Merci Maman.
J'ai toujours été la plus critique vis-à-vis de l'éducation que tu nous à donné. Je t'ai reproché jusqu'à ta façon de nous aimer. Mais aujourd'hui, j'ai seulement envie de te dire merci. Du plus profond de mon cœur. Merci de m'avoir élevée dans le respect et la tolérance. Merci de m'avoir élevée avec bienveillance, générosité, humilité.

Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne poste pas de faux avis de recherche de victimes sur les réseaux sociaux. Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne répands pas non plus de fausses rumeurs de décès. Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne trouve pas amusant de jeter des pétards pour affoler les passant.e.s. Merci parce qu'aujourd'hui, j'arrive quand même à avoir un peu d'empathie pour accepter que des petit.e.s con.nes soient désorienté.e.s au point d'avoir des comportements aussi stupides. Merci, parce que j'arrive encore à contextualiser des comportements effrayants.

Merci, parce qu'hier, je n'ai pas condamné pas les personnes qui n'étaient pas Charlie. Merci, parce qu'aujourd'hui encore, je m'autorise à la fois à ne pas être Charlie et à la fois à trouver insupportable que l'on tue des êtres vivants pour des idéologies. Que l'on tue des êtres vivants tout court, d'ailleurs. Merci parce que mes émotions ne prennent pas toute la place dans ma réflexion. Et que si j'étais rarement d'accord avec les publications de Charlie Hebdo avant le massacre gratuit et atroce dont ses membres ont été victimes, je n'allais pas l'être davantage après.

Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne comprends toujours pas qu'on puisse faire des amalgames entre des personnes qui se revendiquent de telle ou telle confession et des idéologues terroristes assoiffés de pouvoir et leurs soldats zombifiés. Entre des réfugiés Syriens et des idéologues terroristes assoiffés de pouvoir et leurs soldats zombifiés. Entre des détracteurs de Charlie Hebdo et des idéologues terroristes assoiffés de pouvoir et leurs soldats zombifiés.
Merci aussi parce que je n'ai pas découvert ce week-end que la France bombardait la Syrie. Et que je trouve affolant que ce soit une révélation pour une majorité de personnes habitant en France. Merci parce que j'ai toujours essayé de comprendre les enjeux politiques et économiques dans ce que l'on nous fait passer pour une guerre de religion.

Merci, parce qu'aujourd'hui, j'arrive à avoir le recul nécessaire pour ne pas accepter le filtre tricolore sur ma photo de profil. Ou pour ne pas balancer des injonctions à la prière à tour de clavier.
Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne considère pas que les femmes en robe font partie du patrimoine français, au même titre que les croissants et le café. Parce que je trouve insupportable que l'on s'approprie des êtres vivants et qu'on les brandisse en comme on brandirait son jouet préféré pour narguer son voisin. Je rappelle à toutes fins utiles que les femmes, qu'elles soient belles ou non, qu'elles portent une jupe ou non, qu'elles flirtent ou non, sont des êtres vivants. Et qu'elles ne sont pas « vos » femmes. Putain de merde, réfléchissez à vos prétendues bonnes intentions. 

Merci, parce qu'aujourd'hui, j'arrive à avoir le recul nécessaire pour déceler les récupérations politiques. Merci parce qu'aujourd'hui, je ne crois pas aveuglément ce que l'on me raconte dans la presse. Merci parce qu'aujourd'hui je suis capable de voir que ce putain d'état d'urgence est le début de la fin et que si nos dirigeants politiques (j'aimerais beaucoup pouvoir un jour inclure le féminin à "dirigeants") se permettent ça aujourd'hui, on n'est pas dans la merde, les gars ! Que c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres. Qu'on ne protège pas la liberté en suspendant l'état de droit. Qu'on ne protège pas la liberté avec des interdictions et des restrictions. Que l'état d'urgence est en lui-même le pire danger auquel on puisse être confronté.e.

Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne suis pas azimutée par mes réactions impulsives. Merci, parce qu'aujourd'hui, je n'éprouve ni haine, ni envie de vengeance. Merci, parce qu'en toutes circonstances, je reste profondément antimilitariste. Merci, parce qu'aujourd'hui, je sais que le choix des armes n'est jamais celui des dominés. Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne veux pas être en possession d'une arme à feu. Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne veux pas être entourée de personnes en possession d'une arme à feu. Merci, parce qu'aujourd'hui, je ne demande pas la paix en agitant patriotiquement un drapeau national et en envoyant des bombes sur des gens.

Merci, parce qu'aujourd'hui, je sais m'entourer de personnes qui partagent mes valeurs.

Et surtout. Merci à toi, croyante, née dans un pays musulman, de m'avoir permis de devenir aujourd'hui une enfant adulte complètement athée et violemment anticléricale. Merci de m'avoir permis de dire que la religion est l'un des plus gros enjeu de pouvoir qui existe sur cette planète. Merci de m'avoir permis de dire que la religion est l'une des plus grosses merdes qui existe sur cette planète. Ta religion comme toutes les autres. Merci de m'avoir laissée gueuler quand ma grand-mère a parlé de sacrifier un mouton. Merci à Grand-Mère aussi pour l'avoir entendu. Compris. Merci à Grand-Mère pour ne pas diaboliser tous les comportements contraires à sa religion. Pour accepter du champagne à sa table. Pour allumer des cierges dans les églises. Merci à elle d'avoir été cette petite fille intrépide, qui se barrait de chez elle à vélo. Qui refusait de se marier et de se voiler. Merci à Grand-Mère et à ses parents pour avoir laissé ma tante et sa cousine bronzer nues dans le jardin. Parce que oui, à une époque, tout ça était parfaitement possible, même dans un pays musulman. Et merci à Grand-Père, surtout, pour avoir été cet intellectuel autodidacte, respectueux et bienveillant en toute situation.
Merci de m'avoir laissée rencontrer des personnes qui m'ont aidée à me forger un regard critique et des convictions militantes.
Merci à vous trois d'avoir contribué à ce que je devienne un être libre de penser. Libre de s'exprimer. Libre de râler, même lorsque ça concerne un événement aussi tragique.

Merci Maman de m'avoir accompagnée dans la vie. Je t'aime.