusqu'à ce que. Quelques mètres avant d'en descendre. Deux flashs bleus. Qui m'hypnotisent. Je t'ai déjà parlé de ces flashs bleus, une fois. Exactement le même effet. Mon cœur qui tambourine à l'intérieur de ma poitrine. Si je ne le laisse pas sortir, il forcera ma cage thoracique. Elle rayonne. Putain. Elle est belle.
J'esquisse un sourire. Elle ne se souvient sans doute même pas de moi.

« Eh ! Salut ! Qu'est-ce que tu fais ici ? »
Salut ! C'est chez moi, ici ! Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
« Je suis venue passer des entretiens, dans le coin. J'ai rendez-vous dans une heure alors je tue le temps. »
Ça fait longtemps.
« Oui, très longtemps. Je t'ai cherchée dans les contacts Facebeurk de [notre amie commune], mais je ne t'ai pas trouvée. Et je ne savais pas si tu voulais qu'on garde contact. »
Je n'y suis pas sous mon vrai nom, en fait. Pour être tout à fait honnête, j'crois que c'était plus simple pour moi, de ne pas te revoir. Tout était très chaotique, à l'époque.
« C'est ce que j'ai cru comprendre. »
Mais ça me fait plaisir de te croiser ici. Comment va ta vie ?
« Ma vie va bien, beaucoup de changements en perspective. Ça me fait plaisir aussi. Où en est le chaos ? »
J'sais pas trop. J'ai arrêté de lutter contre.
« C'est bien. »

J'arrange machinalement l'un des pans de sa veste. Elle sourit. Passe sa main sur mes cheveux, « ils ont vachement poussé ». Je pense à les couper. A les amputer de quarante ou cinquante centimètres. Si un jour, je deviens assez courageuse pour laisser Tarabas se rendre heureux sans moi, je serai assez courageuse pour combattre la symbolique de mes cheveux. Mais ce n'est pas le propos. Un prétexte, tout au plus.
Ce besoin de contact. C'est fou comme certaines connivences restent inchangées. Peu importe le temps qui passe. Peu importe le temps que l'on a passé ensemble. Woody et moi, nous avons partagé quelques heures, tout au plus. Woody est ce que le commun des mortels appelle un coup de foudre. Sauf que moi, des coups de foudre, j'en ai à peu près tous les quatre matins. Non, c'est pas vrai. Mais c'que j'veux dire, c'est qu'un coup de foudre, ce n'est, ni plus ni moins, qu'une forte attirance réciproque immédiate. Ça ne signifie rien d'autre. Et surtout pas que la relation qui en suivrait serait merveilleuse et exceptionnelle. Bien au contraire. L'évidence est le pire des écueils.
Dans la vraie vie, le mec qui te renverse son café dessus, il te brûle au troisième degré. Et quand bien même tu t'acharnerais à vouloir l'épouser, il passerait ses soirées au bureau pour te tromper joyeusement avec le mignon petit stagiaire. Ben ouais, en fin de compte, ce mec, tu ne le connais pas. Tu ne croyais quand même pas qu'il préférerait regarder la saison 10 des Mystères de l'amour en te grattouillant le dos ?

Woody, la première fois que j'ai croisé son regard. La deuxième fois, aussi.
Tu l'entends ? Le cheval mal débourré qui galope juste sous mes os. J'entends ses fers cogner mon sternum.

On a parlé. Elle est allée à son rendez-vous. Je l'ai attendue. Ouais, j'ai fait ça. Et on est allées se vautrer sur les chaises verdâtres du Jardin des Tuileries. J'aurais bien fait un tour de manège, s'il n'avait pas fait aussi chaud. Je me serais bien contentée de le regarder tournoyer. Je n'arrivais pas à détacher mon regard de ses lèvres. Elle a fini par me le faire remarquer, mutine.

« J'ai un bout de salade entre les dents ? »
Je ne suis pas sûre, tu permets que je me rapproche pour vérifier ?
« Rapproche-toi donc, on n'est jamais trop prudent. »

C'est quand même pas hyper pratique, ces chaises.

Était-ce vraiment une question de timing ? La fin précipitée de notre aventure. Quelques heures après notre rencontre. J'avais la frousse aussi, pas mal. Et puis, ça me questionne, ce truc du mauvais timing. Est-ce que j'aurais pu rencontrer Stark dans un « bon timing » ? Tu crois pas que malgré tout, ça ne puisse pas être une bonne chose que ça ne fonctionne pas au moment où on l'espère ?

Ouais. J'te parle de Stark. Parce que j'ai rêvé de lui. Encore. C'était chaud. Putain. C'était d'autant plus chaud que je partageais le lit de Tarabas, cette nuit-là. C'était tellement chaud que la Culpabilité en personne est venue m'extirper des bras de Morphée. C'était pas chaud comme tu l'imagines. Oui, ça aussi. Mais surtout. Il était là. A me dire exactement ce que j'aurais voulu entendre, il y a dix mois. Et je plongeais. Toute entière. Sans le moindre doute.
Les yeux à peine ouverts, et alors que Tarabas dormait profondément, j'ai tapé son nom, dans la barre de recherche de Facebeurk. Juste comme ça. Juste pour voir. Et je me suis retrouvée à réprimer un « Oooooh ! Il est trop chooouuu ! », à la vue de sa photo de profil. Ouais. Tu peux le dire. Et puis. Évidemment. J'ai stalké à mort. Pour m'assurer qu'il ne filait pas le parfait amour avec une greluche quelconque. Qui serait indubitablement une greluche, dans le contexte. Aucun indice ne me permettait de penser qu'il était passé à autre chose. Tu aurais pu lire le soulagement sur mon visage. Pfff. Il n'a pas le droit de passer à autre chose, alors que moi je n'y arrive pas n'en ai pas envie. Je te l'accorde, c'était vraiment pas l'idée du siècle.

Alors je me demande si. Si ça vaut le coup de faire revivre une attirance passée. De toute façon, c'est trop tard. Ce serait trop cruel de jouer au yo-yo avec Woody. Cours-moi après. Montre-moi que je suis assez bien pour toi.
C'est trop tard, alors j'ai répondu à son dernier SMS. Et à celui d'avant. Et à celui d'avant encore.

Qu'est-ce qui cloche chez moi pour ne jamais vouloir aller au bout de mes décisions ? Pourquoi est-ce que je réponds à Woody, alors que même mes hormones sont ailleurs. Surtout cette putain d'ocytocine, dois-je le souligner. Je suis chimiquement invalide pour le reste du monde.

C'est bien pratique, les histoires inaccessibles. Ça permet d'éviter de se prendre les pieds dans la réalité.

Mais c'est plutôt raté pour ce qui est de ne pas trop se poser de questions.

 

« – My primary concern with being granted tenure is living with an insanely jealous roommate after the fact. I might need to sleep with a gun under my pillow. Or a chainsaw.
– Or you take advantage of your newfound economic stability and move out, buy a house, get married, start a family.
– Or, the chainsaw. »