Cher psychanalyste,

 

Déjà, cette lettre commence mal : la touche « h » de mon clavier n'est plus associée à la bonne commande, si bien que je dois user d'un astucieux « ctrl+c » pour faire apparaître un caractère que ton entête gourmand m'a déjà demandé deux fois.

Eh, tu as vu, je t'interpelle par ton métier. Peut-être qu'un jour je viendrai combler les trous du gruyère végétal qu'est mon blog. Et que je te raconterai comment j'ai arrêté de voir mon précédent thérapeute. Qui était bien psycho quelque chose. Psychologue, psychothérapeute, psychotique, psychopathe. De toute façon, il finit toujours par y avoir un « h » dedans. Parfois deux. Et comment je l'ai recontacté pour qu'il m'oriente vers un psychanalyste. Je l'ai mal vécu. Le rejet. L'abandon. Mais j'ai décidé de saisir l'opportunité d'être un peu plus vraie. Un peu plus sans filtre. Et peut-être qu'avec toi je pourrai aborder des sujets que ma pudeur et mon ego ont rendus tabous. Ça y est, on sort l'artillerie lourde. Je viens de démarrer une psychanalyse. Ça en jette grave, j'trouve. Quoique, pas encore tout à fait. Je ne me suis toujours pas allongée sur le divan. Je ne l'ai vu que deux fois, tu vas me dire. Il m'a même pas fait payer. C'était donc pas de vraies séances. Il paraît que l'argent est un moteur pour avancer dans le travail thérapeutique. Pas pour moi. Ton collègue, il me faisait payer que dalle, parce qu'il percevait déjà sa retraite de prof et qu'il n'avait pas besoin de mon argent pour manger. Ça ne m'a pas empêchée de contourner la montagne de mes phobies, névroses et croyances limitantes. Un peu, au moins. Pas mal pour le temps qui nous était imparti. Mais je comprends tout à fait que tu doives gagner ta vie, hein. Tu l'as saisi. Alors, tu as trouvé un autre prétexte pour me faire payer une somme conséquente. T'étais pas obligé, je t'aurais payé quand même. Allez, j'accepte le deal que tu me proposes. Devoir débourser une somme suffisamment inconfortable pour que je cherche un job mieux rémunéré. Je perçois d'ici ton étonnement. Quoi ? Zizanie aurait-elle enfin sacrifié sa liberté sur l'autel des normes sociales ? Aurait-elle cédé à l'appât du gain ? Au statut qu'apporte un vrai travail d'adulte ? Oui. Presque. Enfin, oui. Tout court. Je suis en CDI, mec. A temps plus que plein. Et je me fais exploiter comme il se doit. Bien plus que ça. Pour un job très en deçà de mes capacités. N'ayons pas peur de jeter des fleurs sur des chevilles enflées. Ouais, à un moment, tu peux plus te cacher derrière la fausse modestie. Je sais que j'assure. Je sais que je pourrais tout autant assurer à un poste mieux placé, mieux payé. Et je sais que je vais finir par mourir de désespoir si je n'alimente pas mon intellect. Si je n'apprends pas de nouvelles choses. Même si, pour le moment, je ne me crois pas capable d'être à un poste de pouvoir. J'ai peur de ne pas savoir séparer le bon grain de l'ivraie.
Je te donnerai sans doute prochainement les détails de l'histoire. Cela dit, signer ce fichu contrat a au moins permis qu'on me foute un peu la paix. On en restera là pour le moment.

Tu m'emmerdes, Zizanie, c'était pas du tout de ça dont t'étais venue parler. Tu balances un pavé qui sort de nulle part. Ouais, je sais que tu repousses le moment où tu commenceras à raconter ton anecdote de ce matin. Par crainte que les larmes te montent de nouveau aux yeux. Fais-toi confiance. Tu (ap)prendras de la distance.

Le père d'une étudiante, qu'elle a appelé à la rescousse, t'appelle à huit heures du mat', te hurle dessus et exige que tu fasses ton boulot autrement que de la manière dont tu l'entends. Odieux, le type. Il n'a pas voulu baisser le ton, malgré mes multiples demandes. Sauf que voilà, tu m'agresses, il n'y a à peu près aucune chance pour que je te laisse gagner du terrain. Si tu me places d'emblée dans un rapport de force, j'érige un mur de certitudes et de confiance feinte et je ne te laisse pas avancer d'un millimètre.

A chaque fois, c'est pareil : je campe sur mes positions. Moi qui gère émotionnellement très mal le conflit, je suis capable de te tenir tête jusqu'au moment où tu détourneras le regard. Alors, je m'écroulerai en larmes. De rage. D'épuisement. D'avoir mobilisé toute cette énergie pour ne pas me laisser écraser par ton écœurante manœuvre méprisante et paternaliste. C'est la saison du pollen, des yeux rougis, et des allergies qui n'en sont pas.

Évidemment, mon chef m'a soutenue par les paroles. Lorsqu'il l'a eu au téléphone. Mais pas par les actes. Il a cédé. Pour avoir la paix. Prétendument pour qu'il ne m'embête plus au téléphone. Pour qu'il ne l'embête plus non plus. J'en ai rien à foutre qu'il rappelle. Je préfère ça à : 1) renforcer positivement son comportement : il hurle, il obtient ce qu'il veut ; 2) qu'on me sape mon autorité, c'est-à-dire, celle légitimée par mes compétences professionnelles dont tu vantes les mérites à qui veut l'entendre ; 3) croiser tous les jours le regard victorieux de l'étudiante en question, qui est toujours, toujours à la limite de l'insolence ; 4) devoir m'expliquer auprès des autres étudiant·e·s sur le traitement de faveur qui lui a été accordé à elle. Je te ne remercie pas de me faire subir une deuxième humiliation par manque de courage. Tu devrais le savoir, toi qui est dans l'éducation depuis plus longtemps que moi : être bienveillant·e n'est pas du tout synonyme de gentil·le ou de laxiste.

You know what Granny Weatherwax always says: “We do right, we don't do nice.”
Je te l'ai faite en V.O., parce que la traduction est moins percutante. Mais si tu tiens à retrouver les mots que tu as pu lire quelque part. Tu sais ce que Mémé Ciredutemps dit toujours : « On fait ce qui est juste, pas ce qui est agréable ».
C'est bon, t'as la réf' ? On peut arrêter de se gargariser avec notre culture étalée sur des tartines. Depuis longtemps, c'est mon motto. Aussi bien professionnellement qu'humainement. Je n'ai jamais cherché à être gentille. Alors que je suis profondément bienveillante. Là aussi, prends mon œdème de fleurs dans la gueule. Je ne suis pas toujours bienveillante. Je ne fais pas toujours ce qu'il faut faire, je suis faillible. Mais j'aspire constamment à l'être. Je me remets en question. Je fais du mieux que je peux pour te comprendre. Et je fais du mieux que je peux pour répondre à tes attentes si celles-ci sont compatibles avec les miennes et avec nos objectifs communs. Si ce n'est pas le cas, je suis intransigeante. Toujours bienveillante, je n'aménagerai jamais le cadre pour être tranquille. J'aménagerai le cadre si nous convenons ensemble qu'il est mieux pour toi que nous le fassions évoluer. Jusque-là, j'assumerai mon rôle de référente. De responsable. De vieux chêne enraciné. De tuteur lequel t'appuyer pour grandir. Je ne t'impose pas de chemin à prendre, je t'accompagne dans ton choix. We do right, we don't do nice. Et parfois aussi : va mourir.

Ça ne répond pas à ma problématique. Pourquoi, dès qu'on m'impose un rapport de force, je suis incapable de lâcher ? D'où ça me vient ?
Tenace comme ma Grand-mère.
Fragile comme ma mère.
Impulsif comme mon père.

Voilà. Mon père instaurait systématiquement un rapport de force. Pour obtenir raison, il criait. Très fort. J'avais peur de mon père. J'ai toujours peur de lui. Toujours peur qu'il m'impose sa volonté par la force. J'étais vulnérable.
Est-ce la raison pour laquelle je me place systématiquement dans un rapport de force dans mes relations avec les hommes ? Uniquement les hommes cis hétéros. Bien qu'on puisse parler de séduction, je ne me comporte pas de la même manière avec d'autres genres ou d'autres orientations.
Est-ce qu'à travers ces rapports de force qui parsèment mes relations, j'essaye de tenir tête à mon père ?

Ouais, je parle de mon père. En employant le mot « père ». Moi aussi, ça m'étonne. Il est temps de mettre au jour toute cette partie de mon histoire que j'ai enfouie. Je crois que j'ai bien fait mon travail pour aujourd'hui. Je peux être fière de moi. Et conclure cette lettre.

 

A vendredi pour que je t'expose ces nouvelles données,

Ta nouvelle patiente