Je rêve que j'accouche de quatre enfants. Le scénar' de mon rêve a du faire de sacrées ellipses. Parce que quatre nains issus de quatre accouchements différents. Y'en a même un qui est arrivé dans un bocal, j'crois. Et puis, je me vois discuter avec une meuf que je connais vaguement. Une ancienne camarade de promo qui était venue sonner à ma porte. J'sais pas trop ce qu'elle foutait là. Surtout qu'elle portait le trench marron à petits cœurs noirs de l'une de mes amies. De la meilleure manière de maquiller l'infanticide. J'crois que j'ai finalement opté pour l'accident de voiture. C'est moins risqué que de les étouffer avec un coussin pendant leur sommeil. On est toujours dans mon rêve, hein. Mais j'ai pas envisagé tous les détails, et je ne suis pas certaine de la faisabilité de l'accident de voiture sans conducteur. Quoique si, à l'arrêt. En double-file. Et j'me suis même pas demandé qui conduirait la voiture, vu que j'ai toujours pas le permis. J'suis pas certaine, mais il me semble que la meuf au trench jouait un rôle dans l'éradication de ma progéniture. Des détails, donc. Puisque l'essentiel de la discussion a surtout porté sur le choix des sacrifiés. J'crois que je ne voulais pas tuer l'aînée en premier. Sûrement que l'ellipse temporelle a joué en la faveur de l'autre idiote d'ocytocine.

J'accompagne Tarabas rendre visite à sa sœur. A la maternité. Et le voir aussi ému de tenir contre lui un être quasi quatre fois plus petit. Il était tout guilleret. Il lui racontait plein de trucs. J'sais pas où il trouvait l'inspiration. J'sais jamais quoi leur dire, à ces choses-là. Il était fasciné qu'une toute petite main arrive à prendre en otage son énorme doigt. J'ai trouvé ça incroyable. Qu'on puisse s'émerveiller autant devant un nouveau-né. Ça m'a arraché le cœur.

Il a approché le paquet de mon épaule.

« Tu veux le prendre ? »
Euh. Moui. Si tu veux.

J'dis pas que c'était désagréable, hein. De sentir sur mon avant-bras un truc chaud et vivant. Un petit animal. Ni plus ni moins que si ça avait été un chaton. Les poils en moins. Quoique, c'est pas le cas de tous les bébés d'animaux humains. Toujours est-il que celui-ci n'était pas très velu. Ni très laid. N'empêche, un chaton, c'est quand même plus doux. Et moins bruyant. A choisir, j'préférerais adopter un chaton.
Un bébé humain, c'est sympa aussi. C'est moelleux. Quand on appuie dessus, ça rebondit. J'y appuierais bien une dent, pour voir. Ça se mange ? Et puis, c'est vrai que ça ne demande pas trop d'efforts pour obtenir une réaction. Ça peut être divertissant. Et puis, ça peut faire office de bouillotte. Sauf que les températures actuelles me donnent plutôt envie de me passer de cette dernière option.
Enfin voilà quoi. C'est amusant deux minutes. Et c'est pas mal dangereux, aussi. J'veux dire, ça n'a aucun moyen de se défendre, sinon par l'odeur. C'est mou, ça ne tient pas tout seul, ça n'a pas de dents. Un chaton, au moins, il peut sortir ses griffes, ses dents, ou se carapater vite fait. Du coup, j'me sens un peu toute puissante, face à cette minuscule chose. C'est dangereux. J'pourrais avoir envie de faire des expériences dessus. Mon oncle sadique faisait ça avec moi, quand j'étais petite. Genre il me mettait une couverture sur la tête. Mon oncle est pervers et mauvais ; il se réjouit de la souffrance des autres. J'crois que moi aussi, j'ai un fond sadique. Elizabeth Teissier pourrait te le confirmer, mon thème astral est formel sur la question. Et puis, y'a même pas besoin de m'en convaincre, y'a qu'à voir comme le bonheur des autres m'emmerde. Je trouve ça chiant et sans intérêt. J'trouve mes potes plus créatifs lorsqu'ils vont mal. Et plus enclins à communiquer avec moi, aussi.

J'ai l'coeur dans la gorge
Je cherche un mot tendre
Je sais qu'ils attendent
Que j'fonde en éloges
Mais les bébés frais
Chauves comme chev'lus
On sait que c'est laid
Autant que ça pue
 

Tarabas veut être père. Ça fait des années qu'il me bassine avec ça. Enfin, jusqu'à ce qu'il m'annonce qu'il serait capable de compromis. Comprendre : Renoncer à la paternité pour moi. C'est assez fou, quand on y pense. Que quelqu'un puisse m'aimer au point de renoncer au projet qui lui tient le plus à cœur. J'suis pas digne d'être aimée à ce point. D'autant plus que je suis totalement incapable de faire un sacrifice à la hauteur de celui-ci. Pour qui que ce soit. Je suis bien trop individualiste pour ça. Mon bien-être, mon confort et mes envies passent bien souvent avant tout le reste. Je suis demeurée relativement imperméable aux injonctions genrées d'amour sacrificiel. Relativement, parce que, parfois, je n'arrive quand même pas à dire non. Ça me met dans un état d'agacement extrême. Le sacrifice autant que la faiblesse. Il est néanmoins évident que je n'en suis pas moins une groupie. Pour te dire que je ne suis pas totalement passée aux travers des mailles du filet des injonctions genrées. Je tombe amoureuse par admiration. Fascination. J'pourrais passer le reste de ma vie à sautiller en battant des mains. Je reste des heures à regarder Tarabas gratouiller. Ça me fait plaisir quand il me propose de poser ma voix sur quelques accords, mais tu vois, j'crois que je préfère n'entendre que le son de ses ongles sur les cordes.

L'avantage avec Tarabas, c'est qu'il sait qui je suis. J'veux dire, je n'ai pas besoin de lui faire de démonstrations. Il arrive à trouver, sous les couches de masques, de contrôle, d'imposture, de brassage de vent et de noyage de poissons, quelques qualités à admirer.
Ce qui est impossible lorsque tu viens de croiser la route de. Je suis complètement inintéressante à rencontrer, comme meuf. J'ai tellement peur de faire un faux-pas que je marche sur des œufs. Il n'y a que lorsque je suis en confiance avec quelqu'un que j'arrive à être vraiment moi. Et je mets du temps à faire confiance. A croire enfin que l'on ne me rejettera pas pour ce que je suis. Des années parfois. Du coup, avant ça, je suis un peu une coquille vide. Voilà pourquoi j'ai tellement de mal à faire durer mes histoires. Celles que j'ai envie de faire durer, j'entends. L'enchantement embrouillé des premiers instants s'estompe toujours. Stark, il ne trouvait aucun intérêt à se battre pour une relation avec une coquille vide, je suppose. Si mon ambition dans la vie, c'est d'être une muse, j'comprends que ça n'intéresse pas grand monde.

Tout ça pour dire que je me demande souvent pourquoi Tarabas me regarde avec les yeux qui brillent. Je suis sa déesse. Sans blague, c'est exactement l'image qu'il me renvoie. 
Tarabas, il m'a connue dans tous mes états. En pyjama délavé, troué, tâché ; la tête dans la cuvette des toilettes ; les yeux bouffis ; le cheveu gras ; le poil dru ; des boutons plein la tronche. Sentant la sueur, le sébum, l'ail, le fromage, le vomi. Avec quarante kilos en moins. Et donc quarante kilos en plus. Il m'a vue gonfler comme une baudruche en quelques mois. Et ne plus jamais dégonfler. Il connaît mes complexes. Il connaît mes défauts. Et mes faiblesses. Il m'a vue dans d'autres bras. Il m'a entendue lui mentir, le trahir, le blesser. Il a senti mes coups. Et mon envie de le tuer. Et il continue pourtant à me regarder comme la huitième merveille du monde. Je trouve ça complètement fou. Et je serais folle de le laisser quitter ma vie. C'est rare. D'avoir quelqu'un qui t'aime à ce point. C'est rare et précieux.

Je m'y attendais. Je savais qu'elle arriverait.

« Et vous, quand est-ce que vous vous y mettez ? »
Jamais !

Comme une boulet de canon. Violemment. Brutalement. J'crois qu'inconsciemment, j'ai du vouloir faire ressentir ce que la question m'avait fait ressentir. De la colère, du dégoût. De la frustration. De la honte. Du mépris.
J'ai bien vu que ça l'avait piqué. J'ai bien vu qu'il m'en voulait. De dire aussi haut ce que je pensais tout bas. Ça rendait mes mots tellement réels. Ils s'étaient brisés sur les parois en plastique du berceau et avaient explosé en milliards d'éclats tranchants. Désormais incrustés sur sa peau meurtrie.

Tarabas m'en veut. Je ne sais pas si j'aurai le courage d'assumer sa rancœur.