Tu sais, j'ai très, très peur. Il paraît qu'il faut pas dire qu'on a peur. Il paraît que c'est pas Charlie. Moi j'm'en fous, ça faisait longtemps que je n'étais plus Charlie. 

J'ai peur parce que je ne comprends pas ce qu'il se passe. Et j'ai toujours peur quand je ne comprends pas. Je ne comprends pas les tueries. Je ne comprends pas le besoin de dominer à tout prix. Non parce que voilà, j'veux bien être maîtresse du monde, mais faut pas que ça me demande trop d'efforts et faut pas que ça me demande de fermer les yeux sur mes valeurs et mes idéaux. Je ne comprends pas le terrorisme. Celui de Daech autant que celui de nos gouvernements. Je ne comprends pas l'argent non plus. 

J'ai peur parce que mes amis ont été pris en otage par des fous furieux qui tuaient de sang froid. J'ai peur parce qu'ils ont échappé de très près à une issue fatale. J'ai peur parce qu'ils ont vécu les heures les plus longues et les plus flippantes de leur vie, dans le sang, la mort et les armes. Et que je ne peux même pas imaginer l'enfer qu'ils ont vécu. J'ai peur parce qu'ils ont été blessés. Légèrement, mais blessés quand même. J'ai peur parce qu'ils auraient pu mourir. Pour de vrai. Pour de bon. J'ai peur parce que je n'avais jamais envisagé qu'ils pouvaient se retrouver dans cette situation. C'était même pas de l'ordre du concevable. C'était même pas une option. 

J'ai peur parce que mon copain de primaire. Un grand timide aux joues roses. Est devenu salafiste. Un Français né en France, de parents Français d'origine italienne et de confession catholique. Qu'il a imposé à sa meuf, Guadeloupéenne et catholique pratiquante, de porter le voile, de ne pas sortir sans lui et de cesser de travailler. Et que sa mère trouve ça merveilleux. Il y a un truc qui m'a échappé, je ne comprends pas ce qu'il se passe. Quand je regarde autour de moi, j'ai franchement l'impression de débarquer d'un monde parallèle. 

Tant qu'à faire, je ne comprends pas les réactions de mes pairs qui filent des sous pour acheter un bouquet de fleurs à une dame, juste parce qu'elle n'est pas islamophobe. J'comprends pas que le fait de ne pas être islamophobe puisse être admirable. Z'êtes en roue libre totale, les gars ! Ressaisissez-vous ! Ne pas être islamophobe, ça ne devrait même pas être relevé. Est-ce qu'on acclame les gens qui ne frappent pas leurs enfants ? C'est juste du bon sens, bordel. Et ça, ça me fait complètement flipper. 
J'parle même pas du fait de s'émouvoir pour un chien tué pendant une opération policière. Alors que des animaux. Plein, beaucoup, énormément. Sont exécutés tous les jours. Si, si, même qu'ils se retrouvent dans ton assiette, après avoir été abattus. Ah oui, j'devrais peut-être rappeler que les bœufs, moutons, cochons, poissons sont des animaux avant d'être des steaks ou du saucisson. Mais on n'en est plus là, t'façon.

J'ai peur parce que j'ai eu l'immense chance de naître. Non, j'ai pas eu l'immense chance de naître, d'ailleurs. Si on m'avait demandé mon avis, j'aurais dit non merci. Mais j'ai eu la chance qu'on me fasse venir au monde dans un pays où je me sentais en sécurité. Où je n'avais pas peur quand mes proches sortaient de chez eux. Où je n'apprenais pas en pleine nuit que des amis s'étaient faits canarder dans une salle de concert.

J'ai peur, parce que je sais que ça peut se reproduire. Et que je ne sais pas quand cette émotion me quittera. Je sais que je ne serai plus jamais hors de danger. J'ai peur parce que mon optimisme à toute épreuve est en train de me lâcher. Que le gyrophare du réalisme s'est allumé dans mon cerveau.

Alors. Quand j'ai peur, je me réfugie dans ma tête et je me raconte des histoires. Comme si j'étais l'héroïne d'un jeu vidéo. Chaque pas est un obstacle à franchir. Chaque obstacle franchi une victoire. Le but est d'esquiver les pièges et les menaces. 
Mais combien de temps encore je serai incapable de descendre dans le métro pour me rendre au boulot ? Combien de temps encore je devrai sortir de chez moi en chantant. On va tous crever, on va tous crever. Y'a la fin du monde qui nous guette et nous on fait la fête. Pour me donner du courage ?