Chère insomnie de compagnie,

Il n'y a guère que lorsque je te retrouve que je prends le temps d'écrire. La rentrée, sa part d'inconnu, de nouveauté, de surprises, d'imprévus, de changement de rythme, de réorganisation. J'ai fini par admettre que j'aimais m'inquiéter. L'inquiétude est rassurante. Elle est maternelle.

Contrairement aux années précédentes, un paramètre inattendu change un peu la donne. J'ai fini par m'inscrire au tai-chi-chuan. Cette chorégraphie étrange que répétaitent sans cesse des groupes entiers dans les parcs du quartier où j'ai grandi.

Ce n'était pas l'idée de départ. J'avais tellement envie de reprendre l'aïkido. Mais qui dit art martial externe dit sueur, courbatures, cardio et essoufflement, surtout. Avec la prise de poids, j'ai ralenti mon activité physique jusqu'à ne plus en faire du tout. Jusqu'à ce que monter les escaliers se transforme en lente agonie. Je n'étais pas prête à tout ça. Ni à tenter d'ajuster un kimono trop petit.

Je ne sais plus trop comment m'est venue l'idée. Je me suis dit que commencer par un art martial interne, doux et progressif (pour le style que je pratique, en tout cas), ça m'aiderait à recommencer à bouger. Alors j'ai tenté un cours d'essai.

Dans le package du cours, il y avait du qi qong. Vraiment, pour le coup, ça ne m'attirait pas du tout. J'avais regardé une vidéo et je trouvais ça chiant à mourir. Je ne comprenais pas le principe, je n'en voyais pas l'intérêt. Mais j'ai essayé. J'ai reproduit les mouvements que l'on me montrait. Je me suis concentrée au mieux pour y mettre l'intention que me demandait. Et, sans m'y attendre, j'ai ressenti un apaisement, un bien-être profond. Comme si j'avais (un peu) relâché les tensions. Ce n'était pas miraculeux, après une heure, j'avais encore un cintre à la place des trapèzes. Mais je me sentais sereine.

On a enchaîné sur le tai-chi. J'ai vite compris que j'étais à ma place, que je travaillais exactement ce dont j'avais besoin. J'investissais mon corps, je m'ancrais dans le sol. Chercher l'instinct plutôt que l'intellect. Mon corps, je l'ai toujours nié. Je l'ai toujours considéré comme quelque chose d'encombrant. Qui m'empêchait de faire ce que je voulais. Qui m'empêchait de voler. Je suis heureuse de pouvoir en prendre soin, dans le respect de son histoire et de son vécu. Plutôt repasser mille fois sur le même mouvement que de forcer la première.

Ce n'est pas mou, comme je l'imaginais. C'est lent, mais intense.

J'en suis à quatre séances. J'ai hâte d'être à la cinquième. Et j'ai désormais hâte de reprendre l'aïkido. La probabilité que je m'y inscrive dans un an a fortement augmenté. Encore plus si je peux poursuivre l'aventure avec mon prof et son approche toute en douceur.

Pour me consacrer à cette nouvelle activité, j'ai abandonné la guitare. Et c'est sans aucun regret. J'ai beau m'acharner sur cette instrument, je ne suis finalement pas sûre que ce soit le mien. C'est un fantasme, une belle image tout au plus. Mon instrument, je l'ai trouvé depuis longtemps. Je ne suis pas prête à faire autant d'efforts pour un simple accompagnement. Peut-être que je me remettrai au piano. Pas pour devenir pianiste. Mais parce qu'il est plus facile d'y plaquer quelques accords. Le piano est facile d'accès pour un débutant, parce qu'il est toujours accordé, parce que quand tu appuies sur une touche, elle fait toujours le même son. Il est en revanche extrêmement difficile de devenir bon pianiste. Je n'aime pas le piano. Ça m'a toujours gonflée quand j'en faisais. Je voulais faire du violon. Ou du violoncelle. Mais ça devait paraître trop bizarre, alors on m'a collée au piano. Je ne suis sensible au son du piano qu'avec d'excellents pianistes. La guitare, c'est un peu différent. La technique est plus dure à acquérir, je trouve. Rien que pour sortir le moindre son correct, c'est un enfer. Pour les doigts et pour les tympans. Ça me frustrait beaucoup de ne pas être juste. De ne pas avoir le rendu que j'attendais. Surtout que je ne voulais pas vraiment apprendre la guitare. Je voulais apprivoiser un autre instrument pour pouvoir accompagner le mien. Et ne plus trembler de peur lorsque je me ferai accompagner.
Quoiqu'il en soit, j'ai mis la musique en pause pour les prochains mois. Au moins jusqu'à l'accouchement de ma prof de chant.

Ça laisse de la place pour quelque chose de moins vaporeux. De moins cérébral. De moins bruyant, c'est une certitude. De plus tangible, physique, dans la matière. J'ai besoin de matière. J'ai besoin de terre et de racines. Je vis beaucoup trop dans ma tête.

D'ici-là, veux-tu bien me laisser dormir les trois heures qu'il me reste avant de reprendre ma vie où je l'ai laissée hier ?