J'ai choisi le temps. Et j'ai un peu l'impression de l'avoir gâché.

J'ai fait le choix du temps, tandis que d'autres s'inséraient sur les rails de la voie express. Et je crois que j'aurais pu l'assumer davantage. J'aurais du l'assumer davantage. Parce qu'aujourd'hui, je ne suis finalement qu'assez peu enrichie par tout ce temps. Je n'ai pas été jusqu'au bout de ce que j'aurais pu vivre. Parce que je suis une froussarde. On en revient toujours à.

J'ai l'impression que tout le monde autour de moi s'accroche à sa vie compétitive. Un vrai job d'adulte, une vraie relation sérieuse. Sans blague, c'est exactement ce que c'est. Sérieux comme chiant. Les gens autour de moi n'ont pas envie d'être seuls. C'est ce que j'entends. J'me sens seule que lorsque je n'ai plus d'amis. C'est un peu le cas, en ce moment. Depuis un bout de temps. Alors j'ai toujours du mal à comprendre. Même les plus anticonformistes de mes potes se sont mis à pondre. Ont acheté une maison. C'est ça, alors ? Ce qu'on m'a toujours dit. Tu changeras d'avis, tu verras. Tu finiras par avoir envie d'avoir des enfants. Un mari. Tu verras, j'étais comme toi. Pourquoi les grandes personnes disent tout le temps ce genre de truc ? Pour se rassurer ? Pour se persuader d'avoir fait les bons choix ?
Sinon, j'vois pas. Parce que non. Je n'ai toujours pas envie, de cette vie-là. Et je ne sais vraiment pas ce que je foutrais avec des gosses.

Évidemment, comme tout le monde une majorité de personnes, mes hormones ont commencé à sonner les cloches de mon horloge biologique. Tu parles d'une expression. Il y a, je sais pas, un an et demi, un peu plus. C'était tout à fait clair, mes hormones cherchaient un géniteur. Qu'est-ce que c'est chiant, d'ailleurs. Mais j'peux pas leur en vouloir, c'est leur job, elles sont là pour ça.
Pour autant, est-ce que ça signifie que je veuille des enfants ? Non. Non, non et re-non. Parce que faire un enfant, ce n'est pas simplement répondre à un quelconque appel biologique. Oui, mon corps est programmé pour assurer la perpétuation de l'espèce. Mais il n'y a plus grand chose de naturel ou d'instinctif, chez les animaux humains. Faire un gosse, en tant qu'humain, dans la société qui est la mienne aujourd'hui, ce n'est pas simplement suivre un instinct. 

J'ai envie d'expérimenter la grossesse. L'accouchement. Tout l'aspect animal du processus. Parce que c'est ce que je recherche constamment, dans ma vie. Réveiller l'animal qui sommeille en moi. C'est ce qui m'anime. D'ailleurs, quand je parle de ma vision des choses. De la manière dont j'aurais pu envisager tout ça, si j'avais décidé de me reproduire. J'ai droit à des regards réprobateurs. Même de la part de mes proches les plus ouverts et avertis. D'une amie qui a accouché à domicile. Un accouchement non assisté ? C'est criminel ! T'imagines s'il arrive quoique ce soit ? S'il arrive quoique ce soit, j'vois pas comment quelqu'un d'autre serait plus compétent que moi pour régler le problème. Merde, quoi. Ça me gonfle qu'on me laisse entendre que je suis moins capable qu'un.e autre pour savoir gérer quelque chose qui se passe à l'intérieur de mon corps. J'vais jamais chez le toubib pour tout le reste. De toute façon, ça n'a rien de pathologique. Et je n'ai certainement pas envie de vivre dans la peur. J'ai eu suffisamment d'épées de Damoclès au-dessus de ma tête. Parce qu'avant, les mères mourraient en couche, tout ça. Parce qu'avant, le corps des femmes étaient plus leur propriété qu'aujourd'hui ? Faut remettre les choses dans leur contexte, hein. Et puis. Les progrès médicaux, laisse-moi rire. Qu'est-ce que t'appelles progrès, exactement ? 

J'm'en fiche, hein. Que d'autres choisissent une grossesse et un accouchement hypermédicalisés. Parce que ça les rassure, tout ça. Je peux comprendre. Je ne me pose même pas la question de savoir si je suis pour ou contre, parce que je n'ai pas à me la poser. La seule chose que je puisse décider de faire ou non, c'est de transmettre les informations que j'ai eu le temps de digérer. Et sur lesquelles j'ai eu le temps de me faire une opinion. La mammographie. Genre. Est-ce que ma mère est réceptive à mes arguments ? Non. Est-ce que c'est important ? Non. Est-ce que je dois fermer ma gueule pour autant ? Non.
J'm'en fiche, des choix des autres. Sauf quand ces choix vont à l'encontre de mon éthique. Oui, ça me met hors de moi de voir les gens continuer à bouffer de la viande ou à boire du lait. Je ne vais pas les asséner de reproches. Je les laisse vivre leur vie. Mais putain, j'comprends pas. Bref, c'est pas la question. Et puis, j'fais pas toujours passer ce qui me semble juste avant ce qui me semble agréable, pour tout un tas de raisons.
J'en ai juste assez que la peur passe avant toute considération de l'autre. Merde, quoi. Si j'te dis que j'aurais envisagé un accouchement non-assisté, c'est que j'y ai réfléchi et que je sais pourquoi j'aurais fait ce choix. C'est pas la peine de me lancer ton regard réprobateur et infantilisant. Comme je sais pourquoi je ne prends plus aucune contraception hormonale depuis mes quinze ans. Parce que même à cette époque, alors qu'il n'y avait pas encore eu tous ces scandales autour des pilules contraceptives, qu'on la prescrivait à tour de bras, et que c'était le symbole de la libération des femmes. Ahem. Pardon, j'me suis étouffée. C'était le graal, au moins. Tout ça. J'ai compris qu'il y avait un truc qui clochait. Que ça faisait du mal à mon corps. Et que ça ne l'empêchait même pas de faire des bébés. C'était pas conscientisé, je n'avais pas mis de mots dessus, mais je le savais, c'est tout. Faut arrêter de croire au Dieu Médecine, hein. C'est mon corps et je le connais mieux que n'importe qui. Point.

J'ai encore grave digressé. Tout ça pour dire que j'vois la grossesse à mi-chemin entre l'aventure et la création artistique. J'adorerais aller au bout de la création. Mais comme toute création, une fois terminée, elle ne m'appartiendrait plus. Et je m'en désintéresserais. Tu vas me dire que mes hormones seront encore là pour m'en empêcher. Non, bien sûr, je n'abandonnerai pas mon gosse dans le vide-ordure. Mais putain ce que ma vie sera triste. Ça m'emmerde, les gosses. Vraiment. J'sais pas quoi leur dire. Entre zéro et douze ans, c'est nul. A la limite, ça m'amuserait de les faire évoluer comme des pokémons. Un jeu. Mais ça s'arrêterait là. Et je me lasse vite des jeux. J'kiffe les ados. Parce que c'est adorablement bête, un ado. Et bien plus intéressant. Mais j'ai trop de scrupules pour pondre sans penser à l'avenir de ces pauvres gosses. J'ai pas choisi de naître. Si j'avais eu le choix, je ne serais pas née. J'suis pas assez tordue pour imposer ce monde à quelqu'un d'autre.

Alors. Est-ce que tu crois toujours que je vais changer d'avis ? Et surtout, est-ce que tu crois que c'est une bonne idée, que je change d'avis ?

J'ai fait le choix du temps. Je ne le regrette pas. Je regrette de ne pas en avoir assez profité. J'aurais aimé être mon propre parent. Là, si je pouvais, j'adopterais la gamine que j'étais, il y a dix ou quinze ans. Pour m'encourager à sortir davantage des sentiers battus.
J'ai fait le choix du temps. Je ne le regrette pas. J'ai seulement beaucoup de mal à comprendre les comportements de la plupart de mes congénères. Qui osent me promettre « toi aussi, tu trouveras un mec bien, avec qui tu voudras des enfants ». Euh. A quel moment je t'ai dit que j'avais envie de trouver un mec ? Ou une meuf, d'ailleurs. Même si l'idée n'a pas effleuré une seconde ta petite tête de moineau. Je n'ai pas envie de trouver un sens à ma vie de cette manière. En couple, avec des gosses. C'est beaucoup trop facile. D'attendre qu'une autre personne donne un sens à ta vie. Je ne les comprends pas. Encore plus celleux qui juraient à qui voulait l'entendre que leurs ami.e.s passeraient toujours avant le reste. Tu parles. J'crois que je suis la seule qui ai tenu mes engagements. C'est con, hein. Parce qu'aujourd'hui, je n'ai plus rien à faire passer avant.

A vrai dire, plus que de l'incompréhension, c'est surtout du mépris que j'éprouve.

 

I’m in love with ice blue grey skies of England
I’ll admit all I wanna do is get drunk and silent
Watch my life unfold all around me
Like a beautiful garden
I see flowers so tall they surround me
Oh my heart, it became so hardened