Attention : Article totalement autocentré. Moi-je et mes ressentis. Si ça manque d'empathie et de bons sentiments, tu en trouveras bien assez ailleurs.

 

« Tu vas bien ? »
« Zizanie, ça va ? »
« Où es-tu ? »
« Rassure-moi ! »
« Est-ce que tu vas bien ? »
« Tu bosses, ce soir ? »
« Dis-moi que tu es restée chez toi. »
« Donne-moi de tes nouvelles au plus vite ! »
« Tout va bien, dis ? »
« Zizanie, t'es où ? Ça va ? »

Le bip-bip de mon téléphone ne cesse de retentir. Il est presque une heure du matin. Mais qu'est-ce qui leur prend, à tou.te.s ? Oui, je vais bien. Enfin j'crois, j'aime pas trop me faire réveiller alors que je suis au chaud sous ma couette.

Le début de l'angoisse. Cette fois, c'est à mon tour d'envoyer des messages affolés. Putain non, pas le Bataclan ! J'ai des potes qui y sont, là. C'est pas possible, c'est un cauchemar. Je pense immédiatement à une amie et à mon cousin. C'est au bout de leur rue. Ils passent tous leurs week-ends dans les bars alentour. Soulagement. Illes vont bien. Restez chez vous, les gars, faites attention ! Et merde ! L'un de mes potes jouait dans une salle juste à côté, ce soir. Plusieurs de mes connaissances étaient allées le soutenir. Illes sont où ? Illes vont bien ? Illes sont cloîtré.e.s dans un bar, illes vont bien. Enfin, bien, c'est relatif. Mais j'ai des nouvelles, c'est déjà ça. Ce n'est pas le cas pour tout le monde.

Putain, Chaton, c'est pas le moment de jouer à cache-cache. Je t'ai assez attendu et assez cherché ces cinq dernières années, tu ne crois pas ? Je te jure, Chaton, si je te retrouve, tu vas prendre mon poing sur la tronche. Juste avant que je te serre très fort dans mes bras. Mais t'es où ? Pas là, mais t'es pas là. J'ai le droit de chanter du Vianney dans mon post si je veux. C'est ça ou je vire à l'hystérie.
Je rafraîchis frénétiquement mon téléphone et les réseaux sociaux. Slalomer entre tous ces visages perdus, ces inquiétudes, ces annonces de décès. Je m'en veux d'avoir ces réactions stupides. Mais j'ai peur, là, tu vois. J'ai peur que mon monde s'écroule vraiment. Passés l'effroi, l'incompréhension, la culpabilité. Ce moment où tu te demandes. Pourquoi elleux ? Pourquoi toi, tu n'as pas pris tes places pour aller jouer les groupies ? Sinon parce qu'il n'y avait pas Josh Homme, pour baver devant. Tout le monde sait que tu fantasmes grave sur Josh Homme, bordel. Pour une fois, j'peux lui dire merci. Son absence a contribué à ce que je reste en vie. Pourquoi toi, tu n'étais pas en train de boire un verre dans ce bar ? Dans ce quartier ? C'était un vendredi soir, pourtant. Un vendredi soir comme les autres. Tu aurais pu y être. Tu aurais du y être.

Je n'y étais pas, et c'est tant mieux. Si j'arrive encore à râler, c'est que je suis vivante. Pour combien de temps ? Ne pas y penser. Surtout, ne pas y penser.

En attendant, j'vais pas m'en priver. De râler. Parce que tout ce dégoulinement de patriotisme et ces injonctions à la prière me donnent envie de gerber.
Mais fermez-la, les gens. Abstenez-vous d'être con.ne.s, putain.
Je viens encore de supprimer l'un de mes contacts Facebeurk, après avoir saturé de ses appels à Jésus et de ses condamnations islamophobes. Moi, j'te l'dis, le monde va mal. Pas pour les attentats. Enfin si, ça aussi. Mais les réactions de mes pairs sont sacrément flippantes. J'te jure, quand j'ai vu toutes ces photos tricolores dans mon fil d'actualité, j'ai eu la nausée. V'là qu'ça r'commence, v'là qu'ça leur r'prend.

J'm'en fous, finalement. Là, tout ce que je veux, c'est savoir que tu vas bien. Juste savoir que tu vas bien. J'veux pas croire qu'il puisse en être autrement. Je n'ai aucune raison de penser que tu es mort. Sauf que. Tout le monde m'a répondu et pas toi. Il est treize heures, là, putain. Il est quatorze heures. Quinze. Dix-huit. Vingt. Vingt-trois.

Et puis. Une longue journée après le début de l'angoisse.
« Yep. Je suis chez moi, je vais bien. »
Plus pour très longtemps, mec. Parce que je vais te casser la gueule pour m'avoir fait vivre une frayeur pareille.