Juillet 2017.

Jeudi 8 juin. J'ai déjeuné avec une amie juste à côté de l'endroit où j'espérais bosser. En partant, le mec du restau m'a saluée d'un « à bientôt ». Je lui ai rendu son « à bientôt » avec un grand sourire plein d'espoir. Quinze jours plus tard, je signais mon contrat. Et je préparais mon sac pour partir en séminaire. Embauchée après le pire entretien de ma vie. Je n'ai jamais été aussi mauvaise. Ni aussi stressée. Merci à mon chef, qui a su écouter entre les lignes. Ils avaient besoin de moi autant que j'avais besoin d'eux.

Litha avec des inconnu·e·s, en plein séminaire. C'est le paradoxe du jour le plus long qui annonce son déclin. La nuit gagne du terrain. C'est exactement ça. Mes jours ont terriblement rétréci. Je n'ai plus le temps de rien faire.
Si ce n'est faire connaissance avec mon chef. Ivre mort, dans un jacuzzi. Ah oui, c'est particulier. Lui présenter mon double maléfique, qui se prend pour Dalida, alors qu'on se connaît depuis trois jours, c'est particulier aussi. Boire comme un trou, me lever fraîche comme la rosée du matin (non) (mais en bien meilleur état que la plupart de mes collègues), et leur expliquer que je me suis fait greffer une éponge à la place du foie. Rappeler au grand patron le 6-1 que l'équipe que je supporte depuis toujours a mis à l'équipe qu'il supporte depuis toujours. Appuyer là où ça fait mal. Attendre en vain la rupture de ma période d'essai. 'Sont coriaces. Je déteste toujours autant cette forme de néo-management qui implique de dormir dans le même lit que ses collègues, barboter dans la piscine, faire de l'accrobranche, picoler tous les soirs, dans le but d'être observée et manipulée, et pour que ça me donne envie de donner plus de mon énergie et de mon temps à l'entreprise, en échange d'un salaire de misère. Mais je ne suis pas partie en courant.

Et ça me rend heureuse. J'aime mes collègues. J'aime me lever le matin et sortir de là où j'habite. J'aime avoir une putain d'excuse pour cesser d'assister ma famille de bras cassés. J'aime même mes étudiants et leur sens de la créativité. J'aime me foutre de leur gueule. Mon job serait tellement moins intéressant s'iels n'étaient pas là pour agrémenter mes journées de leurs questions idiotes. Parce que quand on dit qu'il n'y a pas de question idiote, crois-moi : si. Je n'ai pas envie d'être ailleurs que derrière mon bureau, avec mes huit litres de thé. J'aime quand ça pulse. J'aime envisager de me faire greffer des paires de bras supplémentaires parce que je croule sous le boulot. J'aime m'imaginer en Kraken, plein de tentacules. J'aime savoir que je peux faire naufrager le bateau. J'aime être hyperactive et ne pas avoir une minute pour m'ennuyer. J'aime anticiper. J'aime tout gérer, tout régenter. J'aime devoir être organisée à la place de mon chef. J'aime courir dans tous les sens. J'aime donner le rythme. J'aime savoir que le patron m'a percée à jour et a détecté mon instabilité. J'aime qu'il reconnaisse ma compétence et qu'il s'attende à me voir partir me rouler sur l'herbe plus verte du voisin. J'aime quand il me demande comment ça se passe et qu'il s'en va sur un "pourvu que ça dure". Et putain ce que j'aime coller des étiquettes assorties partout et faire une pile de dossiers à angle droit. J'aime quand tout est classé par ordre alphabétique. J'aime faire des tableaux avec un code couleur. J'aime quand tout est à sa place, quand mon bureau est rangé lorsque je pars, le soir. J'aime faire du rangement par le vide. Et pester contre l'organisation toute personnelle de celle que je remplace quand je dois retrouver un document sans avoir la moindre idée de là où elle aurait pu le classer. J'aime assumer et annoncer que je suis une control freak psychorigide. J'aime faire ce que j'ai à faire en temps et en heure et me sentir efficace. J'aime le sentiment du devoir accompli. Saturne qui me fait coucou ? Avec mon véganisme et ma quête de décroissance et de minimalisme, j'pense qu'elle est moins discrète que je ne croyais, celle-là. Capriiiii, c'est finiiiii. Et dire que c'était le signe de mon premier amooouuur (non) (mais fallait bien que ça matche avec les paroles). J'aime parlementer avec la photocopieuse. Que j'ai évidemment baptisée. Nan, j'lui ai pas pissé dessus, je lui ai donné un prénom. J'aime le regard interloqué de mes collègues quand iels m'entendent parler toute seule et appeler la photocopieuse par son prénom. Iels vont s'habituer. J'aime quand mon chef me dit qu'il est content de mon travail. J'aime lui répondre que je suis contente du sien.

Eh, tu vois, j'suis pas aussi lymphatique que tu le disais. Eh, tu vois, quand mon Verseau plutonisé gagne de l'espace, je me sens bien dans ma peau. Eh, tu vois, si ma Lune en Cancer est très présente dans mon thème, je ne suis pas obligée d'accepter sa passivité. Eh, tu vois, depuis que je lui ai redonné sa fonction de sorcière, elle me fout la paix dans les autres domaines de ma vie. Je la laisse tambouiller et m'enfumer d'encens et elle me laisse redevenir vivante. Et gentille. Ouais, parce que, finalement, j'suis pas une vraie méchante. Et quand je pique, c'est pour que tu apprécies mieux ma gentillesse.