Avril 2017.

C'est toujours quand je vais chez le psy en me demandant ce que je vais bien pouvoir lui raconter que les connexions se font.
Mon rapport à l'autorité a toujours été paradoxal et problématique. Je ne l'ai jamais supportée. Et en même temps, je m'y soumettais malgré moi.

Je n'ai pas été heureuse, enfant. De l'extérieur, il n'y avait aucune raison que je sois malheureuse. Je n'ai pas été battue par mes parents, j'avais à manger à ma faim, j'avais de l'amour et de l'attention. Sauf que. J'étais soumise à la toute-puissance des adultes, devant laquelle je me retrouvais impuissante. Contre laquelle je ne pouvais rien faire. Ma mère m'aime fragile et soumise. Parce qu'ainsi, je ne peux pas quitter le nid. Ainsi, je peux rester dans son œuf protecteur et enfermant. Enfant, j'étais complètement prise dans son piège. Je faisais ce qu'elle voulait, je répondais à ses attentes. C'était le seul modèle que je connaissais. A l'adolescence, j'ai explosé. J'ai trouvé le moyen de me libérer de cette soumission affective en devenant forte, intraitable, combative, rebelle. J'ai pris les choses en main. Je me suis découvert une personnalité dans laquelle je me sentais mieux. Plus libre. Plus libre d'être moi. Loin des émotions. Loin des sentiments. Loin de l'affect. C'est à ce moment-là que j'ai pu m'éloigner de son emprise. Et parce que je ne peux définitivement pas m'en empêcher, c'est la raison pour laquelle j'ai autant haï ma Lune en Cancer. Parce qu'elle me renvoyait directement cette image de petite chose fragile et dépendante. Je ne le supportais pas.

Aujourd'hui, je ne suis plus cette petite fille. Néanmoins, dès que je suis confrontée à une situation qui reproduit les mêmes enjeux, je m'efface, je deviens incapable de dire non, j'obéis, je me soumets, je me sacrifie. Tout en ne comprenant pas pourquoi je n'arrive pas à exprimer mon mécontentement. Mon refus de la situation. Je n'arrive pas à mettre des limites. Sans être submergée par l'émotion. Et l'émotion me fait taire. L'émotion m'enlève les mots de la bouche.
Comme dit mon psy, je suis une révolutionnaire qui fait le ménage chez un patron qui la paye une misère, et qui se laisse exploiter sans rien dire. Quand je suis face à une hiérarchie, je redeviens cette Zizanie de cinq ans, qui n'a pas la parole, qui obéit malgré elle aux injonctions maternelles, parce qu'elle ne connaît que ça, parce que c'est sa norme. Chaque fois que je me retrouve face une autorité, j'obéis sans moufter, de peur d'être envahie par l'émotion. De peur de pleurer de frustration, d'impuissance. Ou peut-être de peur de me mettre en colère et de tout casser. Parce que ce sont les deux seuls modes qui s'expriment à ce moment-là. Vu qu'il n'y a plus de mots. Vu que je reste sans voix.
La hiérarchie a été successivement incarnée par le système scolaire traditionnel. Dans lequel je restais silencieuse et docile. Puis par le monde du travail. Où je faisais tout ce qu'on me demandait, même si je trouvais ça injustifié. Dans les deux cas, jusqu'à me barrer du jour au lendemain, parce que la situation devenait insupportable pour moi. Par instinct de survie. Un peu comme quand je me suis barrée de chez mes parents, à 15 ans. Je n'ai jamais pu dire non avant le point de non-retour.

Et si je n'arrive pas à m'opposer, c'est à la fois parce que je suis dans une confusion totale. Sur le moment, je ne me rends pas compte de tout ça, je me mets sur pilote automatique, je fais ce que j'ai à faire, je remplis mon rôle. Je me sens nulle. Je me sens rien. Je me sens incapable d'y changer quoique ce soit. Et à la fois, et surtout, parce que j'ai peur d'être envahie par l'émotion et de ne pouvoir la contrôler.
Un prof de français, en seconde, avait un jour annoncé à toute la classe, comme ça, sans qu'il ne se soit rien passé :  « Méfiez-vous de l'eau qui dort. Un jour, Zizanie va se lever et va tous vous trucider. » Évidement, ça a fait rire. J'ai ri aussi. De joie. Parce qu'il avait vu juste. Qu'il avait saisi que j'étais une fausse calme, une fausse gentille, une fausse obéissante. Enfin, quelqu'un avait compris que je n'étais pas la petite fille modèle que j'incarnais malgré moi.

Dès que je suis dans l'affect, j'ai peur de ne pas être comprise. Je ne me suis jamais sentie comprise. Alors les mots me font défaut. De toute façon, à quoi bon qu'ils viennent ? On ne me comprendrait pas quand même. On ne comprendrait pas qui je suis. Ce que je veux exprimer. Ce que j'ai besoin de dire. On m'aime fragile et soumise.
Dès que je sors de l'affect, j'arrive tout à fait à m'exprimer, à monter au créneau. A exprimer ce que je veux. A échanger. Je domine la situation. Parce que je ne fais pas appel aux émotions. Elles ne m'encombrent plus, elles ne risquent plus de surgir. Je ne risque plus de les subir. Ce qui se passe dans mes relations qui reposent sur un rapport de force. C'est sacrément tordu et épuisant. Comme avec Rahan. Ou avec Tarabas, hein. Mais c'est aussi extrêmement valorisant et re-narcissisant pour moi. Parce je me vois enfin comme la Zizanie forte, qui n'a pas peur de s'imposer, qui n'a pas peur de s'opposer. C'est un jeu thérapeutique. Je prends plaisir à être la méchante sorcière dominante, qui contrôle la situation. Je cherche ce rapport de force parce qu'il me donne une image de moi que j'apprécie. Dans laquelle je ne suis justement pas fragile et soumise. Dans laquelle je ne suis justement pas la Zizanie de cinq ans.
Alors que dès qu'il y a de l'affect, je subis. Je n'arrive plus à mettre des limites aux autres. Ils m'envahissent, ils me font subir ma pire phobie. Être submergée, débordée, par un flot d'émotions qui me terrasse. Sans pouvoir me contrôler. L'enfer, c'est les autres.
Je n'arrive pas à me débarrasser de l'affect là où il y en a déjà. Comme je ne peux pas me débarrasser d'une autorité préexistante. Je ne peux que créer moi-même les situations sans affect. Sans autorité.

C'est l'émotion, le nœud du problème. C'est elle qui m'empêche d'être moi-même. Qui m'empêche d'aller vers les autres. De m'épanouir dans le monde du travail.
Ce n'est pas vraiment l'émotion en elle-même. Plutôt celle que je subis. Parce que, quand je suis dans mon imaginaire, quand je provoque des émotions, elles me sont agréables. Je peux les contrôler, les arrêter quand je veux. Elle ne me détruisent pas. Elles ne me rendent pas impuissante. Au contraire, elles provoquent des sensations physiques qui me rendent vivante. En les reproduisant volontairement, mon imaginaire m'aide à les décortiquer. A les analyser. Parce que j'ai envie de comprendre ce qui fait qu'elles me rendent inerte. Ce qui fait que je reste tétanisée. Ce qui fait que je ne peux plus bouger ni parler. Juste éclater en sanglots d'impuissance. Ou bouillir intérieurement de colère. Jusqu'à pleurer de rage. Parce que ça me rend folle. Parce que j'ai envie de pouvoir être cette Zizanie que j'aime tellement, cette Zizanie forte et sûre d'elle, sans avoir peur. Parce que, merde, je suis aussi cette Zizanie. Je sais qu'au fond de moi, je ne suis pas cette petite chose fragile et docile. C'est juste une forme d'effet Golem. Pygmalion. J'sais plus lequel des deux. Bref, j'ai fini par croire et intégrer comme étant moi qu'on m'a toujours répété de moi. Alors que je sais que je suis forte. Dès qu'il n'y a pas d'émotions, je peux gérer des situations compliquées, urgentes, soulever des montagnes. Il n'y a pas de raison que je ne puisse pas l'être quand je veux.

Ce qui est fou, c'est que, craignant l'autorité, je pourrais chercher à devenir cette autorité. Le meilleur moyen de m'en débarrasser. Mais non. J'ai peur de prendre la place de l'autorité. J'ai peur d'être dans une position où je dois décider pour les autres. Je me sens incapable. Encore ce mot. Incapable. Illégitime. D'être à cette place. Ce qui provoque une incompréhension totale autour de moi. Parce qu'évidemment que je saurais faire. Comme quand j'arrête totalement d'aller en cours et de bosser sur mon mémoire à trois mois du rendu. Alors que j'ai été major de ma promo quasiment à tous les semestres. Tu m'étonnes que les autres ne comprennent pas. Alors que moi, je m'en sens vraiment incapable, sur le moment. Le but me paraît inatteignable. Trop loin et trop haut. Trop au-dessus de mes capacités. Je suis comme un cheval qui refuse de sauter un petit obstacle. Alors qu'il est tout à fait en mesure de le faire. J'appréhende. J'imagine le pire. J'ai peur sans n'avoir jamais essayé. Alors que la réalité est bien plus simple. Et que, si je sautais, je me rendrais compte que je sais faire.