Fin août.

Bon. Je suis officiellement passée de nonne auto-verrouillée dans sa cellule à polyamoureuse sortie du placard. Et je le vis (à peu près) bien.

 

L'autre, elle dit ça alors qu'elle a refusé de coucher avec Tarabas parce qu'il était déjà engagé ailleurs. Oui, mais non. Tarabas était engagé dans une relation monogame. Et j'avais pas envie d'être complice d'une tromperie. Tu parles, c'est pas comme si c'était la première fois que tu étais la maîtresse de quelqu'un. Oui, mais non. Justement, il est absolument hors de question que je sois la maîtresse de Tarabas. Je suis le centre de son monde ou rien, et puis c'est tout. Et c'est pas négociable. Après, s'il veut aller se mélanger à d'autres personnes, c'est son corps, il ne m'appartient pas. Et s'il veut tomber amoureux d'autres personnes aussi. Tu parles, avoue que tu serres les dents. Un peu, parce qu'il y a toujours cette peur de l'abandon en arrière-plan. La peur n'évite pas le danger. Et je me suis (presque) défaite de mon besoin de harem, ce n'est pas pour le marquer au fer rouge et l’enfermer dans ma cave. J'dis pas que je ne l'ai jamais envisagé, hein. Mais non, finalement, je vais éviter.

 

Je ne sais pas si c'est aussi l'insolation. Ou son anniversaire. Ou l'alignement des étoiles. Qui m'ont poussée à sauter sur Rahan, chez Schtroumpf grognon. Sur le canapé où je lui ai parlé pour la première fois, il y a un an de ça. Avant que je ne lui voue une haine féroce pendant des mois.
Ce fût une expérience étonnante. Et enrichissante. A tout point de vue.

Il y a un an, j'ai décidé que ma peau aussi avait le droit à ma bienveillance. J'ai arrêté de lui faire subir la douleur de la cire qu'on arrache et le feu du rasoir. Et après être passée par une phase où la tondeuse faisait très bien illusion. A la piscine, sous les jupes et dans le lit de mes partenaires. Il y a huit mois, j'ai décidé que ça suffisait. Que j'avais fait souffrir mon corps bien trop d'années pour m'obliger à continuer. Que si je voulais l'accepter tel il est, c'était aussi avec ce qui pousse naturellement dessus. Après tout, je ne m'arrache pas les ongles ou les cheveux. Que ma peau valait bien qu'on lui laisse ses poils protecteurs.
Et si cette décision m'apparaît comme une évidence absolue. Parce que simple et logique. Je ne l'assume pas complètement. Sans doute parce que personne n'est libre tant que tout le monde ne l'est pas. Ou parce que l'image et l'estime de soi étaient déjà un problème avant ça. Déjà que je suis grosse, si en plus je suis poilue, dans mon conditionnement social et celui de tous mes pairs, c'est forcément que je suis négligée. N'importe quoi, hein. Vraiment n'importe quoi. Oh, ça va, la ramène pas, la p'tite voix. Je sais bien que c'est idiot. Tu veux que je la ferme, maintenant ? Sois belle et tais-toi ? Je ne sais même pas à quoi tu ressembles, alors tu peux bien être laide si ça te chante, mais tais-toi. Je n'ai pas envie de renvoyer une image négligée. Parce que j'ai du mal à me défaire de toutes ces années à essayer de rentrer dans le moule, à essayer d'être normale et de me fondre dans le décor. Je  ne tiens pas à être complètement isolée par mon apparence. Pour autant, je n'ai pas non plus envie de souffrir.

J'ai abandonné les talons, il y a quelques années de ça, maintenant. Aujourd'hui, je sors même avec des chaussures à orteils. Juste parce que je suis super bien dedans. J'ai progressivement abandonné le sac à main, quand j'ai à y fourrer plus que mes clés et mon portefeuille. Mon dos me remercie. Mais les poils, c'est autre chose. Ce n'est pas un accessoire, que je peux changer à ma guise. Mes poils font partie de mon corps. C'est lui qui les fabrique. C'est de moi dont il est question.

L'hiver m'a aidée à les planquer. Mon séjour au monastère aussi. Seul le lit de Tarabas a accueilli la repousse.  Et Tarabas, il s'en tape. Il ne pas jamais fait aucune remarque ni requête concernant mon corps. Je fais comme je veux, ça lui est égal. Mon corps, mon choix. Cela dit, s'il m'en avait osé m'en faire, il aurait eu droit au coup de gueule du siècle. Et ne va pas dire qu'il se tait sous la menace, hein. Je mesure à quel point ce mec est génial.

Mais voilà. Si la chaleur a pris son temps, elle a fini par s'installer. J'ai continué à planquer mes jambes sous des vêtements. Je crois que je continuerai encore à le faire. Parce que je n'ai pas envie de me mettre en danger narcissique. Parce que les regards et les regards malveillants et méchants, j'en ai suffisamment subis pour savoir que je ne suis pas capable de les accueillir sans blessure.

Sauf que, quand tu veux te mélanger avec quelqu'un, c'est quand même bien plus pratique de les virer, les vêtements. Et en sautant sur Rahan, il s'est passé exactement ce qu'il devait se passer : il a voulu passer ses mains sous le tissu et me déshabiller. Et là, Panique et son ami Complexe se sont ramenés. Dîtes, le moment est un peu mal choisi, là. C'était pas ce qui était convenu : j'suis censée m'envoyer en l'air et prendre un pied d'enfer ; vous ne vous joignez jamais à moi dans ces moments-là, d'habitude, c'est justement le seul contexte où vous me foutez une paix royale. J'ai eu besoin de le prévenir. Il a paru surpris. Et puis. « On s'en fout, allez, enlève-moi ça ! » Alors je l'ai fait. Et c'était cool.
On a reparlé après. Il m'a dit qu'il n'avait pas l'habitude, mais qu'au final, ça ne changeait pas grand chose. Autant te dire qu'il a gagné pas mal de points dans mon estime. Venant de sa part, je suis vraiment étonnée. Lui, le mec à qui j'ai dû rentrer dans le lard, il y a un an, quand il m'a dit qu'il considérait qu'une fille qui couche le premier soir ne se respecte pas. Ouais, je parle bien du même.

Au passage, oui, bon, d'accord, j'avais promis que je ne lui céderais jamais, que je l'allumerais à mort sans jamais lui donner ce qu'il cherche à obtenir. Un an, c'est une belle performance. D'ailleurs, je ne me suis pas priver de lui faire remarquer que j'avais pris au pied de la lettre sa théorie à la con, en lui demandant ce qu'il pensait d'une fille qui couche au bout d'un an. Il a ri et m'a répondu que j'avais bien fait de ne pas coucher avec lui le premier soir. Je l'ai frappé. Il a concédé sa stupidité.

 

En revanche, je ne supporte plus de partager le lit de quelqu'un. Je n'arrive pas à m'endormir, je passe une mauvaise nuit, je me sens oppressée, j'ai trop chaud. Je me suis sacrifiée pour Tarabas pendant un mois et demi, pour de bonnes raisons. Aujourd'hui, sans ces bonnes raisons, je ne suis plus capable de faire ce sacrifice. Ni Tarabas ni Rahan ne comprennent. Et je le vis mal.

J'hésite à retourner me réfugier dans ma cellule. Là où on me laisse dormir tranquille. Et où je n'ai pas à me demander ce que fait Tarabas et avec qui.