Mon mari est la seule personne à qui j'ai envie de parler depuis environ un mois. Ouais, parce que je l'appelle tout le temps comme ça, depuis des années, c'est une raison suffisante pour continuer sur ce blog. Pour tous les autres, je me force. Pour ne pas me couper de toute vie sociale. Pour ne pas m'isoler. Mais, clairement, si je pouvais, j'éviterais.
C'est beaucoup trop compliqué de parler aux gens. C'est beaucoup trop compliqué de répondre aux questions. Ça me paraît à chaque fois insurmontable. Et angoissant.

Avec mon mari, on se comprend. Parce qu'on vit la même chose. Parce qu'on ressent les mêmes choses. Parce qu'on perçoit les mêmes choses. C'est pas de la magie, en fait. C'est juste qu'on fait tous les deux une grosse dépression. Parce qu'à un moment, il faut être réaliste. On le sait. On en rit.  C'est ce qu'on appelle notre humour de dépressifs. On est une belle équipe de bras cassés. C'est hyper important, l'autodérision. C'est peut-être ce qui nous empêche de sombrer encore plus.

Je n'ai jamais peur de parler de parler à mon mari. Parce que je sais que je ne vais pas avoir besoin de me justifier.  Parce que je sais qu'il ne va pas me demander où j'en suis. Parce que je sais qu'il va me comprendre sans que j'ai besoin de mettre des mots. Il comprend comment je perçois le monde. Parce qu'on a un parcours similaire. Parce que la sociologie nous a ouvert les yeux. Parce qu'on est beaucoup trop lucides. Et pessimistes, il faut bien le dire. Sur le monde qui nous entoure. Parce que les mécanismes nous apparaissent beaucoup trop clairement. Et qu'on se rend compte de toutes les conditions et de la charge de travail qu'il faudrait pour déplacer ne serait-ce qu'un petit caillou. Parce que, quelque part, on préfère baisser les bras plutôt que d'échouer. Même s'il est beaucoup plus tenace et persévérant sur la longueur. J'ai une énergie en dents de scie. Il va au bout de ses objectifs. Moi non.  On est très différents, presque opposés, tout en se comprenant parfaitement.

Parce que je sais qu'il ne me jugera pas. Parce que je sais que je n'ai pas à craindre ses questions. Il ne me demandera pas ce que je fais de ma vie. Il ne me demandera pas pourquoi je ne me bouge pas les fesses. Il ne me demandera pas pourquoi j'ai des réactions bizarres. Pourquoi je traîne les pieds. Pourquoi je ne donne plus de nouvelles. Parce que c'est la seule personne à qui je ne cache rien. Et quand il me demande comment je vais, c'est qu'il s'attend à la réponse. Jusque-là, je ne lui répondais plus. Pour ne pas mentir. Maintenant, je ne mens plus, même par omission. Parce que quand on va pas bien, on se le dit. Parce qu'on essaye mutuellement de se foutre des coups de pied au cul. Et qu'en même temps, on comprend pourquoi, parfois, c'est beaucoup trop difficile. Parce qu'on ne s'en tient pas rigueur si on échoue aux missions données par l'autre. Allez, aujourd'hui, tu vas prendre le soleil. Aujourd'hui, tu vois tes potes. Aujourd'hui, tu vas faire des courses. Oui, parce qu'on en est là. On a passé des journées à parler sans sortir de nos lits. Des soirées à pleurer. Des soirées à rire, aussi. Beaucoup.

Mon mari, c'est mon ami. On se fait confiance. Ça fait tellement d'années qu'on se confie l'un à l'autre. Enfin, surtout lui à moi, soyons honnêtes. Jusqu'à il y a un mois. Quand j'ai craqué. Ça fait beaucoup trop longtemps qu'on se connaît pour s'encombrer d'apparences. De façades. D'images fausses. Il y a eu de longues périodes où on ne se donnait pas de nouvelles. De longues périodes où l'on s'en donnait tous les jours. Aujourd'hui, on s'en donne quasiment toutes les heures. C'est ma bouée au milieu de l'océan.

Et souvent, ça me fait flipper. Je trouve ça malsain. Parce que si ma bouée crève, je me noie. Parce qu'on fait reposer beaucoup trop de choses sur notre lien. Parce que je suis tellement chiante. Tellement insupportable. J'ai peur qu'il en ait marre de moi. A la moindre baisse de régime, je me sens mal. Je me dis qu'il en a assez. Ou que je le tire vers le bas. Je culpabilise. Je culpabilise de lui faire subir à lui ce que j'épargne aux autres.

Je ne crois pas que je pourrais être avec mon mari. Autrement qu'en étant son amie, j'entends. Même si l'histoire, telle qu'elle est en ce moment, est ambiguë. C'est un peu comme si je reproduisais le schéma de ma relation avec Chaton. Avec qui je me suis mise dans une période où je n'allais pas bien, où il n'allait pas bien non plus. Nos failles se sont emboîtées, on a fusionné. Mais, à vrai dire, je ne crains pas tellement ça, avec mon mari. Parce que ce n'est pas du tout la même personnalité. Parce que mon mari est extrêmement terre-à-terre. Presque trop. Parce qu'il est beaucoup trop solide. Même s'il doute. Tout le temps. Beaucoup trop Capricorne, en fait. Parce qu'il ne se laisse pas emporter dans mes drames. Parce qu'il aime que je sois complètement perchée, dans mon monde. Ça le divertit, ça le fascine. Mais il garde une place de spectateur. Chaton, lui, me donnait la réplique. Mon mari ne m'encouragera pas à entrer dans un engrenage que je ne maîtrise plus. Et qui me broie.

C'est ambigü, clairement. C'est un mélange d'amour, d'amitié, de sentiments confus, de désir. Mais il n'y a pas de risque qu'on s'emporte.
Je suis jalouse quand il me raconte ses histoires sentimentales ou sexuelles. Je suis jalouse parce que ça creuse mes failles affectives. Et laisse remonter à la surface mon syndrome abandonnique. Et puis, on a quand même un lien particulier. Sa plus grande et plus folle histoire amour, c'était avec une fille dont il dit lui-même qu'elle est mon clone. Mon mari m'a avoué que si l'on avait vécu dans la même ville, c'est de moi dont il serait tombé fou amoureux.
Il faut dire qu'on vit loin l'un de l'autre. Et même si l'on a eu l'occasion de se revoir, récemment. Une soirée hors du temps qui m'a fait un bien fou. Ben il vit quand même à deux heures de train. Et pour lui, c'est inenvisageable d'avoir une histoire d'amour à distance. Ce n'est même pas la peine d'y penser. Alors voilà, se mettre ensemble n'est pas une option.
Et puis, je sais que je m'ennuierais très vite. Autant je l'aime, mon triple Capri. Autant, il ne me donnera jamais la dose de magie et de drame dont j'ai besoin pour être amoureuse. Et c'est tant mieux. Quand j'ai dit qu'il était triple Capri, j'ai tout dit, en fait. Il est juste hyper rassurant. Il m'ancre dans la réalité. Et m'empêche de retomber dans mes travers.
Je peux parler à quelqu'un sans avoir peur de me faire juger. Je peux recevoir un peu de tendresse. Un peu d'amour. Sans avoir peur de basculer. En fait, il me permet surtout de me sentir un peu moins seule. Et c'est plus que je n'oserais demander.

Je ne donne pas trop de nouvelles à mes amis. Je fais ce à quoi je m'étais engagée. Partir en vacances avec, au hasard. Je le fais par devoir. Mais je traîne les pieds. J'ai du mal à les contacter. J'ai du mal à honorer nos rendez-vous.
Je n'ai pas envie qu'on me pose de questions. Je n'ai pas envie de faire semblant. Et je n'ai pas non plus envie leur faire subir ma mauvaise humeur et ma tristesse. Je n'ai pas envie d'éprouver leur patience et leur amitié avec mon mal-être dont je suis la seule responsable.
Je ne réponds plus aux messages de Tarabas ni de Rahan. Je fais la morte. Et c'est nul. Mais de toute façon, je me sens nulle. Alors un peu plus ou un peu moins. Je ne suis pas capable de gérer tout ce qu'ils me demandent. Toute l'attention qu'ils me demandent. Et je n'ai pas non plus le courage de mettre un terme à tout ça.

Je me sens super triste. Tout le temps. Angoissée. Tout le temps. J'ai peur de tout. J'ai peur de sortir. J'ai peur qu'on me demande comment je vais. J'ai peur qu'on me propose de me voir. Je fais autant illusion que possible. Et puis, je sais que ce n'est vraiment pas une bonne idée de m'isoler. De m'enfermer en position fœtale sous ma couette. Sauf que. Lutter contre, ça me demande vraiment un effort supplémentaire. Gigantesque. Une énergie que je n'ai pas.
Je suis aigrie. Et jalouse du bonheur des autres. Je perçois tout de manière disproportionnée. Un mot de travers et tout s'écroule. Une phrase maladroite et je fonds en larmes. Je suis un boulet. Je déteste la personne que je suis en ce moment. J'comprends pas ce qu'il se passe avec moi. Pourquoi je n'arrive pas à faire ce qu'il faut pour sortir de ça. Pourquoi je n'arrive pas à me mettre des coups de pieds aux fesses. Pourquoi j'attends toujours de toucher le fond pour rebondir.

Je ne crois pas que je veuille continuer à faire illusion. A faire croire que je vais bien. J'pense que je n'arriverai pas à faire autrement. Parce que c'est l'enveloppe qui me maintient debout. C'est la façade qui me porte.