Pour atteindre le LAP, il faudra me passer sur le corps.

Combien sommes-nous à pouvoir dire ça ? Qui serait prêt à défendre le lieu dans lequel il a passé quelques années à user de l'encre et du temps ?

Quand tu mets un pied dans cet endroit, plus jamais il ne te quitte. Je refuse qu'on nous en prive. Ce serait perdre une partie de moi-même. Et ce serait empêcher d'autres de vivre la même aventure.
Bien sûr, le regard d'ancien élève reste critique. On t'offrira du "c'était mieux avant" à volonté. Mais. Contre une menace extérieure, nous faisons front. La solidarité, la coopération. Un même objectif. Le collectif, l'autogestion. Une école où on apprend à être quelqu'un de bien. Une école de la vie.

Enfin, je respirais. Enfin, je pouvais faire tout ce que j'avais voulu faire. Apprendre. Sans contraintes. Sans jugement. Sans but. Apprendre pour le plaisir. Par le plaisir. Apprendre, savoir, découvrir, s'intéresser, être curieux.
Je suis tellement nostalgique de cet endroit. Je souhaite à tes enfants, actuels ou futurs, de pouvoir profiter de tout ça.
La pédagogie traditionnelle. Celle que l'on subit et qui laisse sur le bord de la route les éléments perturbateurs. Ceux qui n'arrivent pas à bêler.

Pour que tu comprennes, il faut que je te raconte. Le contexte. Dans lequel je suis arrivée.
Il y a presque douze ans, je suis morte. Pas tout de suite, pas trop vite. J'ai terminé péniblement le collège. J'ai du raconter des bobards pour rendre visible ma souffrance. Et pour qu'on foute la paix à mes fantômes. Et si je n'ai plus de contact avec des anciens camarades de cette période, c'est significatif. Pourtant, dans le lot, il y avait des amis d'enfance. La rupture a été brutale. Je ne sais comment, j'ai eu mon brevet. Parce que je n'ai aucun souvenir de l'avoir passé. J'étais anesthésiée.
Tarabas. Je m'y suis accrochée pour garder la tête hors de l'eau. Et puis, il y avait Robin, et Elle. J'ai survécu. J'ai changé de quartier, changé d'établissement. Je me suis créé un avatar. J'y ai fait de jolies rencontres. Sous-Commandant M., au hasard. C'est à l'entrée en seconde que j'ai investi dans des épingles. Et j'ai étiré mon sourire jusqu'aux oreilles. J'ai refermé le couvercle sur le puzzle dispersé. J'ai fait taire mon passé. J'ai fait taire ma douleur.

Sauf que. L'année suivante, je perdais tous mes alliés. Sous-Commandant M., et les autres. Des amitiés précieuses. Poussée depuis mon enfance vers l'élite, je me retrouvais en première scientifique. Fini le temps des alliances, place à la compétition. A la mesquinerie. A la méchanceté gratuite. A la bêtise. J'ai chuté du haut d'un gratte-ciel. De plus de 16 de moyenne en maths, je tombais à 1,5. Une enseignante absolument pas compréhensive, qui n'a fait qu'accélérer le processus. Cette année-là, j'ai failli ne pas la terminer. C'est pas faute d'avoir essayé. J'ai carburé aux bonbons qui font sourire. Qui m'empêchaient de ressentir. J'étais lobotomisée. J'ai accepté d'intégrer un nouveau lycée. Encore un autre. Ça n'a pas duré. Quelques semaines, tout au plus. Rechute.
Et puis, je ne sais pas bien comment, j'ai envisagé le LAP. Quelques années auparavant, la despote me l'avait présenté comme un lycée de la seconde chance, pour les cancres. J'étais devenue un cancre. Cet endroit semblait parfait pour m'accueillir. J'ai fait les démarches pour m'inscrire. Toute seule. J'ai passé la sélection. Et j'ai fait ma première rentrée. Méfiante et craintive. Quelques jours ont suffi à m'apaiser. Petit à petit, j'ai arrêté les bonbons qui font sourire. Et j'ai souri pour de vrai.