Aujourd'hui, je te parle de mots imbriqués les uns aux autres, incarnés sur des pages, assemblées entre elles.

Mon rapport à la lecture est chargé de sens. Et assez lié à mon sentiment d'imposture, finalement. Ce serait un peu long d'entrer dans les détails. Et d'expliquer le pourquoi du comment. Le plus important est que moi, je le sache, finalement.

Toujours est-il que j'ai recommencé à lire. Non, en fait, j'ai recommencé à prendre du plaisir à lire. Vous pouvez pas savoir le bonheur que ça me procure. Le soulagement aussi. Vous pouvez pas à quel point c'est important pour l'image que j'ai de moi.

Et puis, je me suis libérée du regard des autres. Parce que c'était en parti ça qui me bloquait depuis trois ans. Des croyances limitantes. Oui, parce qu'il y a trois ans, j'ai mis le doigt sur la raison qui m'avait poussée à arrêter de lire. Mais ça n'a pas été suivi d'effet pour autant. Il y avait encore trop d'injonctions intériorisées et d'effet Pygmalion.
Désormais, j'accepte d'avoir envie de lire ce qui me fait plaisir. Je me fiche si c'est pas assez intello, pas assez classique ou pas socialement valide. J'parle de romans, surtout. Je ne peux pas vivre sans romans. Le reste. Ce qui n'en est pas, j'veux dire. C'est autre chose. C'est du bonus. Du divertissement. Le roman, lui, il m'est aussi nécessaire que les relations humaines, pour être heureuse. Donc voilà, j'me fiche de ce l'image que mes lectures renvoient de moi. Je me pointe chez mes parents avec des bouquins de littérature érotique, je lis de la young adulte aux couvertures criardes, dans le métro. J'me plonge dans des livres destinés aux adolescents. La littérature jeunesse me manquait. Beaucoup. Lorsque je suis passée à la vraie littérature, j'ai perdu le goût de lire. Je trouvais tout snob et fade. Les auteurs jeunesse se fichent des prix. Ils ne sont pas jugés sur leur style. Leur capacité à aligner des mots compliqués. Leur abstraction. Leur poésie. Leurs phrases obscures et dénuées de sens concret. Non, les auteurs jeunesse sont des conteurs. Ils racontent une histoire, transmettent des émotions. Point. Comme les auteurs de romans à l'eau de rose, en fait. Parce qu'ils sont dénigrés. Marginalisés. Même lorsqu'ils explosent les ventes. Bon, quand ils explosent les ventes, ils ont droit aux projecteurs. Mais rarement aux prix. Jamais aux compliments. Quand je dis que je veux devenir auteure de chick-lit porno-hipster, en fait, j'veux juste devenir conteuse d'histoires. J'veux devenir conteuse pour ne jamais être soumise au jugement tranchant des bien-pensants. Gardez-moi des phrases obscures et abstraites. Gardez-moi d'être poète.
J'veux pas fabriquer de belles choses. J'veux réveiller chacun de mes organes. J'veux me tordre les boyaux. J'veux me faire rire. J'veux me faire palpiter. Frissonner. Exploser. J'veux sentir des décharges émotionnelles traverser tout mon corps. Ou le tien.

Quand j'étais ado, je voulais être auteure jeunesse et illustrer mes propres bouquins. Un rêve que j'ai toujours gardé secret. J'ai passé les sélections d'une école d'arts appliqués, dans cette idée. Pour m'exprimer avec des images. Je n'étais pas encore prête à laisser quiconque accéder à mes mots. Et puis. Ecrire, ça coulait de source. Ce que je croyais. Je scribouillais depuis que j'étais en âge savoir de le faire. Et je venais de rédiger 300 + 200 pages en quelques mois. Deux romans jeunesse. L'un a péri dans une erreur de sauvegarde. L'autre est resté à l'état d'inachevé. J'crois qu'aucun des deux n'aurait été publiable, de toute façon. En dehors d'un quelconque auto-jugement. Qui serait, de toute manière, sévère et sans appel. Si j'dis qu'ils n'auraient pas été publiables, c'est parce qu'ils n'étaient pas calibrés. Pas assez d'autocensure. Pas assez de surmoi. J'écris ce qui ne se dit pas. Sur les murs, j'écris sur les toits.

J'crois que c'est là que j'ai cessé de lire. Ecrire m'avait fait prendre conscience de ce qu'on attendait de moi. A la fois. Des écrits d'intello. Des lectures d'intello. Effet Pygmalion. Et à la fois. Il fallait que j'arrête de lire, de toute urgence. C'était vital. Pour survivre. Pour me faire accepter. J'ai bridé mon originalité. Et l'imagination qui allait avec. J'ai étouffé mes rêves. J'ai arrêté de lire pour devenir une adolescente moyenne. Avec des notes moyennes. Injonctions intériorisées. J'pouvais plus me permettre d'avoir dix-huit sans rien foutre, si je voulais passer inaperçue. Il n'y avait pas trente-six solutions. J'ai cessé de nourrir mon esprit. J'ai cessé de m'alimenter.

Et puis. Un peu plus tard. Je suis devenue l'un d'un piliers du journal de mon lycée. Et si, au début, je prenais un malin plaisir à me faire prier, je produisais mes chroniques à un rythme quasi industriel. Pas vraiment des articles de journaliste. Non, ça, c'était pas mon truc. Moi, j'aimais raconter la vie. Les gens du bus et les objets au pied de mon lit. Mi-cynique, mi-idéaliste. Je me planquais derrière un pseudo, comme toujours. Mais ils savaient. Ceux dont l'avis m'importait savaient. Enfin, c'était quand même pas pareil. J'étais lue. J'pouvais pas laisser transparaître les méandres de mon inconscient. J'pouvais pas laisser transparaître mon imagination, mes fantasmes, mes désirs. J'pouvais pas coucher sur le papier ce qui me retournait les tripes. Finalement, je décrivais plus que je n'écrivais. Ecrire, c'est toujours reculer l'instant où tout s'est écroulé.

Et puis. J'ai cessé d'écrire. D'écrire vraiment, je veux dire. D'écrire pour les autres. Je m'en suis tenue à ma plume de diariste. J'ai blogué. Sur différentes plateformes. C'était pas toujours très heureux, il faut bien l'avouer. J'écris en vers et contre tous. C'est toujours l'enfer qui me pousse. A jeter l'encre sur le papier. J'y ai partagé mes introspections. De la description, encore.
Mais voilà. J'ai cessé d'écrire sur autre chose que sur moi. J'écris sur ce qui me blesse, la liste des forces qu'il me reste. J'ai cessé d'écrire vraiment. Aujourd'hui, tout le monde veut écrire. Je ne suis pas tout le monde. Un trop plein d'orgueil, sans doute. Je ne veux pas être une scribouilleuse parmi d'autres.

Alors je recommence par devenir une lectrice parmi d'autres. Et ça fait un bien fou.
En plus de travailler sur l'image que j'ai de moi. Qui me permettra peut-être un jour de m'autoriser à reprendre la plume. Mais ce n'est pas le plus important. Parce que de toute façon, j'ai exactement le même plaisir à me raconter des histoires qu'à vivre celles des autres. Parce que ça a exactement le même effet. Devenir une autre. Des milliers d'autres.
Et j'me dis que. Merde. Putain. Toutes les directions que j'ai prises jusque-là ne pouvaient pas me convenir. Parce que j'avais renoncé à. Ce qui me donnait envie de me lever le matin. Ce qui me donnait envie de rester éveillée le soir. Lire.
Parce que oui, lire m'était vital. Jamais je ne te parlerai de mon enfance. Comme je peux le faire aujourd'hui de mon adolescence. J'ai détesté être enfant. J'ai détesté ne pas comprendre les gens autour de moi. J'ai détesté ne pas me sentir comprise. J'ai détesté me sentir seule. J'ai détesté être cette enfant. J'peux te le dire, sans les livres, je n'aurais pas survécu.
Lire, c'est mon moteur. C'est ma pulsion de vie.

J'ai perdu treize ans de ma vie. A essayer de combler mon néant intérieur.
Allo, maman ? Euh, j'crois que j'vais pas être raisonnable, finalement.
Quand je serai grande, je serai héroïne de roman.