Mars 2018, pour finir.

 

J'ai envie qu'on m'aime et qu'on me le dise.
Je crois que je ne suis pas tout à fait capable de l'entendre.

Ces derniers mois, j'ai été très très attirée par un garçon. Pas vraiment physiquement. Pas du tout, au départ. C'est arrivé en apprenant à le connaître. Et à le trouver vraiment intéressant. Original. Touchant.
Et je suis sûre qu'il m'aimait bien. Qu'il m'aime encore bien, peut-être. J'en sais trop rien. J'veux dire, il y avait des signes tangibles de son intérêt pour moi. C'est lui qui a commencé à chercher à me revoir. Et puis, on s'est mis à interagir régulièrement. Même si c'était plutôt laborieux d'avoir des discussions longues. Ma timidité, redevenue presque maladive. C'est possible que la sienne aussi y soit pour quelque chose. Il y avait pas mal de complicité. Et, surtout, on se disait à chaque fois que c'était cool de s'être vus. On se disait que ça nous faisait plaisir de se voir. Rien qui ne m'assure que l'intérêt qu'il éprouvait pour moi était d'ordre sexuel ou amoureux ou les deux à la fois, mais amical, sans aucun doute. Pour mettre des trucs dans des cases, et dans des mots qui ont des définitions précises pour la plupart des gens.

Pour tout un tas de raisons. Principalement un rapport à mon apparence plus que compliqué et complexe. Mais pas que. Quelques raisons extérieures à ma pomme, aussi. Je lui ai jamais dit qu'en vrai c'était pas seulement son sens de l'amitié qui me plaisait, chez lui. On s'est rarement vus seuls, faut dire.
Et puis, il y a quelques semaines, j'étais décidée à enfin tenter quelque chose. Lui faire comprendre mon intérêt pour lui, tout du moins. Je l'ai invité à boire un verre. J'avais une très bonne excuse. Et rien ne laissait penser que je comptais lui sauter dessus. T'façon, ça n'a jamais été prévu. Sa réponse ne s'est pas faite attendre : laconique mais relativement sympathique. Et puis, quand j'ai voulu fixer un rendez-vous plus précis, il est resté vague, dans l'attente d'un quelconque paramètre extérieur qui devait décider de sa disponibilité. Et ne m'a plus donné de nouvelles. Alors ouais, j'aurais peut-être dû le relancer, comme j'aurais fait avec un pote. Sauf que. Ma peur du rejet. Ancrée dans les fondations de ma construction émotionnelle et de ma relation à l'autre.

En vrai, j'aurais bien aimé me mélanger avec lui. Mais je me serais tout autant contentée de boire des coups, de faire des blagues et d'écouter des gens morts avec lui, t'vois. C'est aussi bien, je trouve. Quand je suis attirée par quelqu'un, je suis d'abord attirée par une amitié potentielle. J'ai jamais vraiment envie de gens avec qui je ne pourrais pas être amie.

Je ne m'attendais pas vraiment à ça. Qu'il me réponde qu'il n'était pas dispo, ça m'aurait bien moins questionnée. Ça arrive de ne pas être dispo, et je ne trouve pas ça grave. Sauf que voilà. Me laisser dans l'attente d'une réponse qui n'est jamais venue, ça prend le chou.

Pour son effet hémostatique, j'ai décidé d'arrêter de projeter quoique ce soit avec ce mec. Ça ne me va pas, l'attente. Ça fait ressortir une de mes fragilités. Une fragilité qui ne me rend pas heureuse. Qui ne me rend pas fière de moi. Une fragilité qui ne m'élève pas. En fait, une fragilité que je ne suis jamais arrivée à sublimer. L'attente fait grandir l'angoisse. L'angoisse, c'est cette gamine roulée en boule dans un coin, qui est persuadée qu'elle n'est pas digne d'être aimée. Qu'elle est trop laide. Trop grosse. Trop bizarre. Trop vide. Pour être aimée.

Hé, Zizanie, il serait temps de travailler là-dessus, tu ne crois pas ? Pour ça, ne faudrait-il pas oser aborder tout ce pan de ta vie et de ta construction avec un psy ? Purement rhétorique. Je dis un, parce que le mien ne me reprendra pas en consultation. Je lui en ai un peu voulu, j'admets. Finalement, je trouve que c'est une opportunité à saisir. Avec celui chez qui j'allais toutes les semaines il y a encore quelque mois, je n'ai jamais osé. Ça ne m'est jamais venu comme quelque chose dont il fallait parler. C'était une évidence que ça n'avait pas du tout sa place dans ma thérapie. C'était pas sur ça que j'avais envie et besoin de travailler. Parler de mon corps, de ma vie amoureuse, de mon rapport à la séduction. De mon rapport aux hommes, en réalité. Parce que si mon orientation sexuelle et romantique est fluide, c'est uniquement ma relation aux hommes qui rouvre mes failles. Je répondais parfois à ses questions, un peu. Je noyais le poisson. Je gardais mon masque rivé sur mon visage. J'étais pas prête à pleurer toute les larmes de mon corps en parlant de lui. Mon corps. Qui fabrique de la graisse pour tenir le désir amoureux à distance. Mon corps, que j'ai souvent considéré comme un objet sexuel qui donnait du plaisir aux hommes avec qui je baisais. J'ai très vite accepté qu'on veuille me sauter. Jamais qu'on ait envie de m'aimer.

C'est pas grave que ce mec-là ne m'aime pas. Mais je veux que d'autres puissent m'aimer. Je veux me laisser le droit d'être aimée.