Je suis entière et exigeante. En relations humaines, en général. En amitié, en particulier. Pour moi, un.e ami.e est une personne qui fera toujours passer notre amitié avant ses intérêts personnels. Autant que je fais passer mes amitiés avant mes intérêts personnels. Je sais, je suis terriblement naïve et décalée. Je ne peux supporter que l'on considère un.e ami.e comme une option. Devenir mon ami.e, c'est signer un pacte de sang. Et s'engager pour l'éternité. A être loyal.e, présent.e, à l'écoute, attentionné.e, bienveillant.e, enthousiaste, authentique, sincère et franc.he. Si je suis amie avec quelqu'un, c'est parce que j'ai envie de passer du temps avec cette personne, que je me sens bien quand elle est là, qu'elle me manque quand je ne la vois pas. Que je ris à ses blagues, que je pleure avec elle lorsqu'elle est triste, que je ramasse sa veste pleine de vomi pour la raccompagner chez elle après une soirée arrosée. Que je suis capable de faire passer son bonheur avant le mien. Pas toujours et pas à sens unique. Quoiqu'il en soit, je ne trahirais un.e ami.e pour rien au monde. Et surtout pas parce que j'ai choisi de privilégier une autre relation. Surtout pas parce que j'ai de nouveaux projets.

Un.e ami.e n'est pas parfait.e, non. Bien évidemment qu'ille peut faire des erreurs. Ne pas toujours être à la hauteur. Mais un.e ami.e est capable de les reconnaître et de chercher à les réparer, s'ille a eu un comportement blessant ou lâche.
Eh mais meuf, tu parles de tes ami.e.s comme de l'homme ou de la femme de ta vie ! Oui, c'est un peu ça. Mes ami.e.s sont les femmes et les hommes de ma vie. Je suis possessive mais pas exclusive. Plus que ça, mes ami.e.s sont ma famille. Celle que j'ai choisie. Je les aime d'un amour inconditionnel. Je suis prête à leur pardonner mille fois. Dix mille fois. Vingt mille fois. Encore faut-il qu'illes souhaitent poursuivre notre relation.

Sauf que. Passée l'adolescence, tu ne trouves plus personne pour sceller un serment en crachant. Et plus tu entres dans la période socialement consacrée aux injonctions à devenir adulte, plus tes ami.e.s choisissent de le briser. Ou simplement de l'oublier. 
Et il arrive ce jour où tu regardes autour de toi, et tu te rends compte qu'il n'y a plus une seule personne que tu puisses qualifier d'ami.e. Oh, des connaissances et du copinage, tu en as à revendre. Même des personnes à qui tu peux ponctuellement te confier. Bien que ce soit la plupart du temps elles qui t'appellent pour te demander conseil sur leurs histoires de cul avant de disparaître pendant plusieurs mois. Mais quelqu'un à appeler en pleine nuit pour t'accompagner aux urgences, non. Quelqu'un avec qui vider un pot de glace – végane – devant La Caverne de la rose d'or, non. Quelqu'un qui n'a pas toujours mieux à faire que de te voir, non. Quelqu'un qui ne met pas systématiquement son mec ou sa meuf du moment en balance avec toi, non. Ne serait-ce que quelqu'un pour tenir ses engagements, encore non.
Oh, il y a bien quelques personnes que tu qualifies toujours d'ami.e.s. Mais elles sont loin. Géographiquement. Et même si l'amitié survit aux kilomètres, c'est quand même pas pareil. Ce sont des fusions par intermittences. Quand on se retrouve, tout est comme avant. Quand on se quitte, le distance fait son œuvre. Et même si l'on arrive quand même à tout savoir de la vie de l'autre, les messages et les coups de téléphone ne remplacent pas les moments passés ensemble.

Je suis fusionnelle en amitié. Plus que fusionnelle, je me nourris de relations gémellaires. Parce que c'est un peu comme ça que je me suis construite.
Je te parle rarement de mon frangin. Malgré nos vingt mois d'écart, je l'ai toujours considéré comme mon jumeau. C'est bizarre, hein ? A vrai dire, quand on était petits, tout le monde nous prenait pour des jumeaux. Parfois même nos parents. C'est une relation extrêmement forte, qui se passe de mots. A l'approche de la trentaine, on demeure extrêmement tactiles l'un envers l'autre. Quand on se retrouve pour parler, on s'installe collés, côte-à-côte. On se tournicote les cheveux. On se serre dans un lit une place pour regarder des vidéos. On parle des heures, sans en avoir marre. En fait, on se fait assez peu de confidences. On reste extrêmement pudiques sur nos vies respectives. Ou alors, on passe par des biais. Tu vois, quand j'ai envie de dire à mon frère que je suis avec quelqu'un ou que je tourne autour de quelqu'un, je lui demande de m'aider à faire son thème astral. Ou de m'expliquer une incohérence astrologique. A question existentielle. Genre, comment un Verseau égalitariste peut supporter un Lion machiste. Il ne le supporte pas, il joue la groupie. On tombe souvent malades ensemble, même lorsqu'on ne se voit pas, même lorsqu'on ne le sait pas. Pas plus tard qu'il y a deux jours, on devait se retrouver dans ma Natale Capitale. Je lui envoie un message pour lui demander de reporter ; je n'ai pas réussi à dormir, l’œsophage me brûle jusque dans la gorge. Il me répond qu'il préfère, parce qu'il n'a pas dormi non plus, il a mal à une côte. Il ne sait pas trop, une déchirure probablement. Tu vas trouver ça anecdotique, mais c'est tout le temps comme ça. On a les mêmes périodes de cafard et de repli sur soi. La même appréhension du monde des adultes. Le même sarcasme moqueur. Encore aujourd'hui, quand ma mère nous pose une question, à l'un puis à l'autre, sans que l'on se soit consultés et sans même savoir qu'elle a déjà posé la question à l'autre, on lui fait la même réponse. Les mêmes mots, j'veux dire. La même intonation. Mon frère, c'est mon pilier identitaire. C'est mon miroir.
On n'a pas vraiment le même caractère. Je suis plus exubérante et directive. Il est davantage introverti et docile. On ne se supporte pas quand on vit ensemble. Lorsque je l'ai ramené dans mon Grand Nord Hostile, on a passé notre temps à s'engueuler et à s'envoyer des vacheries à la gueule. Mais dès que l'on est loin l'un de l'autre, on se manque. J'ai du mal à ne pas le voir pendant plusieurs mois. Et finalement, malgré nos caractères en apparence opposés, on se ressemble énormément. On a les mêmes exigences, la même sensibilité. C'est simple, il est Terre ascendant Air, je suis Air ascendant Terre. Il est autiste, je suis schizoïde. On a tous deux le physique gouverné par Vénus. Lui, par son ascendant Balance, aux larges épaules et au regard bovin. Dans ma bouche, c'est un compliment. D'abord, parce que les vaches ont les plus beaux yeux de la terre, c'est un fait. Ces grands yeux mi-clos aux longs cils fournis, ce regard perdu qui ne fixe jamais, ça a un charme fou. Moi le pur Taureau vénuso-lunaire dans toute sa splendeur, au physique massif et dilaté, à la bouille ronde et enfantine, pleine de joues et de lèvres, supportée par  un cou large et court. Et surtout, on a la même putain de Lune de merde en Cancer. Ouais, je n'assume toujours pas ma Lune, elle me pourrit la vie. Non mais sérieusement, comme si on n'avait pas assez tendance à prendre du poids avec Vénus. Le combo de choc, toujours plus de chair. Tu mets une cuillère de vinaigrette sur ta salade, tu prends quatre kilos. Et comme si ça ne suffisait pas, on est tous les deux impactés par le sadisme plutonien. Même si Pluton est bien plus apparent dans mes réactions, quand tu connais un peu mon frère, tu t'aperçois qu'il n'est pas aussi immaculé qu'il ne le laisse paraître. Elizabeth Teissier confirmera, quand je regarde mon frère, c'est comme si je me voyais dans un miroir déformant. 

Alors voilà, même si personne ne me croirait, si je disais que mon jumeau est né vingt mois après moi, c'est avec lui que j'ai appris à me construire. C'est avec lui que j'ai appris l'altérité. Et que l'altérité est la ressemblance. L'autre, c'est le même que moi. Tu comprends pourquoi je ne peux qu'être déçue par tou.te.s celleux que je croyais être les mêmes que moi.