« Je vais vous le répéter encore une fois : ça ne vient pas de vous. »

Ma tristesse. Mes angoisses. Mon asociabilité. Ma peur des autres. Ma peur du système. Mon inertie. Mon habitude de tout planter. De ne jamais aller au bout. Ma peur d'échouer. Ma peur de réussir. Mon repli dans ma bulle. Mon imaginaire.

C'est moi, je suis née comme ça. J'ai toujours été incapable de répondre à la question « depuis quand ? ». Depuis quand je suis comme ça ? Depuis quand je suis malheureuse ? J'ai jamais réussi à y répondre, parce que j'ai l'impression que ça a toujours été là.
J'ai toujours cherché à m'échapper de la réalité. Je me suis construit ma forteresse d'imaginaire. Très tôt, très jeune. Tu vas me dire que tous les enfants sont dans l'imaginaire. Oui. A quel moment ça devient un problème ? Quand c'est un besoin. Une question de survie. M'enfermer dans ma bulle, sous ma couette, c'est mettre une distance de sécurité.

Ça fait un peu plus de trois mois qu'il me demande d'accepter que ça ne vient pas de moi. Je parle de ma psychanalyse, toujours.
Et je viens juste de comprendre. Oui, bien sûr que mon fonctionnement est ma construction. Bien sûr que c'est moi qui l'ai mis en place. Inconsciemment. Ça, ça vient de moi. Sauf que c'est une réaction, toute personnelle et construite qu'elle est, à l'environnement dans lequel je baigne depuis que je suis née. Et qui était là avant ma naissance. Et puis, il y a ce qui ne m'appartient pas. Cette tristesse, ces angoisses, cette peur de l'autre. Ce ne sont pas les miennes. Elles m'ont été transmises. On m'a appris à être angoissée. On a fait de l'angoisse une norme. Bel héritage.

Ma famille est toxique. Et si j'ai mis autant de temps à m'en rendre compte, c'est parce qu'elle est aimante. Enfin, je sentais bien qu'il y avais quelque chose qui clochait. Mais je ne l'ai jamais vraiment conscientisé. Parce que je n'ai manqué de rien, ni de nourriture, ni d'amour. Parce que j'avais l'impression qu'ils faisaient de leur mieux. Sauf qu'ils sont complètement tarés. On ne devrait pas permettre à des gens comme ça de se reproduire. C'est un système dysfonctionnel et destructeur.

Je cherche à en sortir depuis que je suis gamine. J'ai pris conscience très vite qu'il fallait que je parte. Je l'ai fait dès que j'ai pu. J'ai réussi à m'en aller. A m'éloigner d'eux. A les tenir à distance. Et puis, je suis revenue. Parce que, dans l'urgence, j'ai mis en place un système tout aussi dysfonctionnel. Je suis sortie d'une emprise pour me jeter dans les bras étouffants d'ex-Coloc'. Parce qu'il était la porte la plus proche par laquelle je pouvais passer pour les quitter. Parce que ça faisait moins peur, c'était rassurant. J'ai passé quelques années à vivre sous le même toit. Et puis, l'instinct de survie s'est fait sentir à nouveau et je suis partie dans le Grand Nord hostile. Ma première année a été une vraie bouffée d'air frais. Un sentiment de liberté.
Jusqu'à ce que je laisse mon frangin, puis ex-Coloc' envahir ma quiétude. Je sentais bien que c'était en train de tout détraquer. Que j'étais en train de tout détraquer. J'ai tenu deux ans et demi. Quelque chose comme ça. Avec l'impression de ne plus être chez moi nulle part. J'avais laissé ex-Coloc' grignoter, dévorer mon espace. Ma chambre. Mon sanctuaire. Mon sas de décompression. Le seul endroit qui permettait de garder l'équilibre entre ma vie sociale et mon besoin de solitude.
Et là encore. Parant au plus urgent. Au pétage de câble que je n'avais pas su anticiper. Au besoin de m'extraire de là. J'ai cédé à la facilité. Encore. Retour au point de départ. Je me suis jetée toute seule dans cette toile d'araignée dans laquelle je me sens engluée.
Tu le vois, le cercle vicieux ? Le schéma à la con que je ne cesse de reproduire ?

Depuis trois ans, je cherche à en sortir. Maladroitement En dirigeant mes efforts dans la mauvaise direction. Sans jamais réussir.
Si je vais aussi mal, c'est parce que je ne peux pas être heureuse dans ce système. Je suis obligée de m'en détacher. Physiquement ou mentalement. Et mentalement. Et je n'y arrive pas. J'ai l'impression d'être constamment en train de lutter. C'est comme si la situation était un énorme nœud, et que je ne savais pas par quel bout prendre la ficelle pour le démêler.
Je culpabilise, parce que je vois bien que je fais pas ce qu'il faut, comme il le faut. Tout est devenu source d'angoisses. Plus tu te protèges du monde extérieur, plus t'en as peur. Parce que tu l'imagines. Mes angoisses sont une construction de mon imaginaire. Encore celui-là. J'ai beau le savoir, je rends ça tellement réel que ça ne fait aucune différence.