Nos discussions ont beaucoup apaisé les tensions. Comme toujours, il n'y a vraiment pas de secret. Les non-dits, les suppositions, les interprétations, ça fout une merde pas possible.

Rahan sait exactement où j'en suis par rapport à Tarabas. Et réciproquement, ses confidences m'ont permis d'ajouter de nouveaux calques sur son image. Je sais mieux qui il est, et, ainsi, je comprends mieux certaines de ses réactions.
J'ai toujours eu dans l'idée qu'il fallait éviter de parler de mon vécu amoureux quand je suis dans une logique de séduction. Force est de constater qu'on ne peut pas faire table rase du passé. Et quand on crée une nouvelle histoire, on ne part pas de rien. Parfois, on a eu suffisamment de temps et de recul pour faire le tri et se délester de quelques sacs trop lourds à porter. Souvent, ce n'est pas vraiment le cas. On arrive avec une montagne de préjugés sur les autres et sur les relations.

C'est sûr, ça ne tombe pas sous le sens de balancer qu'on est toujours et pour toujours follement amoureuse de son ex. Que l'impossibilité de l'histoire fait qu'on idéalise complètement le lien qui nous unit. Et qu'on ne se sent pas capable de mélanger son corps à un.e autre que lui. J'éprouve une crainte insurmontable, doublée d'une immense culpabilité et un profond dégoût, à l'idée de reproduire une aussi grande intimité. Aussi grande parce que le sexe implique un lâcher-prise. Sans quoi, je trouve que ça n'a aucun intérêt. C'est bien le seul domaine où je réussissais à être totalement dans ce lâcher-prise, qui me fait défaut dans tous les autres aspects de ma vie. Sauf que lâcher prise nécessite, pour moi, une confiance et une complicité que je refuse de recréer.
Avec Rahan, je reste dans le contrôle et la légèreté. Et c'est le risque de perte de contrôle qui me pousse à fuir.

C'est bientôt l'anniversaire de Tarabas. J'ai des dizaines d'idées de cadeaux tous les jours depuis des mois. En fait, il occupe complètement mon esprit. Je ne suis pas libre. Ni dans ma tête, ni dans mon cœur, ni dans mes tripes, ni dans mon corps. Je n'en parle pas. Je me force à ne pas y donner d'importance. A m'enfermer dans ma tour d'ivoire émotionnelle. Mais ça ne change pas grand chose au fond. Je suis verrouillée.

Rahan se montre patient. Il pense qu'il me faut du temps. J'ai l'impression de le laisser espérer quelque chose qui n'arrivera pas. Parce que je sais que le temps ne fera qu'amplifier le problème. L'idéalisation. Comme toujours, je vais me noyer dans le bovarysme. J'ai déjà bu la tasse un paquet de fois. Et le truc, c'est que je ne veux surtout pas attraper la bouée de sauvetage. Je n'ai pas envie d'être sauvée. Je suis bien, dans mon océan d'imagination : il me porte et m'enveloppe.

Ces quelques jours ont été une agréable parenthèse. Je l'aime vraiment bien, Rahan. Je trouverais ça beaucoup plus simple de pouvoir le considérer comme un ami. Mais je me connais, je vais avoir envie de le garder dans mon harem. Comprendre : De l'enfermer dans ma cave, plus ou moins avec son consentement. Si j'peux me passer de barbituriques, j'aime autant. Et ce n'est pas une bonne idée. J'ai décidé de me défaire de mon harem. De tous ces jolis miroirs qui me renvoient une image à laquelle je ne crois de toute façon pas. De tous ces jolis miroirs qui me perdent dans le labyrinthe de ma vie et me détournent de mes objectifs.

Une chose est certaine, je ne peux plus couper les ponts comme je l'avais décidé. Nous avons un chaton ensemble, et, même s'il en a la garde exclusive avec droits de visite, j'assumerai ma maternité chat. On peut parler de chaternité ? Avec Marcelle - Rahan hésite à faire inscrire officiellement « Marcelle » sur son carnet de santé, j'vois absolument pas le problème, pourtant -, on s'est tout de suite attachées l'une à l'autre. On se fait des concours de miaulements.
Et puis, après avoir appris ce que je sais, je ne peux lui faire subir un second abandon. Je culpabilise encore aujourd'hui de ce que j'ai fait vivre à mon premier rat, par inconscience. L'âge n'excuse pas tout, je sais que mon karma me le fera payer. Il est hors de question que je fasse souffrir un autre animal. Comme nous le soupçonnions très fort, Marcelle a été abandonnée par les humains qui lui ont négligemment permis de naître. Après enquête, on a pu les identifier. C'était pas très compliqué, c'est une toute petite ville et les gens parlent. Leur chatte a eu une portée, ils n'ont pas trouvé d'adoptants pour Marcelle, alors ils l'ont laissée dehors et ont arrêté de s'en occuper. Quand on l'a trouvée, ça faisait plus de deux mois qu'elle essayait de survivre. Dénutrition, coryza et j'en passe. Et encore, je me demande comment elle a fait pour tenir, dans le froid. Je suis révoltée. Des pourritures, ces gens-là. Très clairement, on va porter plainte. Je ne suis pas convaincue qu'elle soit vraiment traitée, et c'est une situation de maltraitance très commune. Mais c'est ça ou je vais leur casser la gueule.
Par conséquent, d'une façon ou d'une autre, je suis obligée de garder contact avec Rahan. Et ça me ravit autant que ça m'emmerde.