Mi-février, j'ai retrouvé ma ville d'adoption. La ville dans laquelle je me sens chez moi.
Ce moment où, en arrivant de la gare, je passe la porte de la Vieille Bourse, toutes les pièces du puzzle se remettent à leur place. C'est bon, j'peux respirer. J'suis rintrée à m'baraque. J'y ai passé des heures. Un dimanche. A ouvrir des bouquins poussiéreux, jaunis, aux dos cassés. Et d'autres jamais lus, comme s'ils sortaient de l'imprimerie. Le monde s'était remis à tourner dans le bon sens.

Et il y avait. Les dernières fois où j'ai parlé d'elle, je ne lui avais pas donné de nom de code. Appelons-la Amy. Sa ressemblance avec Amy Adams est troublante, je ne vais pas chercher beaucoup plus loin.
C'est pour Amy que j'étais là. Mon plus gros coup de cœur amical de ces dernières années. La meuf avec laquelle je me sens juste bien, juste moi, sans fards. C'est assez rare pour être souligné. Entre temps, Amy a fabriqué un bébé humain. Tout était devenu plus compliqué. On n'arrivait pas à se voir. Elle ne répondait pas toujours à mes messages. Mais continuait à en envoyer. Occasionnellement. Elle me manquait. Vraiment. Beaucoup.
Et puis, enfin, on a réussi à se retrouver dans le même espace, au même moment. J'te jure, à l'instant où le train est entré en gare, j'ai eu des papillons dans le ventre. Les mêmes papillons que lorsque tu vas retrouver ton amoureuxse. Un mélange d'impatience, d'euphorie et d'appréhension. Ah oui, j't'ai pas dit que j'avais tendance à être amoureuse de mes ami.e.s ? C'est toujours sans conséquences, mais je suis amoureuse de mes ami.e.s, voilà. Et de plein d'autres personnes. Connues ou inconnues. Réelles ou imaginaires. Mortes ou vivantes. Quand je l'ai revue, c'était comme si je revenais un an et demi en arrière. Avant qu'elle n'expulse sa progéniture à l'extérieur de son corps. Avant que ma relation avec mon ex-meilleur pote n'explose. Avant que je m'éloigne de ma ville pour longtemps. Trop longtemps. Tout est redevenu pareil, nos conversations explicites à haute voix en plein milieu d'un restau, nos grimaces, nos tics de langage. Notre complicité. Nos envies. Notre vision du monde.

Et puis, j'ai rencontré sa progéniture. C'est une mini-elle. Pas physiquement, hein, dans le caractère. Elle a beau nier, Amy, mais a lui a refilé son charme de séductrice et son énergie débordante. Et puis, malgré tous les efforts pour l'habiller, elle arrive à avoir la dégaine d'une pirate grunge. J'lui trouve beaucoup de classe. Du coup, j'suis aussi tombée amoureuse de sa progéniture. Et c'est rare. Des gamins que j'aime bien, jusque-là, je les comptais sur un doigt. Mon bébé chimpanzé, et c'est tout. Et puis. Sa maternité semble tellement être une évidence. Et puis. Elle n'est pas comme les autres parents que je déteste. Parce qu'en vrai, ce que je déteste, chez les enfants, ce sont d'abord leur parents. Leurs parents qui sont pas foutus de les éduquer pour qu'ils n'embêtent pas le monde entier. Leurs parents qui pensent qu'ils sont supérieurs, parce qu'ils ont fait des gosses. Et que tout leur est dû. Leurs parents qui pensent qu'ils sont supérieurs à leurs gosses, aussi. Et qui leur imposent des trucs absurdes. Avant de s'étonner de leur réaction. Et de les punir. Leurs parents qui n'ont plus aucun humour, dès qu'il s'agit de leur enfant. Alors que là, non, Amy, ça la faisait rire que je tente des expériences sur sa progéniture. Que je lance un bâton et l'encourage à nous le rapporter. Et que je me foute de sa gueule. Finalement, un petit d'humain, c'est exactement comme un chiot ou un chaton, les premières années.

On a retrouvé notre vie étudiante. Avec quelques années de plus. Et un corps qui met une semaine à se remettre d'une grosse soirée. J'ai mouru très fort, la semaine qui a suivi, c'était trop z'horrible. Mais ça valait le coup. Et quand on a revu nos autres potes de débauche, c'était comme si rien n'avait changé. Ça parlait fort, ça riait fort, ça buvait beaucoup, ça dansait, ça se racontait des trucs absurdes, et trashs. Surtout trashs. Je les aime, mes potes. J'aime cette vie-là. J'veux pas la laisser tomber. J'veux être éternellement cette étudiante. Je serai éternellement cette étudiante.

Et puis. On a retrouvé aussi nos nuits sur son canapé, à refaire le monde. Avec son mec. Qui est un amour. Et avec qui je m'entends bien. Et sans son mec. Amy, elle a bien compris que j'avais aussi besoin de passer du temps rien qu'avec elle. Et j'crois qu'elle avait besoin de passer du temps rien qu'avec moi. Mais son mec fait aussi partie de sa vie. Et j'étais hébergée chez eux. Alors, c'est normal que l'on trouve un juste équilibre. On ne peut pas l'exclure tout le temps. D'autant que son mec m'aime bien. Qu'il était content de me voir. Et réciproquement.
Amy, j'veux plus la perdre de vue. De toucher. D'ouïe. Elle est trop essentielle à ma vie.