Fin avril, j'ai pris le train de nuit, direction Rahancity. Et finalement, on a échangé mon billet retour. Parce que c'était trop tôt. Parce qu'on avait encore des choses à se dire. Parce qu'on n'avait pas envie que ça se termine. Merde, tu fais chier, Rahan, j'suis bien obligée de t'accorder le point. T'as réussi ton pari, et je ne me sens même pas perdante.

Quand je suis montée dans le wagon, j'ai décidé d'être gentille. Vraiment gentille. Sans calcul, sans faux-semblants, sans jeu pervers, sans manipulation.
Je ne sais pas si c'est une conséquence directe de mon état d'esprit et de mon attitude, ou si c'est une coïncidence. Toujours est-il que le mec le plus cool et adorable de l'univers m'attendait à la gare, au petit matin. Il n'a été que gentillesse, tolérance et subtilité. Si, si, j'te jure. Moi-même, je n'y croyais pas.

Il a cherché des recettes de pancakes véganes, pour me préparer un petit-déj' de folie. Il s'est montré prévenant. Amical. Voilà, c'est le mot. C'est comme si toute séduction superflue et superficielle avait disparu. Comme s'il ne restait que le partage, l'échange, l'envie de passer du temps ensemble. Et beaucoup de tendresse.
Il m'a entraînée dans son rythme de vie frénétique. Rahan est un hyperactif, il ne sait pas rester à ne rien faire. Il voulait à tout prix me montrer ses montagnes, ses forêts, ses ruisseaux, ses cascades. Eeeh oooh, tout doux, mec, ça grimpe, ton truc. Il voulait absolument me montrer « le plus bel endroit de la terre », en toute simplicité. J'étais au bout de ma vie. Un peu comme ce jour où des Italiens très sympas avaient voulu nous montrer leur Rome, en nous faisant traverser toute la ville à pied. Et qu'on avait une nuit blanche et un voyage dans les pattes. On avait passé notre temps à râler. Il paraît qu'on apprend de ses erreurs. Je me suis épinglé un sourire sur le visage et j'ai demandé une pause. Il s'est excusé ! De son enthousiasme ! Et m'a déblayé un gros caillou pour m'asseoir. Mais, mais, mais... qui êtes vous ? Qu'avez-vous fait de Rahan ? J'ai repris mon souffle, on a papoté. Moi, qui ne suis jamais aussi bien qu'en voyage. Lui, qui n'est jamais aussi heureux que lorsqu'il revient chez lui. Il est vraiment amoureux fou ses montagnes. Je suis contente d'avoir joué le match retour à l'extérieur rien que pour voir ce Rahan-là. Un Rahan apaisé, épanoui, dans son élément.

On a passé des heures à discuter. A essayer de se connaître, à essayer de se comprendre. Et à vider quelques bouteilles de Chardonnay. J'crois qu'on n'y est pas trop mal arrivés. A se comprendre et à vider les bouteilles.
Ah, et on a secouru un chaton. Un chaton de 6-7 mois, d'après la véto. On l'a secouru... et on l'a recueilli.  Ouais, on a fait ça. Une minette qui passait son temps collée contre nous. Quand je dis collée, c'est qu'elle était en permanence dans nos pattes, avachie sur nous, agrippée à nos bras. Quand elle ne défonçait pas le canapé. Et qui nous tirait du lit à l'aube. Debout là-d'dans, c'est l'heure de la bectaaance ! Ce qui nous confirme que, malgré les apparences, c'est bien un chat. Il n'y a que ces êtres diaboliques pour faire ça. Chat qui a hérité du doux nom de Marcelle. Je chantonnais Boby Lapointe en lavant les couverts. Marceeelleeeeuh, j'ai fait la vaisseeelleeeuh, j'ai descendu la poubeeelleeeuh... Freddie, lui, il est associé à l'aspirateur, et Boby à la vaisselle. C'est tant pis pour elle. Pour le reste, c'est Zouk Machine, et rien d'autre. Nétwayééé, baléyééé, astikééé, kaz la toujou penpan... Tu sais tout.
J'avais Marcelle - qui ne s'appelait pas encore comme ça - enveloppée dans mon manteau quand Rahan m'a emmenée chercher un bac à litière et un panier de transport. Enfin, le panier, c'était pas tellement indispensable, vu que Marcelle se prend pour un koala. J'ai bien eu un chat qui se prenait pour un perroquet et qui passait sa vie perché sur mon épaule, alors un koala, allons bon. Je l'ai suivi. Jusqu'au moment où je me suis rendu compte que la dame qui se tenait dans la cuisine l'avait mis au monde. Ah ben ouais, tiens, rencontrons sa mère, tant qu'on y est. Po-po-poker face. Et sourire détendu. Même si à l'intérieur, j'en menais pas large. Fake it till you make it. Parce que ça a toujours été ma technique d'adaptation. Mon motto. Depuis que je suis toute petite.

On a passé toute une après-midi avec ses amis dans la bonne humeur.

« Salut, moi c'est CopaindeRahan ! »
Bonjour ! Zizanie.
« Oh, c'est toi la fameuse parisienne ! »
Evidemment, j'ai sauté sur l'occasion.
Uh. Rahaaaaan ! A ce qu'il parait, je suis fameuse ?
« Quoi ? J'y suis pour rien ! »
« Arrête un peu, tu nous en parles depuis des mois, de ta parisienne. »
Haaaaaaaaaan ! Grillééééé !

Oui, bon, d'accord, j'avais dis que je serais gentille. Mais si j'ai plus le droit d'être taquine (et immature), je vais revoir mes résolutions. C'était vraiment très chouette, comme moment. Ses amis sont super simples et accueillants. Ils m'ont tout de suite mise à l'aise.

Il m'a montré comment faire du feu après la pluie. Alors que le bois est humide. Il m'a montré comment fabriquer une cuillère en bois. Et celles qu'il avait déjà fabriquées. Et sculptées. J'suis hyper admirative. Il m'a montré ses couteaux, bien évidemment. Et ses haches. Et il me les a même prêtés. J'ai pu défoncer un bout de bois mort. On s'est taillé des épées très sommaires en bois. Et on s'est livré bataille en pleine forêt. J'étais aux anges. Enfin, entre deux hurlements associés à de grands moulinets avec les bras, parce qu'une bestiole s'était posée sur ma main. Je ne t'explique pas l'état dans lequel je suis quand elle vient se loger dans mon cou. Ouais, j'veux jouer les sauvages et partir vivre à la campagne, mais j'suis entomophobe. Pour de vrai de vrai. J'ai aussi peur des coccinelles, des papillons et des sauterelles, je ne blague pas. Et ça me saoule grave, crois-moi. Parce que j'peux pas profiter d'une balade dans les bois, j'suis en permanence à l'affût. J'ai passé des semaines sans foutre les pieds dans ma cuisine parce qu'elle était envahie de mites alimentaires, pour te dire à quel point ça peut être handicapant. C'est absolument pas rationnel. J'sais pas comment me débarrasser de cette phobie. Elle a bien fait rire Rahan. Et j'peux pas lui en vouloir.  Parce que je trouve mon comportement très absurde et ridicule. Allez, c'est cadeau, c'est moins cher que gratuit.

On s'est galochés, aussi. Une galoche de cinéma. Après avoir croqué dans une gousse d'ail. Un défi à la con.
L'ail, c'est ma monomanie alimentaire du moment. Elle tiendrait n'importe qui enfermé au monastère. Enfin, ça, c'est ce que je croyais. J'avais même prévu d'aller chez Rahan avec un collier d'ail autour du cou. J'suis monomaniaque dans à peu près tous les domaines. J'suis capable d'écouter la même chanson en boucle pendant un mois. De regarder le même film six fois de suite. De manger le même plat pendant des jours et des jours. Des semaines et des semaines. J'ai eu ma période soupe de potimarron. Ma période courgettes au curry. Ma période mac 'n' cheese véganes. Ma période gratin de chou-fleur. Ma période épinards vapeur nature et froids. Ma période dahl de lentilles corail. Ma période carottes au carvi. Ma période purée de céleri rave. J'suis capable de manger la même chose sans frustration ni besoin de variété. Et en ce moment, je suis complètement obsédée par l'ail. Non mais sérieusement, on en est au stade de l'addiction. Je mets de l'ail cru écrasé partout. Du pain à l'ail au réveil, j'sais pas si vous imaginez. Surtout qu'après, je me lave les dents avec mon super dentifrice à l'anis ; j'ai l'haleine qui sent l’ail et le pastis. C'est limite si je ne dors pas avec mon presse-ail sous l'oreiller. Je respire ail. Je transpire ail. Je rote ail. Je ne suis qu'ail et glamour.
J'ai pas pu m'empêcher de négocier une galoche à l'ail. Et oui, tu as le droit de dire qu'on est des gamins, parce que c'est le cas. Et que ça nous amuse beaucoup. Nos jeux stupides, c'est exactement comme si "on dirait que moi je suis le cowboy et toi l'indien", "là, j'ai tiré alors t'es blessé", "vas-y, faut que tu montres que t'as mal", "maintenant, couche-toi et fais le mort".

Conclusion : Ouais, t'as bien lu. Je suis partie avec la ferme intention de mettre un terme à cette relation. Nous avons adopté un chaton ensemble. J'ai rencontré sa mère. Et je ne sais toujours pas si je compte le revoir. La vie est facétieuse.