Comme souvent, c'est lorsque j'envisage de faire foirer mes relations que j'en parle. Et lorsque j'envisage de les faire foirer, c'est justement parce que tout va bien. C'est sans aucun doute parce que tout va bien que je n'en parle pas.

Je t'ai raconté mes retrouvailles inattendues avec Tarabas, et j'y ai à peine glissé que j'étais en couple. Appelons-le Pierre Lapin. Parce qu'il faut bien lui trouver un nom, et que je ne vais pas y passer la nuit.

J'ai rencontré Pierre Lapin vers 17 ans et des poussières. Au lycée. C'était un pote, une connaissance, il faisait partie du groupe. Du paysage. On était jeunes et alcooliques. Surtout moi. On passait de longues heures à refaire le monde, à parler politique et révolution, on se taquinait, il me tenait les cheveux. Ça n'a jamais été plus loin. Il était fou amoureux de sa copine, qui était folle tout court. Nos amis communs et moi avions bien essayé de le dissuader. En vain. Il s'est marié et s'est reproduit avec. Deux fois. Il a disparu de mon existence.

Et puis, la vie. Jusqu'à ce qu'un numéro inconnu s'affiche sur mon téléphone. Et comme j'avais appelé plein d'inconnus pour qu'ils me louent leur appart', j'ai décroché. Ça n'arrive jamais.
"Salut Zizanie, t'as toujours le même numéro ?"
Bonjour, qui est-ce ?
Paye ta froideur. Je déteste répondre au téléphone. Je déteste ne pas être préparée à un appel. Je déteste communiquer avec les gens. Je déteste les gens.
"C'est Pierre Lapin du [insère le nom d'un endroit de ton adolescence] ! J'étais chez [insère le prénom d'une amie de ton adolescence que tu as perdue de vue] et on parlait de toi."
Euh, wow ! Je m'attendais pas à ça. Tu es vivant, donc ?
Toujours la première pour être sympathique et mettre à l'aise.

On a parlé trois heures au téléphone. On a fini par se revoir. Et se revoir encore. En toute amitié. En vrai, il ne m'intéressait pas plus que ça. Ma Vénus maîtresse de mon ascendant conjointe au Soleil fait que je n'ai pas vraiment le choix, je ne connais pas trop d'autre mode que le charme, dans les relations humaines. Mais j'étais vraiment détachée de la situation. Et quand on connaît mon cœur d'artichaut qui s'emballe comme un cheval mal débourré, ça n'annonce rien de croustillant.

On avait des années à rattraper. J'ai très vite rencontré ses enfants. On a fait des tonnes de jeux de société. Moi qui détestais ça, j'ai commencé à les apprécier. Je te laisse choisir si je parle des enfants ou des jeux.
J'ai même fini par accepter de récupérer et de garder sa progéniture un soir où son ex-femme l'avait mis dans la merde. J'ai failli mourir. Quand il est rentré, je lui ai sauté au cou en lui hurlant que je n'avais jamais été si heureuse de le voir. Il l'a mal pris.
J'ai rattrapé le coup. En donnant de ma personne. Il m'a retrouvée, un soir, endormie sur son canapé, avec son fils affalé sur mon ventre et sa fille contre mon épaule.

Et puis l'été a passé. Mon quotidien était incertain et douloureux. Je suis partie à Stockholm. Je n'étais pas dans le bon état d'esprit. Quand on s'est revus, j'étais dépitée face à cette grande mascarade qu'est la vie. On a parlé. Ça me faisait du bien de lui parler. Alors on a parlé longtemps. Jusqu'à ce que nos yeux brûlent de sommeil. Il m'a embrassée, je l'ai laissé faire. C'était doux et humide. Et réconfortant. Et puis, pas grand-chose. Ce n'était pas charnel. C'était purement cérébral.

Et ça l'est toujours. En vrai, ça me va bien. Je ne suis pas prête à concéder toutes les dimensions du couple à un autre.