Bienvenue dans la vie des adultes qui se font exploiter à temps plein toute la semaine et pour qui le week-end sert à se reposer et à déstresser pour réussir à être performant au travail la semaine suivante. Sérieusement, c'est quoi ce délire autour de la méditation et du sport dans l'unique but de mieux vivre le capitalisme ? On en est vraiment là ?

Ah ouais, je vais peut-être resituer un tout petit peu après des paragraphes entiers de digressions. Nous sommes donc sur un week-end de fête de fiançailles dans un pavillon de banlieue de ma Natale Capitale, avec beaucoup trop de monde pour la très introvertie que je suis. Je n'aime pas les gens. Quand ils sont trop nombreux et/ou que je les vois trop longtemps, leur seule présence m'agresse. Je suis souvent contente de voir les gens que j'aime (disons plutôt le peu de gens que j'aime), mais, il faut dire ce qui est : à leur contact, je me vide de mon énergie comme une baignoire qui fuit. Un week-end comme celui-là et je ne sors plus de chez moi pendant trois mois. En dehors de mes œuvres de bienfaisance pour la cause du capitalisme.

Donc le premier soir, on était tous épuisés par notre semaine de travail. On a bu un verre dans un bar (ouais, bon, un thé... attends, c'est super fort le lapsang souchong, wesh). Et on est rentrés se coucher assez tôt. Je suis montée la première. La sage M, Mamie M. C'est Boney M et blanc bonnet. Et je suis retrouvée à partager la chambre avec un couple de potes. Qui s'aime beaucoup. Beaucoup, beaucoup. Et qui. Me croyant endormie. A voulu se le montrer. Beaucoup, beaucoup. J'ai fini par me barrer avec mon plaid et mon oreiller pour aller pioncer sur le sofa de la cuisine. Nan, parce que bon la nuit blanche version documentaire animalier, ça ne me tentait pas des masses.

Il devait être deux ou trois heures du matin quand j'ai ouvert la porte de la cuisine... et que j'ai constaté qu'elle était déjà occupée. Là aussi, j'ai eu envie de tout cramer.
Par un type que je ne connaissais que de vue, en plus. Je n'aime vraiment pas les inconnus. Je me suis excusée. Il faut vraiment que j'arrête de m'excuser pour des trucs dont je ne suis pas responsable. J'ai dit que j'allais me faire une infusion et lui laisser le champ libre. Je ne sais pas vraiment où j'aurais été, mais soit. De toute façon, je suis allée nulle part.

Il. Appelons-le Cyrano, ce sera plus simple pour la suite de l'histoire. M'a répondu qu'il essayait de combler son insomnie donc que j'étais la bienvenue pour lui tenir compagnie. J'étais presque soulagée, tu vois.
Puis, balayant du regard le bazar sur le plan de travail, W a ouvert les hostilités. Celle-là, je ne m'attends jamais à la voir surgir. Ou érupter, plutôt. C'est le verbe qui convient le mieux à cette part de ma personnalité, W érupte. W, c'est le magma emprisonné sous terre. Un pluton. Ouais, W, c'est le Hadès de mes mondes intérieurs. Là où M serait plutôt Perséphone. Perséphone prend passivement son destin en main. Ouais bon, Hadès est un pédophile violeur qui enlève sa nièce pour en faire sa femme. C'est clairement pas pour lui trouver des excuses, mais le mec, il a été prédigéré par son père, on ne part pas tous avec les mêmes chances dans la vie. Ni avec les mêmes notions de morale, tu vois. Il faut dire aussi qu'ils en étaient tous là : meurtre, rapt, viol, inceste, cruauté, pédophilie, cannibalisme... bienvenue dans un reportage de TF1 ? Non, juste dans la mythologie grecque. Perséphone, elle est quand même la fille du grand manitou de l'Olympe, à quel moment tu pensais qu'elle ne savait pas ce qui l'attendait si elle mangeait ces grains de grenade ? Genre personne ne lui a transmis les règles d'entente de base entre les divinités chthoniennes et les divinités olympiennes. T'as raison, ouais. Par faim ? C'est une déesse, frère, tu crois vraiment que c'est une préoccupation de déesse, la faim ? Et puis, la fille de Déméter, vraiment ? Bref, Perséphone, elle ne fait rien pour devenir la reine des Enfers (le titre le plus classe du monde, il faut bien le dire), mais elle choisit de l'accepter.

Et voilà, quand je te disais que l'écriture était un tampon émotionnel, les digressions de ces épisodes sont autant de compulsions.
Revenons-en à Cyrano, en train de mélanger je ne sais quoi dans un récipient quelconque. Ou une pierre incandescente. Ou. Si Joseph d'Arimathie a pas été trop con, vous pouvez être sûr que le Graal, c'est un bocal à anchois.
Je ne vais jamais m'en sortir, là, les gars. Rassemblez-vous, ça part dans tous les sens.

W (mesurément agressive, le ton habituel de W, finalement) : Tu fais quoi exactement ?
Cyrano : Une génoise.
W : Ça te prend souvent ?
Cyrano : Ça m'arrive, oui. Autant que mon insomnie serve aux autres demain.
M (souriante, cherchant à reprendre le dessus) : Je fais chauffer de l'eau, tu veux boire quelque chose.
Cyrano : Je veux bien un café.
W (clairement agressive pour contrecarrer la tentative de M) : Ah ben c'est sûr que c'est le bon choix pour continuer à te plaindre de ton insomnie.
Cyrano : Qui a dit que je me plaignais ?
W : « Ouin-ouin, je me sacrifie pour les autres, je ne dors pas pour leur préparer un gateau. »
Cyrano : T'as raison, prends une petite verveine pour te détendre.
M : Court ou allongé ?
Cyrano (sur un clin d'oeil de beauf) : Toujours allongé.
W : C'est dommage de se priver de l'intensité et de l'amertume.
Cyrano : Pour l'amertume, tu m'en donnes déjà plus qu'il n'en faut.

Voilà, ça c'est W. Parfois, quand je la regarde faire, j'ai l'impression que ce n'est pas moi, et je ne comprends pas bien ce que je suis en train de raconter, ça sort tout seul. Alors que M n'a aucune répartie. Aucune. M, quand elle veut répondre à une attaque, on dirait une carpe hors de l'eau. Elle a la bouche grande ouverte et rien n'en sort. Rien du tout. Pour W, la meilleure défense, c'est l'attaque.

Et puis, on a discuté un peu plus normalement. Cyrano m'a demandé si ça m'arrivait souvent de squatter la cuisine des autres au milieu de la nuit (comme si c'était la sienne, tcheu), et il a compati au motif de mon insomnie. W a bien dû lui dire que quelques années auparavant, elle se serait bien jointe à la manifestation mais qu'elle les connaissait trop pour ça maintenant. C'est son grand truc, à W, de provoquer.

M s'est installée sur la méridienne avec son plaid et sa tisane. Et ça, c'est tout à fait M, tu vois. Je l'ai regardé étaler sa génoise sur la plaque, l'enfourner. Puis sortir un saladier du frigo et monter la crème à la main. J'étais assez impressionnée par sa maitrise et son sens de la minutie. La pâtisserie, ce n'est vraiment pas un truc que j'ai l'habitude de faire.

Je ne sais pas si c'est tout à fait W. Sans doute qu'elle était largement influencée par une part plus gamine, celle qui pouffe aux blagues nulles et aux connotations sexuelles. En tout cas, je n'ai pas pu réprimer un sourire quand je l'ai regardé fouetter la crème. En fait, si, je crois bien que c'est W, qui a ce sous-ton de sale gosse qui rit à ses propres blagues.

Cyrano : Pourquoi tu souris ?
M (gênée) / W (résignée) : Pour rien que je ne puisse dire à un inconnu à trois heures du mat'.
Parce que ouais, W ne fait jamais rien volontairement pour mettre M dans l'embarras. Elle s'arrête avant.

Sauf que, quand il m'a demandé si je voulais goûter, en me tendant son fouet, j'ai explosé de rire. J'en pleurais littéralement. Oui, oui, mettons ça sur l'excuse de la fatigue. J'ai quand même fini par lui expliquer, à demi-mots. Enfin, à demi-rien du tout, oui. W en a fait des caisses de regards par en-dessous, de sourires en coin et de haussements de sourcils. Elle n'est pas discrète, W, tu la vois arriver à quinze kilomètres. Et évidemment, la discussion a pris la tournure qu'elle attendait. Ce sont les interactions qu'elle maitrise le mieux, alors évidemment, elle entraine l'adversaire sur son terrain de jeu. Oui, parce que, pour W, tout le monde est un adversaire.

Cyrano : Tu ris de moi alors que je me fais mal au bras pour le bien de la communauté.
W : J'aurais pourtant pensé que tu étais entrainé.
Cyrano : Plutôt que de te foutre de ma gueule, tu pourrais me proposer un massage.
W : Je peux faire les deux : te faire un massage en continuant à me foutre de ta gueule.
Cyrano : Allez, vendu.

Bah ouais, c'était sûr. W, comme d'hab.

M lui a fait un massage, il s'est couché sur moi, elle a continué à le papouiller. Tout en discutant de tout et de n'importe quoi. De son métier qui n'a rien à voir avec la pâtisserie, du CAP et des émissions de télé. Du meilleur pâtissier et de la reprise de Koh-Lanta. Je ne regarde pas la première, et j'ai toujours un avis bien tranché sur les candidats de la deuxième. Des élections. Des origines de ma mère. Des origines de ses parents. De la sensibilité au bruit. Des sirènes dans la rue. Et puis il est retourné monter son gâteau. Entre temps, je m'étais allongée confortablement en prenant toute la place ; il a poussé mes pieds pour s'asseoir. W a mis mes pieds sur ses cuisses et en a profité pour quémander le règlement de mon massage. Bref, on a continué un moment à se papouiller mutuellement. Rien de plus. Et on a fini par s'endormir entrelacés. Jusqu'à ce que le jour se lève, qu'il entende du bruit à l'étage, et qu'il me réveille. Il était beaucoup trop tôt.

Tout ça pour me rendre compte que l'oblativité de mon amour a ses limites. Et que les moments de complicité intense avec Sirius ne suffisent pas à me rendre heureuse dans cette relation. Des moments de connexion, des instants de grâce, je suis capable d'en créer avec (presque) les premiers venus. Les relations en général me demandent une énergie folle. Introversion, tout ça. J'ai digressé toute la première partie de ce post dessus. Et les relations amoureuses. Bon, amoureuses, je ne sais toujours pas ça veut dire hein, je te rappelle que je ne fais strictement pas la différence entre l'amitié et l'amour ; mais comme c'est le vocabulaire communément admis et que j'ai la flemme d'en trouver un autre... une relation particulière ? Ouais, non, j'ai « partenaire particulier cherche partenaire particulière » dans la tête, maintenant. Et puis, surtout, j'ai la flemme. Privilégiée, disons. Ouais, c'est ça. Les relations privilégiées me demandent encore plus d'énergie que les autres. Et, franchement, là, je préfère appeler un plombier et qu'on me laisse mariner tranquille dans l'eau de ma solitude.

Quand faut-il être pour ? Que faut-il être encore ?