J’ai la sensation d’être à côté de mon corps. Si je devais expliquer encore une fois ce que je ressens lorsque je déconnecte, c’est celle d’être dédoublée. Je sors de mon corps mais je reste à côté. Tout proche. Vraiment très très proche. Si bien que je peux percevoir les sensations, les émotions, les pensées. Comme si elles étaient tout près, mais qu’elles n’étaient pas les miennes. Et puis, j’ai la sensation de flotter. De ne pas être posée sur le sol. D’être évanescente. Un peu comme mon propre fantôme. Parfois, j’ai la sensation de réintégrer mon corps. Comme un calque qui viendrait se poser sur le dessin dont il a pris l’essence. Cet instant m’apparait si douloureux que les larmes me montent aux yeux immédiatement. Parce que je n’ai pas de mots pour expliquer ce que je ressens à ce moment-là. Pour qualifier la douleur. Je me sens dépassée. Démunie. Je me sens Matilda. Comme si mon corps ne savait pas faire autrement. Ou plutôt si, merci à lui d’avoir mis en place ce mécanisme de défense assez efficace pour me mettre de continuer à vivre et à garder mon emploi. Pour me permettre de maintenir des relations superficielles avec les autres. Comme avec Cyrano. C’était extrêmement superficiel, des émotions créées de toutes pièces. Mesdames, messieurs, W à la mise en scène.

Contrairement à ce que j’ai dit dans un précédent post, M, elle n’essaye pas de prendre le relais de W. Ou plutôt si, elle essaye mais elle n’en est pas capable. Parce que c’est M qui est à l’origine du court-circuit du système. Elle a tellement surchauffé qu'elle l'a fait disjoncté.
M, elle a fait une sorte de burn-out maternel. Alors certes, elle n’est pas mère. Et les autres parts ne sont pas ses enfants, ce sont d’autres morceaux de mon identité au même titre qu’elle. Mais M, c’est celle qui prend soin. Des autres. Mais surtout du corps. Du mien. De l’esprit. Autant le psychologique que le mental. Non, le mental, je crois que c’est plutôt le domaine de W. Enfin, peu importe.

Et puis, elle s’occupe aussi de notre lieu de vie. La maison. L’appartement. Celui dans lequel j’ai emménagé il y a trois mois. Et que nous. Ou plutôt M. Puisque c’est son rôle. A laissé à l’abandon depuis deux mois. Elle est seule à gérer ça. A faire en sorte qu’on se sente bien dans notre environnement. Alors que W, elle vise l’efficacité. Prendre une douche, m’habiller, aller travailler à peu près à l’heure pour ne pas me faire virer, me nourrir pour ne pas crever. M, elle va faire des listes, et préparer des repas équilibrés.
M, elle voit à long terme. W se tape de savoir ce que je mange, tant que j’ai du carburant pour continuer à vivre. M anticipe ; W gère l’urgence. W, c’est « marche ou crève ». Donc, M, elle est seule à gérer le quotidien. Et ça faisait trop pour elle.

Maintenant, je me rends compte que je ne suis pas passée au-dessus. Novembre et décembre (j'ai écrit décombre, je te laisse en tirer ton interprétation) ont été des mois où le stress s’est accumulé de manière exponentielle. J’ai tenu. En demandant un coup de main pour mon déménagement. Parce que j’avais l’impression de me noyer. Dans un verre d’eau, mais de me noyer quand même. C’est W qui a tiré le signal d’alarme. « Help ! I need somebody! »
 Et puis, j’ai surtout tenu en me disant que ça allait passer, qu’il fallait serrer les dents. Et que, bientôt, je retrouverais la sérénité. Sauf que ce n’est pas comme ça que ça se passe. Le stress endommage le corps. C’est la raison pour laquelle il a fini par disjoncter.

Le fait d’écrire ici et de mettre des mots sur ce que ce qu’il se passe me fait vraiment beaucoup de bien. J’ai moins l’impression d’être folle. Parce que ça prend sens. Parce que ça devient palpable.
Je suis fatiguée d’être forte. J’ai juste envie de me laisser couler.