Une copine m'a demandé si je n'ai pas négocié le polyamour pour tester Tarabas. J'vais faire une réponse de Normande.
Bien sûr que j'ai besoin de savoir où je mets les pieds. Ses tentatives de me faire croire qu'il souhaite un retour à la légèreté d'une relation sans conséquence ne sont que des manipulations de plus. Je veux savoir jusqu'où il est prêt à aller, pour obtenir ce qu'il veut. Et certainement pas en lui laissant la main sur toute la partie. Du coup, en effet, je pense qu'il s'est senti pris au piège, quand je lui ai dit que j'acceptais de me remettre avec lui si et seulement si je n'étais plus tenue à l'exclusivité affective.
Cependant, ce qui me fait répondre non, c'est que cette histoire de polyamour, ça fait des années qu'on en discute, des années que je sais qu'un jour où l'autre j'aurais besoin d'expérimenter la théorie, d'aller au bout de la démarche.
Et. Paramètre de grande importance. J'éprouve un attachement certain envers Rahan. C'est pas une surprise. Ça fait genre dix mois qu'on se renifle les fesses. C'est pas vraiment comment si je l'avais sorti de mon chapeau pour embêter Tarabas. Je n'arrive pas à envisager de renoncer à Rahan. Ce n'est pas concevable. On a tissé des liens forts, au milieu de toutes nos gamineries. Je ne veux pas en être séparée. Et même s'il ne s'était passé rien de plus, ma relation avec Rahan longeait déjà dangereusement les limites que Tarabas et moi nous étions fixées au départ. Voire les dépassait parfois légèrement.
De toute façon, ça a toujours été comme ça, avec Tarabas. Il y a toujours eu l'autre. Jusque-là, je l'avais toujours quitté pour cet.te autre. Avant de revenir. Et de repartir. Est-ce que ça signifie que je ne l'aime pas assez ? Certainement pas. Assez par rapport à quoi, d'abord ? Est-ce que l'exclusivité est le degré le plus élevé sur l'échelle des sentiments ? Je suis capable d'aimer plusieurs personnes en même temps. Plus que ça, je n'arrive pas à faire autrement. Et ça a toujours été le cas. Je ne me suis jamais reconnue dans ces relations fusionnelles où l'on a besoin d'une et d'une seule personne pour tout et pour toujours. Une seule personne avec qui on a envie de partager des moments complices, tendres, charnels, de faire des projets. Bah non. Je vis mes histoires d'amour exactement comme mes histoires d'amitié. Si ce n'est que j'ai arrêté de coucher avec mes ami.e.s. Parce qu'à l'âge adulte, ça fait désordre, paraît-il.

Concernant Rahan, si Tarabas n'était pas revenu dans ma vie, je serais restée dans ma cellule. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, j'aurais eu l'impression de me trahir si je m'étais mélangée à d'autres personnes alors qu'il avait quitté mon quotidien. Je ne lui ai fait aucune promesse, il n'en a brisé aucune en prenant de nouveaux engagements au bout du monde. On ne s'était pas promis de s'attendre, on avait au contraire décidé que c'était un point final. Et mon point final à moi, c'est celui que j'ai mis à toute relation amoureuse et/ou sexuelle. J'avais pris cette décision il y a bien longtemps, au moment où je m'étais remise avec Tarabas, je savais qu'après lui, il n'y aurait plus personne. Ce n'est pas une conséquence de notre rupture.
Son retour inattendu a redistribué les cartes. J'ai dénoué la promesse que je me suis faite le jour où j'ai replongé dans ses bras. A partir de là, il n'y avait plus aucune raison qui me tienne éloignée de toutes les potentielles histoires amoureuses et/ou sexuelles. Sinon le besoin de me construire seule. Mais je n'avance de toute façon pas, là-dessus. Et la plus potentielle d'entre elles, c'était Rahan. Ça fait quand même des mois qu'il revient dans quasiment tous les épisodes, j'ai arrêté de me voiler la face. Par conséquent, sans le retour de Tarabas, aucun rapprochement avec Rahan n'aurait été possible. Et c'est exactement comme ça que je lui ai exposé la situation.
Alors je ne te dis pas qu'il a accueilli mes conditions à bras ouverts. Sauf que. Ce n'était pas négociable, c'était à prendre ou à laisser. Coup de poker. Jamais je n'aurais cru qu'il puisse accepter. Jamais. Et en même temps, je savais que j'étais tout aussi incapable de renoncer à Tarabas. Je lui ai laissé le temps de la réflexion. Il a commencé par me dire que c'était totalement hors de question. Qu'il n'autoriserait jamais sa copine à se faire sauter par d'autres mecs. Que c'était le pire manque de respect qu'on puisse faire à l'autre dans un couple.
Et puis. Il a fini par m'envoyer « je suis d'accord pour essayer ». Il m'a précisé qu'il n'était pas certain de pouvoir le supporter. Il ne voulait rien savoir de ce que je faisais avec d'autres que lui. Mais qu'il était prêt à tenter le coup.
Je ne lui ai pas mis le couteau sous la gorge, ce n'était pas « ça ou rien ». C'était « ça ou on continue comme avant ». A se voir, à se parler, à se marrer, à essayer d'éduquer Marcelle ensemble. J'ai investi dans un clicker. Je sais que c'est particulièrement difficile sur les chats, mais je ne désespère pas de la prendre au jeu. L'objectif principal de la manœuvre, c'est de réussir à lui faire accepter les manipulations sans contrainte. Notamment celles visant à lui administrer un traitement. Pour nous (Marcelle, Rahan et parfois moi) simplifier la vie, au cas où ça devait arriver. La dernière fois que j'ai dû donner un comprimé à un chat, il s'est clairement foutu de ma gueule. J'ai trouvé ça très drôle, qu'il me fasse tourner en bourrique. Mais ça restait dangereux pour sa santé. En général, c'est pas juste pour l'embêter, que tu lui files des médocs. Bref, j'ai pas demandé à Rahan de choisir entre le polyamour et la fin de notre relation. Je lui ai juste dit que s'il voulait que ça évolue vers quelque chose de moins platonique – ce qu'il passe son temps à tenter –, c'était tout ce que je pouvais lui proposer. Avant le retour de Tarabas, rien n'aurait été négociable, de toute façon.

Pour le moment, j'ai l'impression d'avoir trouvé une certaine sérénité dans ma manière de gérer des relations qui ne le sont pas. Tout est clair, je ne trompe personne, y compris moi. Je n'ai pas à mentir ou travestir ce que je ressens.
Je découvre Rahan chaque jour un peu plus, et il ne cesse de me surprendre. Bon, faut pas se leurrer, le rapport de force n'a pas disparu. Autant que le jeu malsain qui me lie à Tarabas. Et il ne disparaîtra pas. Sans doute que ça me gonflera et que je finirai par lui planter une hache dans le crâne. En attendant, je suis plutôt contente d'avoir l'opportunité de gratter un peu le vernis. Parce que, jusque-là, mes fouilles me font découvrir de jolis trésors.
Et avoir Tarabas auprès de moi, c'est du bonus sur lequel j'avais fait une croix. Je sais que ça se terminera. Mais finalement, je suis contente de nous accorder  – encore  – un temps supplémentaire à vivre ensemble. It's liiike a dreeeeeaaaaam, nooo eeend and nooo beeegiiinniiing. Yooou're heeere wiiith meee, iiit's liiike aaa dreeeeeaaaaam.