Je ne comprends pas tout. Et surtout comment j'ai pu perdre un tube de mascara sur un bureau minuscule, dont la grande majorité de l'espace est occupée par un animal "portable" de vingt-et-un pouce (la bécane d'ex-Coloc') et une tablette graphique (taille similaire). Z'allez me dire, comment ça se fait que ton mascara doive se trouver sur ton bureau ? Et je répondrais, la faute à ma grandeur d'âme. En effet, pour ne pas monopoliser la salle de bain, j'investis le reste de l'appartement pour me ravaler la façade. Ces derniers jours, le reste de l'appartement était ma chambre. Et donc, la question reste entière.

Première crise de boulimie, ce week-end. Comprenez, je suis tourmentée. Sans mon mascara, je suis perdue. Tout y est passé : chocolats, biscuits, biscotte et beurre salé, sauce américaine, comté, chaussons aux pommes industriels. C'était tout ce que j'avais sous la main. Au moins, maintenant, il n'y a plus rien. On peut aussi voir les choses sous cet angle.
J’agonisais. Le mal du Nord. Un simple mal de gorge / rhume  qui prend des proportions extraordinaires. Du "Ah, j'te l'avais bien dit, il fait froid dans le Grand Nord Hostile !" au "T'as pas la grippe, au moins ?". Oui, cette grippe-là. C'était la première question de la despote, dimanche, vers quatorze du matin.
Cela dit, la crise, ça ne va pas m’aider à guérir. Surtout si l’on considère que les laitages sont déconseillés en cas d’agonie lente et douloureuse. Ou presque. Quand tu carbures au paracétamol, que t’as la gorge enflammée, le nez irrité à force de. Que t’as mal partout, que t’avances au ralenti et que t’as un mal de crâne pas possible. J'ai simplement attrapé froid quoi. Ajouté au stress des modules « expression de soi », à la fatigue et à la négligence vestimentaire (j’ai pas encore du assimiler que j’étais dans le Nord, sans doute). Saison bâtarde, d'ailleurs. Où des gens en t-shirt à manches courtes croisent des gens emmitouflés jusqu'au oreilles. Je me suis réveillée avec la gorge qui piquait. Et puis, j’ai mourru.

J'ai d'ailleurs eu la preuve qu'un cours passionnant pouvait sembler d'un ennui fou. Pour que j'en arrive à me focaliser sur le léger chuintement de l'intervenante dans un cours de psychologie sociale, il fallait bien qu'elle soit au moins soporifique. Ah ça, on m'avait prévenu, d'un "CM" magistral sur le planning. Chapitre un, grand un, petit un. Gné ? Hum. Tout va bien, c'est lundi mardi soir. Autrement, cette formation correspond (presque) exactement à mes attentes. Presque, parce que je sors de cours d'anglais et le prof a fait tout ce qu'il fallait faire, en tant que prof d'anglais, pour réussir à me braquer dès le premier cours. Vivement le stage, finalement. De toute façon, on nous le répète, "Educ', c'est le plus beau et le plus dur métier du monde ! Et vous êtes les soixante meilleurs à avoir été sélectionnés sur huit cents candidatures. Et les AS, c'est rien que des planqué(e)s !". Oui, tout ça dans une même phrase. Et bien évidemment, ils n'oublient pas de glisser que le temps va passer vite, qu'il faut qu'on s'active dans notre recherche de stage, que le diplôme, c'est dans trois ans et en même temps c'est demain, qu'à l'IRTS, ils z'apprennent rien et que la fac c'est plus mieux, et qu'il faut que nous soyons à la hauteur des sous versés par le contribuable.

Qu'est-ce que j'ai fait de m'engager dans cette voie ? C'est rien que des cinglés. Qui parlent d'inceste au café de neuf heures moins le quart et qui déjeunent en faisant la revue de presse des faits divers de la semaine. Au secours, sortez-moi de là.
Et puis, avec certains, je le sens, le décalage. Youhou. Avec ma coloc', que nous appellerons désormais Bambi, parce que j'en ai décidé ainsi, j'ai très rarement l'impression d'avoir quatre ans de plus qu'elle. Parfois même, je la regarde et j'ai l'impression de me voir. Alors qu'avec d'autres de la promo, j'en suis presque à ponctuer leurs phrases de "Moi, de mon temps..." de rigueur. C'est impressionnant. Je n'avais pas vraiment l'impression (ou conscience) d'être comme ça, à leur âge. Oui, ça fait très. Mais ma collègue de réflexion me l'a confirmé : non, on n'était pas aussi cons à dix-sept, dix-huit ans. Dix-neuf, même. Comment ils ont fait leur compte, aux sélections ? Je suis tout de suite un peu moins fière que ma candidature ait été acceptée.
Il y a décidément des choses que je ne comprendrai jamais. Ça et ceux qui considèrent la souffrance ou la maladie d'un membre de leur famille / ami comme une expérience professionnelle. Présentations.
"Bonjour, je m'appelle Daphné, j'ai dix-sept ans, trois mois et deux jours et comme expérience, ben je me suis occupée de ma grand-mère atteinte d'Alzheimer et d'une copine suicidaire."
Je caricature à peine.
Rappelez-moi ce que je fous là ?