A présent, ce n'est plus l'appréhension qui me fait écrire, c'est mon incapacité à me concentrer sur mon travail. Je parle du travail pour lequel je suis payée, et dans le contexte payée à rien foutre. La journée va être pénible si je ne trouve pas une activité acceptable pour mon cerveau. Autrement dit, parler de ce qui occupe mon esprit.

Et voilà, il est déjà reparti.

Jusqu'à samedi. Dès l'aube, à l'heure où blanchissent les toits de ma Natale Capitale, je le retrouverai.
Il faut bien qu'il aille illuminer sa famille de sa solaire présence. Un peu quand même. Enfin, je ne comprends pas bien le délire de la famille. Lui non plus, mais il aime jouer son rôle de fils prodige. D'ici-là, j'ai un programme chargé. Et heureusement. Même si je n'arrive pas à travailler. Parce que je frôle la mort à tout moment. Avec mesure et sobriété, telle Violetta dans le dernier acte de la Traviata. C'est l'air que j'ai toujours fantasmé lorsque je chantais, on ne se demande pas pourquoi celui-là plus qu'un autre : Violetta met à l'amende la Reine de la Nuit, et l'interprétation de Norah Amsellem la sublime. Frôler la mort, c'est une raison suffisante pour ne pas travailler.

Que dire ?
Sinon qu'il me manque encore plus qu'avant de le voir.
Sinon que l'intensité émotionnelle de nos retrouvailles étaient dignes du teaser de son thème astral démentiel.
Sinon que c'était indécent d'intimité de sentir la chaleur de son corps contre le mien, de chercher l'odeur de son cou à travers le masque, au milieu de cette foule d'inconnus.
Sinon qu'on n'a pas décroché un mot à l'aéroport. Ni dans la voiture qui nous emmenait chez moi. Mutiques. Les émotions me laissent toujours sans voix. Mais sans se quitter du regard. Sans cesser de se toucher. Jusqu'à entrer et sortir du même côté pour rompre le moins possible le contact.
Sinon qu'on s'est sauté dessus comme des animaux, ma porte d'entrée encore ouverte.
Sinon que j'ai quand même réussi à satisfaire mes névroses hypocondriaques avant de le laisser mettre ses mains pleines de doigts partout. Déjà que j'hyperventile quand mes invités entrent chez moi sans se déchausser, j'envisage désormais d'installer un sas de décontamination à l'entrée de mon appart'.
Sinon que la chimiste installée dans mon cerveau s'est un peu emballée sur les doses d'hormones à déverser dans mon corps. A mon sens, j'ocytocine beaucoup trop pour ce que mon corps est capable d'encaisser. Donc je vais mourir. Puisque je te le dis.
Et, depuis que je l'ai quitté il y a quelques heures, j'ai juste l'impression qu'on vient de m'arracher un bras. Que je me vide de mon sang. Et que je vais crever.
Toute raison gardée.