Je n'ai pas besoin de relation amoureuse. J'ai besoin de compagnie, de tendresse et d'amour inconditionnel, ça oui. Mais je me fous d'être amoureuse. D'une personne réelle. Je suis amoureuse en permanence d'innombrables personnes. D'innombrables personnages aussi. Mort.e.s ou vivant.e.s. Réel.le.s ou imaginaires. Connu.e.s ou inconnu.e.s. 

Là, tout de suite, je suis amoureuse de Freddie Mercury. De Tim Curry. En Frank-N-Furter. De Lhasa de Sela. De la pianiste que je viens d'écouter. Du mec qui tient le magasin bio près de chez moi. De mes amies. De mes amis. De mes ex. De mon petit collègue super chou. Enfin ça, c'était avant que j'apprenne qu'il venait de fêter ses vingt-trois ans. Je me suis sentie pédophile. Si je continue à lui tourner autour, j'aurais l'impression de pervertir un enfant. C'est inenvisageable. Enfin, c'est pas tant l'âge, hein. Il ne fait que confirmer un ressenti. Le fossé du vécu. De Chaton. De mon pote, fardé de blanc, la cornette sur la tête. En Soeur de la Perpétuelle Indulgence. De mon mentor du lycée. De ma collègue de chant. De Schtroumpf grognon. De la fille du film que j'ai regardé hier soir. J'sais même pas comment elle s'appelle. Et à vrai dire, ça ne m'intéresse pas. De Jodie Foster. De Kate Winslet. De ma prof de fac. De Mano Solo. Du mec de ma copine. De Tarabas. De Daria. Et de Trent, à la fois. De Cuillère. De Jean-Luc Azoulay. De Jolene. De Ed Wood. En Glen. Ou en Glenda. De ma copine bombe sexuelle. De mon pote de maternelle. De Sophie-Marie Larrouy. En Vaness'. Et en elle-même. Du mec dont je suis la chaîne YouTruc. De la meuf dont je lis le blog. De Jiminy. De mon prof de dessin. De Damien Saez. D'Elle. De Stark.
Liste non exhaustive.

Je t'ai parlé de ce mec avec qui j'ai bu un verre. Si, rappelle-toi, le mec dont l'écoute me mettait mal à l'aise, parce qu'elle me semblait intéressée. Qui me faisait plein de compliments déguisés et essayait de me paraître agréable et gentil. C'est bon, tu situes. Appelons-le Belane, pour que ce soit plus simple, à l'avenir. Et parce que ça romance un peu le truc, ça le rend moins lisible. Donc plus attirant. Ouais, parce qu'il est quand même à mille lieues du personnage.
Bon, ben. Son entreprise de séduction se vérifie plus que jamais. Il m'envoie des messages. Il me propose d'aller boire un autre verre. Il répond rapidement. Me fait remarquer qu'il est déçu de ne pas m'avoir vue hier. Qu'il pensera à moi en écoutant l'opéra que j'ai évoqué un peu plus tôt dans la conversation. Ça me paraît sans équivoque.

Oui mais moi. Ben, je n'ai pas envie de séduire pour de vrai. Je n'ai surtout pas envie d'une relation réelle. Je préfère qu'elle en reste à l'étape imaginée, projetée, idéalisée. Ça me suffit. Tu vois, je me suis imaginée baiser avec lui. Ça ne m'a pas dégoûtée du tout. J'veux dire, il peut potentiellement me donner envie de baiser avec lui. Mais je n'avais pas du tout envie que ça se réalise. Avec lui ou avec un autre. Et puis, je n'ai pas envie qu'il mène le jeu. Ça m'emmerde. Et comme il est vieux. C'est le risque. Le truc, c'est que je n'ai pas non plus envie de prendre la main. Enfin, si j'avais envie de basculer dans le réel, c'est clairement ce que j'aurais eu envie de faire. Mais je n'ai juste pas envie de réalité. La réalité m'ennuie. Depuis toujours. J'ai essayé de m'y faire. Mais tu vois, si j'avais retiré tout le romanesque dont je dotais chacune de mes histoires réelles. Si je n'y avais pas convoqué la magie. Ça n'aurait eu aucune espèce d'intérêt. Ouais, parce que la prétendue magie des relations amoureuses n'existe que si tu fais en sorte qu'elle se développe. Si tu joues pas à l'apprentie sorcière, tu peux toujours l'attendre. Voilà, j'crois que je suis nonne pour de bon. Ça fait trois ans que c'est sous-jacent. Que je ne trouve plus grand intérêt dans les histoires vraies. Ça fait trois ans et je m'avoue enfin préférer mes icônes aux vrai.e.s gen.te.s autour de moi. C'est pas trop tôt.

Je sens que je vais faire comme avec Rahan, je vais me montrer amicale par les paroles, séductrice par les gestes. Parce que ça m'amuse. Et que j'ai du mal à faire taire la sorcière qui est en moi. 
Je ne sais pas trop s'il m'intéresse. J'crois que c'est plutôt son parcours, qui m'intéresse. Parce qu'il connaît bien le domaine dans lequel je cherche à aller. J'crois que je la joue opportuniste. Je ne suis pas tout à fait en accord avec ça. Je n'aime pas trop l'idée que je puisse laisser créer une relation. Amicale ou non. Par intérêt. Ce n'est pas ma seule source de motivation, soit. Parce que j'aime beaucoup discuter avec lui. Parce qu'il me porte de l'attention. Mais ce prisme existe. Et je n'aime pas trop l'image qu'il me renvoie de moi. Je ne suis pas authentique. Je ne suis pas sincère.
N'empêche. Pour une fois, j'ai envie de voir ce que ça donne. De regarder le monde avec des yeux d'adulte.