Juin 2017, encore.

Le sourire niais, les papillons dans le ventre. C'est reparti pour un tour. En même temps, c’est pas comme s’il m’en fallait beaucoup, on est d’accord. Est-ce de ma faute si mon cœur d'artichaut amoureux de l'amour s'est encore emballé comme un cheval mal débourré ? Oui, bon, un peu. J'en profite. Je sais que le soufflé finira par retomber. Ça se consomme immédiatement, ces p'tites choses. C'est fragile, éphémère. Il ne faut pas attendre. Il ne faut pas prendre son temps. Sous peine d'être déçue. Ce n'était que ça. Pour le moment, c'est déjà ça.

Il y a deux mois. Dans le Grand Nord hostile, à la caisse d'un magasin de fournitures d'art.
Le caissier me lance.

« Mon collègue adorerait votre sac ! »
Oh ! Un fan ?
« Moi, pas vraiment, j'ai déjà vu le film, mais mon collègue est un grand fan. Attendez une minute... (Il l'appelle.) Gauvain ! Viens voir ! »

Gauvain. Puisque c'est ainsi que j'ai décidé de le baptiser. Entre en scène. Avec son petit accent mignon, sa gueule de bébé chat premier de la classe, son grand sourire et sa timidité qu'il cherche à dissimuler avec des blagues (drôles, en plus).
On discute du film en question. Longtemps. Rhaaa, le mec a rejoué l'un des personnages ! Dis, j'peux t'épouser ? Un mec timide qui fait des trucs un peu dingues, ça me fait fondre. J'aurais tellement adoré. Ado, j'étais flippée de monter sur scène. Aujourd'hui, j'suis beaucoup trop complexée pour me balader en soutien-gorge et porte-jarretelles devant une salle remplie d'adeptes. Alors j'admire. Jusqu'à ce que son travail le rappelle à l'ordre. Et que je joue les clientes. Soudainement, j’ai eu pleeein de choses à acheter. Et besoin de tas de conseils. On s’en fout si mes mousquetaires m’attendent pour dîner. T’façon, elles sont toujours en retard. On s’en fout si c’est pour retrouver la meilleure pizza de la ville. T’façon, j’ai pas faim. Nan, c’pas vrai, je crève la dalle, j’ai pas déjeuné. Mes hormones crèvent la dalle, aussi, certes.

Vas-y Zizanie, sors de ta zone de confort. Tu t'en fous, t'habites plus ici. Si tu te foires, tu ramasseras ta dignité et tu ne reviendras plus dans cette boutique. Allez, imagine que t’as du feu dans ton thème astral. Imagine que t’as confiance en toi. Nan, ça marche pas. Imagine simplement que tu parles à un pote.

Hey ! Ça te dit d'aller voir le film, à Paris ?
« Oh, pourquoi pas, c’est une bonne idée. »

Depuis, on s’est envoyé quelques messages. Pour se faire rire. Des photos. De lui dans son costume de scène. De moi dans mon costume de soirée à thème. Le mec a adoré mes plateform shoes à paillettes et m’a demandé si ça existait dans sa pointure : Je veux l’épouser, putain !

Et là, depuis une heure, je sautille partout, j’ai des crampes aux zygomatiques à force de sourire. Mon cœur a fait un bon dans ma poitrine quand j’ai reçu son message : il débarque ce week-end. Ça sent mauvais, les gars. Ça sent que je suis en train de me faire un trip groupie, amour platonique à sens unique, et compagnie. J’ai le don de me faire des films pour des histoires qui n’iront jamais plus loin. C’est ma spécialité. Quand c’est comme ça, tu le sens dès le départ. Bah ouais, parce qu’après, j’tente rien. Aucun intérêt, c’est moins risqué de vivre dans ma tête. Et puis, vivre dans sa tête, ça permet de prolonger l'éphémère.
C’est un artiste. J’ai lâché le mot terrible. Le truc qui me place immédiatement dans le rôle de la groupie de service. Il est fan de mon film préféré. Il a un accent. Il est drôle, il a toujours le mot pour faire rire. Et il a des reflets roux dans sa barbe. Arrrgh ! Comment veux-tu que mes hormones résistent ? Heureusement, je suis une flippée du râteau. Et, comme il est timide, même si je lui plaisais, j’pense pas qu’il tenterait quelque chose. J’envoie pas de messages assez clairs pour ça. Lui n'en envoie pas du tout. C’est bon, on peut respirer.

Non, on peut pas. J’ai annulé mon week-end avec Rahan. Et je lui ai menti. Alors qu’il n’y a clairement rien d’ambigu. Nos échanges sont parfaitement amicaux. Il ne se passe rien entre Gauvain et moi. Rien ne dépasse. Rien n'annonce que ça pourrait être le cas. Il n’y a que moi qui aie envie de lui arracher toutes ses fringues.