Faire un deuil aussi rapidement, c'est louche, tu crois ? Soit j'ai développé un sens du détachement exceptionnel. Soit je ne suis pas encore prête à traiter l'information. Pour la classer définitivement.

Pour le moment, je me concentre sur ma petite personne et mes grandes difficultés. Pour ne pas parler d'elle. Pour oublier que je suis en train de mettre en boîte toute sa vie, et une partie de ma vie avec elle.

Tout ce que j'espère, c'est qu'elle n'est pas prisonnière de sa volonté de vivre et de ses regrets. Je souhaite, de tout mon cœur, qu'elle ait réussi à prendre de la distance par rapport à cette vie-là. Qu'elle ait accepté son sort. Et la douleur dans laquelle elle est partie.

Les larmes qui me montent aux yeux ont choisi leur réponse. Je ne suis pas encore prête à lâcher prise sur la manière dont le service public hospitalier français s'est occupé de ma grand-mère. Et l'a laissée mourir sans la moindre dignité. Je ne suis pas encore prête à lâcher prise sur la manière dont ces médecins lui ont parlé.

« Madame, il n'y a plus rien à faire, on va arrêter les soins. »

Et moi, je vais arrêter là. Je ne suis pas prête. Pas prête du tout. A accepter que je dois quitter les lieux. A quitter mon refuge. Celui qui m'abritait dès que je ne supportais plus la vie chez mes parents. Alors que je dois terminer d'empaqueter mes affaires, sans savoir où je vais. Enfin, si. J'ai un plan d'urgence. Temporaire, instable et inconfortable. Quelques mois tout au plus. Ensuite, je verrai. J'aviserai. Je trouverai des ressources. Comme toujours. Je dois me faire confiance. Il n'y a que sur moi que je peux compter. Il n'y a toujours eu que sur moi que je pouvais compter.