Avant tout, je précise que je n'ai pas de trouble dissociatif de l'identité et que je n'ai aucun diagnostic posé pour quoi que ce soit. Je le précise parce qu'on parle pas mal du TDI depuis quelques temps (et c'est tant mieux), et je ne me permettrais pas de dire que ce que je vis moi s'en rapproche ; je sais à quel point ça peut être difficile de vivre avec ce trouble au quotidien, ça n'a rien de glamour et ce ne sont pas des superpouvoirs.

(D'accord, pour le diagnostic, il y a bien eu une tentative foireuse par un psychiatre maladroit, il y a quelques années - pas du TDI mais du trouble borderline -, mais il était à côté de la plaque.) (Et non, ce n'est pas du déni. J'ai inconsciemment feint certains symptômes pour enfin me sentir légitime d'aller mal et de faire de la merde.)
(De toujours façon, je n'aime pas les étiquettes.)

Je me suis toujours sentie multiple. Et en même temps, je me suis toujours sentie capitaine du navire. Capitaine au long courant d'air, mais capitaine quand même. Je pense que c'est là où se situe la frontière avec la pathologie. J'ai toujours dit qu'on était plusieurs, et pas toujours d'accord entre nous. Ça a toujours été une évidence, sans que ce ne soit problématique pour autant. Mais ça, je crois que ça arrive à beaucoup de gens. Il y a beaucoup de gens qui se sentent multiples. Mon imagination m'a naturellement conduite à personnifier les différentes énergies que je ressentais à l'intérieur de moi. Et ça, c'est surtout parce que j'ai développé très tôt dans l'enfance une capacité à visualiser mes ressentis, à les rendre plus concrets, plus palpables, plus existants.

Je suis en train de me pencher sur le travail de Richard Schwartz et de l'Internal Family System, qui est une thérapie systémique qui, pour faire simple (et grossier), vise à identifier les différentes parts de nous-mêmes et à interagir avec elles depuis une position neutre pour leur permettre de mieux vivre ensemble. En réalité, rien que fait de les identifier et de les reconnaître, de comprendre quel est leur rôle et ce dont elles ont besoin permet de les apaiser. Une majorité d'entre elle a juste besoin d'être vue. La première fois que j'en ai entendu parler, ça a fait très très fort écho à ce que je ressentais l'intérieur de moi. Enfin je trouvais une théorie qui mettait des mots sur ce que j'expérimentais depuis toujours.
Il y a quand même quelques points que je questionne, des points avec lesquels je ne suis pas d'accord, mais de manière globale, l'IFS fait sens pour moi. Et ce que j'apprécie, c'est que c'est une thérapie que l'on peut mener seul, parce qu'elle est très sécure. On n'ira jamais là où on nos parts protectrices ne nous autoriseront pas à aller et tout ne pourra se faire qu'avec leur consentement. On y va à notre rythme et on a tout notre temps pour ça. J'ai toute ma vie et les prochaines pour apprendre et pour devenir moi.

La part protectrice que je ressens le plus souvent, c'est W. Et, en général, personne ne s'attend à la voir surgir. Moi y compris. Mais je lui fais confiance pour être là au bon moment. W, c'est celle qui arrive quand elle sent que la gestion des émotions va être compliquée. W, elle est là aux enterrements. W, elle est là quand il faut gérer. Mais W se fatigue vite, tant elle met d'énergie à ne pas laisser les émotions filtrer. Dans un sens comme dans l'autre. Sauf dans les moments où elle peut se permettre de laisser un peu de place à M. M, c'est celle que j'appelais jusqu'alors la gentille sorcière. M, c'est l'initiale de son prénom. C'est l'autre part (très) visible de ma personnalité. Elle est très présente ans les situations où nous avons besoin de connexion émotionnelle.

W, elle est surtout là quand on ne se sent pas en sécurité. W, c'est celle qui dit non. Un « non » tonitruant. Un « non » qui ne laisse pas de place à la négociation. W, elle est capable de rester ferme et de ne pas céder le moindre pouce de terrain. Non, c'est non. Je me souviens d'un appel reçu au travail, il y a quelques années, avec un interlocuteur assez odieux, où elle a tenu bon jusqu'au bout. Et où je me suis effondrée en larmes une fois le téléphone raccroché. J'étais fière d'avoir tenu, mais vidée de mon énergie. Parce que c'est ça, W ne peut pas être là tout le temps parce que c'est un travail colossal de faire barrière aux émotions, tout en continuant à paraître normale aux yeux des gens.

En ce moment, W est épuisée, je le sens. Quand les larmes me montent aux yeux sans raison dans le métro. Elle arrive tant bien que mal à les contenir, mais on sent bien que W en a ras-le-bol de faire front. Ça fait trop longtemps que ça dure. En ce moment, W elle a besoin d'aller se ressourcer dans son monde intérieur. Elle a besoin qu'on prenne le relais. Je ne sais pas bien comment on va pouvoir faire, mais on va trouver une solution.

W, elle est là aussi quand il s'agit de séduire. C'est une énergie assez étrange, elle attaque, elle pique, elle montre qu'elle n'en a rien à faire, qu'elle est sûre d'elle, et qu'elle n'a pas besoin des autres. Je ne sais pas si elle n'en a vraiment rien à faire. En tout cas, quand M est juste derrière, il est clair que c'est de la poudre aux yeux. Parce que M, elle tombe amoureuse tous les quatre matins. Faut dire surtout qu'elle tombe amoureuse comme elle tombe d'une chaise. M, c'est elle qui créé les coups de foudre, les instants de grâce. Elle est capable de créer une connexion émotionnelle forte avec les autres. M, elle a cette capacité à se mettre inconsciemment dans une position de miroir émotionnel avec l'autre. Elle est chouette, M, j'aime ces instants qu'elle nous crée. Et puis, M, c'est la maman, c'est celle qui va m'encourager, être là pour moi au quotidien. M elle essaye de prendre le relais de W quand on se sent en sécurité. Sauf qu'elle est assez démunie, elle ne sait pas trop comment faire.

Dès que W lâche, c'est Jojo-le-drama qui prend le relais. Jojo-le-drama, c'est le surnom affectif que je lui donne. Jojo, c'est pour Jonas. Jojo-le-drama, il intervient dès que je dois ou je veux sortir de ma zone de confort. Jojo-le-drama, il est très envahissant, il fait de grands gestes, il parle très fort, il a des vêtements qui flottent en suivant ses mouvements pour le rendre encore plus visible. Jojo-le-drama, c'est celui qui me dit que je vais mourir dès que je mets un pied hors de mon lit. Lui, j'ai commencé à l'apprivoiser depuis quelques temps maintenant. Et je sais que pour l'apaiser il faut que je reprenne la barre du navire. Jojo-le-drama, il faut qu'il sente que je gère pour se mettre en retrait. Et, en ce moment, évidemment, je ne gère pas du tout. Alors tout m’apparaît être dans la zone de panique. Ne t'inquiète pas, mon Jojo, je vais revenir très vite. Rien qu'en écrivant tout ça, je retrouve de l'espoir, tu vois. Ça redevient possible.

Ah oui, le « de toute façon, je n'aime pas les étiquettes », c'était une autre part de moi. Hello Charlie, t'as vu, je t'ai reconnu. Charlie, c'est une énergie très adolescente, très libre et détachée. Charlie, ça ne l'intéresse pas, tout ça, il a mieux à faire, il n'a pas le temps pour ça. Charlie, il a le monde entier et l'univers à explorer. Charlie, il est mû par la soif de découvrir, d'apprendre, de connaître, de savoir. Tout est incroyable, amusant, léger. Il n'a pas le temps de se poser des questions existentielles et il ne comprend pas toute l'énergie qu'on met là-dedans. Charlie, c'est aussi la part qui n'en a strictement rien à secouer des relations amoureuses. Pas le temps pour ça non plus. Je suis désolée, Charlie, que tu te sentes oppressé. Les autres prennent beaucoup de place, je sais. On va travailler toutes et tous ensemble pour réguler tout ça. Je sais maintenant que tu es là. Je sais que Charlie, ce n'est pas vraiment ton nom. Je sais que tu n'en a rien à foutre de savoir comment tu t'appelles, et que tu m'autorises à t'appeler Charlie pour que ce soit plus simple de te reconnaître. Alors pour le moment, on va continuer à faire comme ça, si ça te va.

Évidemment, je ne te parle que des parts de moi que l'IFS appelle des « protecteurs ». Et dans la catégorie des protecteurs, ce sont surtout les managers qui se présentent spontanément, plus que des pompiers. Les deux, en fait. Les parts vulnérables, dites « exilées » ne vont certainement pas se montrer. C'est justement le travail des protecteurs de ne pas les exposer. Et, merci à mes parts protectrices, parce qu'elles font un super boulot.