Cette nuit, ma vieille copine la crise d’angoisse n’arrive pas à dormir. Alors, je lui tiens compagnie.

Je m’accroche à mon mari comme une moule à son rocher. Et je répète que ce n’est pas sain. Vraiment pas sain. Ce n’est pas une relation basée sur la séduction. Après tout, nous sommes déjà mariés. J’ai déjà arrêté de m’épiler. Et il m’envoie des messages depuis les toilettes. Enfin, c’est une relation un peu bâtarde, mais c’est quand même ce qui se rapproche le plus d’une amitié. Avec son lot d’enjeux affectifs, de possessivité et d’ego.  Peu importe, en fait. Je ne suis pas différente dans mes histoires d’amour et dans mes amitiés profondes et gémellaires. Dans mes amitiés tout court, en réalité. Jamais je n’admettrai mon côté possessif, parce qu’il n’est pas du tout le bienvenu dans ma vie. Force est de constater que j’ai régulièrement envie d’enfermer des gens dans ma cave. Si c’est pour que tu me préfères quelqu’un d’autre, j’aime autant te tuer. Dis bonjour à ma méchante sorcière, mon double maléfique. C’est ma part sombre, celle que je refuse d’accepter. Celle à qui je ne ferai jamais la moindre place. Toujours est-il que, même si je ne fais jamais. JAMAIS. De crise de jalousie. Plutôt crever que d’emmerder les autres avec mes failles affectives. Elle s’invite ponctuellement dans ma vie. Particulièrement dans les moments où je me sens mal, nulle, indigne d’intérêt. Saloperie d’abandonnisme.

C’est exactement ce que je craignais, avec mon mari. Et exactement ce qui se passe. Forcément. Je n’ai plus de nouvelles depuis quatre jours. Alors qu’on était en contact quasi permanent depuis un mois. J’imagine le pire. Le pire, mais dans sa version autocentré. Moi-je. Il en a marre de moi. Il préfère jouer au couple confortable avec une meuf de passage. Tant qu’elle accepte le rôle, ça lui convient. Il préfère s’écarter de notre relation. Parce que je ne suis pas présente pour lui. Physiquement. Parce que prendre soin de lui à distance ne suffit pas. Ne suffit plus depuis que l’on s’est revus.
Mouais, enfin, t’as aussi parfaitement conscience que tu prends tout de manière personnelle et disproportionnée, hein. T’aurais été mieux dans ta peau, plus confiante, t’aurais simplement pensé qu’il a de bonnes raisons de ne pas te donner de nouvelles. Que tu n’es pas le centre du monde, et que son éloignement subit n’a rien à voir avec toi. Je le sais bien, la p’tite voix. Je perçois très bien le vicieux mécanisme qui me fait vivre si mal ces quelques jours sans signe de vie.
T’aurais été mieux dans ta peau, tu serais tellement occupée par ta propre vie que tu n’aurais pas le temps d’y penser. Tu en serais naturellement détachée émotionnellement. Sauf que. Je ne fais rien de ma vie. Ni de mes journées. Et j’angoisse trop pour faire autrement que de rester en position fœtale sous ma couette. L’angoisse me tétanise. Bah là, on est bien.

Même le psy qui m’avait encouragée à prendre mes projets à bras le corps, en me fixant des objectifs concrets et des dates butoir, m’a demandé aujourd’hui de tout arrêter. Il paraît que je suis beaucoup trop sous pression pour ça. Autant te dire que je le vis comme un échec. Et que je me sens encore plus nulle. Si, même accompagnée par quelqu’un, je ne suis pas fichue d’avancer, je ne sais pas comment je pourrais.

Pour en revenir à mon mari. Encore lui. Je lui en veux. Evidemment, je suis devenue cette personne aigrie qui en veut aux autres de ne pas lui apporter l’attention dont elle a besoin. La Zizanie qui va bien fait sa vie et n’attend rien de personne. Jamais. Elle est heureuse de recevoir leurs attentions et leur amour, mais ne les attends pas. Elle ne rend pas les autres responsables de son bonheur. J’comprends pas qui est cette personne qui a pris possession de ma carcasse depuis environ sept mois. Je ne la reconnais pas. Je n’ai jamais souhaité l’accueillir. C’est une squatteuse indésirable.
Si j’étais à la place de mon mari, j’en aurais marre de moi aussi. Je suis terriblement chiante, et terriblement needy. J’attends de lui qu’il comble tous mes besoins affectifs. Mes énooormes besoins affectifs. Parce que je ne suis pas fichue de les combler toute seule, ou ailleurs.

Tarabas me laisse des messages inquiets. Rahan m’envoie balader.
Rahan a un sens de la diplomatie encore pire que le mien. C’est dire à quel point il peut être cassant. Je lui en veux de ne pas être à la hauteur. Alors que je devrais comprendre sa réaction. Je n’ai pas du tout été correcte avec lui. Je me mure dans mon silence. Tiens, exactement ce que tu reprochais à Stark. Oh, ta gueule, la p’tite voix. Je ne lui reprochais pas, je comprenais. C’est juste que c’est impossible de continuer à porter une relation quand la communication est rompue. On est d’accord.
Tarabas me connaît mieux. Il sait que ce n’est pas bon signe quand je m’enferme dans ma bulle. Il sait mieux que personne comment je fonctionne. Tu devrais lui suggérer d’écrire ton mode d’emploi, ça simplifierait la vie à tout le monde. Tarabas se sent impuissant. Je le comprends. Je ne me laisse pas aider.

Je n’arrive pas à parler. A mes proches. A mes potes. Je n’aurais jamais eu le courage de raconter de vive voix tout ce que j’écris ici. Déjà qu’avec le psy, c’est compliqué. Même si ça se dénoue bien plus facilement que je ne l’aurais pensé. Mais le psy, il n’est pas impliqué dans ma vie. Le psy, c’est son rôle. J’ai même appris à chialer devant lui sans m’excuser, j’suis fière de moi.

J’fais comment pour leur expliquer que je ne suis plus au top de mon amitié, de ma bienveillance et de ma joie de vivre ? J’fais comment pour leur expliquer que si je les fuis, ce n’est pas parce que je les rejette ? J’fais comment pour leur dire « hey, j’risque d’être chiante et vide, mais ça me fait du bien de te voir, même si parfois je te plante à la dernière minute, ça me change les idées » ? Je ne te demande pas de m’aider, je ne sais pas me laisser aider, mais, si on continue à se voir, ça m’ancre dans la réalité. Ça m’aide à me mettre dans le crâne. A essayer de. Que j’ai encore quelques ami.e.s, pas toujours très disponibles et parfois maladroit.e.s, mais qui m’aiment. J’comprends toujours pas pourquoi, mais c’est bien le cas. Et si je me sens blessée par leurs comportements ou leurs paroles, c’est avant tout parce que je suis à fleur de peau.

Moi non plus, je ne sais jamais comment réagir quand les autres vont mal. Parfois, je me mets en retrait, parce que j’ai l’impression d’être impuissante et de ne rien leur apporter de positif. Note pour plus tard : arrête de faire ça, à moins que tu ne veuilles lui donner l’impression qu’iel a la peste.