Mars 2018.

Il fallait sans doute au moins ça pour mettre un terme à une histoire sans fin. Le point de non-retour.

Si je voulais dresser l'historique de la violence dans notre relation, il faudrait que je remonte à sa naissance. Très tôt, on s'est envoyé des vacheries à la gueule. Des piques. Des boutades. Du mépris. Des sévices. Sadisme. Et là, t'as mal ? Est-ce que tu souffres assez pour me prouver ton attachement ? Est-ce que tu souffres assez pour m'assurer qu'on joue au même jeu ? Est-ce que tu souffres assez pour me prouver qu'il n'y a qu'avec moi que tu joues à ce jeu-là ?

Parce qu'il y a les autres. Celleux que l'on prenait en otage pour se faire un peu plus souffrir. Parce que, finalement, tu ne consentais pas vraiment à ce que j'aille me rouler dans l'herbe plus verte du voisin. Tu l'as consenti par les paroles, rarement par les actes. Est-ce que c'était pour ne pas me perdre ? Si tu l'as accepté, probablement. Si je l'ai demandé, sans aucun doute. Je ne voulais pas me perdre.
S'il n'y avait eu que toi dans mon lit et dans ma vie. Toi, avec toute ton intensité et ta force de destruction. Toi, avec ton amour intéressé. Négocié. Toi, avec ta séduction latente. Toi, qui ne m'aimes jamais autant que lorsque je vais dans ton sens. Toi, qui pourtant aurait cessé de m'aimer à l'instant où je ne t'aurais plus opposé cette résistance. Si tu m'aimes, mal mais si fort, encore aujourd'hui, c'est parce que tu dois lutter pour garder mon attention.
Je sais, maintenant, que tu ne la souhaitais pas. La liberté de mon corps. A se mélanger à d'autres corps que le tien. Tu me l'as fait payer. Tu as cherché à m'atteindre. A me blesser. A planter des couteaux dans les plaies béantes de mes failles affectives.
Je me suis endurcie. Sans comprendre. Sans raisonner. Sans me poser de questions. J'étais un peu responsable, après tout. Responsable de ta colère, de ta frustration, de ta tristesse. Je rachetais ma culpabilité en encaissant le martèlement de tes reproches. Tes mots qui voulaient me persuader que je n'étais pas vraiment à la hauteur. Qu'il y avait toutes ces filles, bien plus jolies et bien plus sveltes. Je devais m'estimer heureuse que tu reviennes vers moi, dans ta grande mansuétude.
La violence, elle a commencé comme ça.

Et puis, on s'est foutu sur la gueule. Physiquement, cette fois. On s'est cogné dessus. On s'est couverts d'hématomes plus gros que ma main. Tu me fendais la lèvre, je te fêlais une côte.
Œil pour œil, dent pour dent. Coups d'un soir, coups de pied, coups de foudre.
On était tous les deux responsables. J'alimentais cette violence au moins autant que toi. Elle permettait de régler nos comptes avant de reprendre le cours de notre vie. Se chercher, se frapper, se baiser, s'aimer.

Il y a quelques mois, j'ai pris mes distances. J'avais besoin d'emplir ma vie d'autres choses que de toi. Ça fait un moment que je n'ai plus d'énergie à mettre dans des relations qui me me meurtrissent, m'angoissent, m'égarent.
Par distance, j'entends que j'ai tiré un peu plus sur l'élastique qui nous relie l'un à l'autre. Presque malgré nous. Tu n'étais jamais bien loin.
Tu étais tellement pas loin qu'on s'est envoyé des messages. Quelques fois. Pleins de reproches et pleins de manque. Jusqu'à ce je n'aie plus assez de force pour tirer sur l'élastique et que mes pieds me guident jusqu'à chez toi.

Cette nuit. On s'est embrassés. On s'est retrouvés allongés sous le poids de nos hormones. Mon corps criait son désir. Mon cœur n'aspirait qu'à se laisser convaincre. Ma tête, elle, n'avait pas envie. Elle ne voulait pas que tu me touches. Elle ne voulait pas que tu me prennes. Ma bouche a dit non. Non, arrête. Je ne veux pas coucher avec toi. Tu as insisté. Stop. Je ne veux pas. Tu ne t'es pas arrêté avant de m'entendre hurler. Avant de me sentir te frapper. Poings et genoux. Encore une fois. Une dernière fois.

Le consentement est une notion complexe et subtile. D'autant plus quand le corps et la voix ne disent pas la même chose. Mais peu importe. Si je te dis que je ne veux pas, quelque soit la manière dont j'ai pu agir, tu cesses immédiatement ce que tu es en train de faire. Ça s'appelle la confiance. Tu sais, ce truc qui me faisait m'accrocher à toi contre vents et marées. J'étais certaine qu'il suffisait d'un regard pour que l'on se comprenne. Tu viens de bafouer cette certitude d'un revers de la main projeté sur ma joue. Parce que c'était vrai, on n'avait pas besoin de se parler pour se comprendre. C'était vrai jusqu'à ce que tu décides de ne plus m'écouter.

Sans doute qu'il fallait au moins ça. Je te soupçonne d'avoir voulu briser pour toujours le prisme à travers lequel je te regardais. C'est réussi. Je dois te remercier pour ça, aussi ?